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Un tribunal québécois refuse d’autoriser une action collective visant le recouvrement de pertes d’exploitation liées à la pandémie de COVID-19

Auteurs : Corey Omer et George J. Pollack

La Cour supérieure du Québec a refusé d’autoriser une action collective qui avait pour but le recouvrement de pertes d'exploitation associées à la pandémie de COVID-19. La décision de la Cour, dans l’affaire Centre de santé dentaire Gendron Delisle inc. c. La Personnelle, assurances générales inc., est l’une des premières au Québec à traiter de la recouvrabilité de pertes d’exploitation résultant de la pandémie de COVID-19 en l’absence de toutes pertes ou de tous dommages matériels réels subis par les biens de l’assuré. Cette décision aura des répercussions significatives pour le secteur des assurances et le milieu des affaires en général. Elle est l’une de trois décisions rendues le même jour par le même juge de la Cour supérieure du Québec à l’égard de requêtes semblables visant l’autorisation d’actions collectives, et porte sur un libellé de police que l’on trouve le plus souvent dans les polices d’assurance contre les dommages matériels et les pertes d'exploitation. L’une des deux autres requêtes a été accueillie en raison d’un libellé de police beaucoup moins courant, que la Cour a jugé plus ambigu et qui pourrait donc potentiellement donner lieu à une interprétation plus libérale.

Dans l’affaire Centre de santé, la demanderesse souhaitait intenter une action collective au nom de tous les dentistes et cabinets dentaires de la province de Québec qui, en date du 16 mars 2020, possédaient une assurance contre les « pertes d’exploitation » ou l’« interruption des affaires » et avaient subi une baisse de leur chiffre d’affaires à la suite d’un ordre de fermeture du gouvernement en raison de la pandémie de COVID-19. Ceux-ci avaient présenté des demandes d’indemnisation au titre de polices d’assurance émises par les compagnies d’assurance défenderesses comprenant une garantie d’assurance contre les dommages matériels, la responsabilité civile et les pertes d’exploitation. Les polices en question – comme la plupart des polices de cette nature – couvraient les biens assurés contre « tous les risques de pertes ou de dommages matériels directement causés à un bien assuré ». Dans les polices, le terme « dommages matériels » était défini comme suit : soit « toute détérioration ou destruction d’un bien corporel, y compris la privation de jouissance en résultant », soit « la privation de jouissance de biens corporels n’ayant subi aucun dommage, celle-ci étant réputée survenir au moment du sinistre l’ayant causée ». Les polices définissaient un « sinistre » comme « tout événement causant directement des dommages ». La plupart des polices d’assurance de biens contiennent des définitions semblables.

Comme c’est habituellement le cas pour les polices d’assurance de biens offertes aux entreprises et aux professionnels, et « sous réserve des conditions, limitations et exclusions » de chaque police, les polices établies par les défenderesses comprenaient une garantie contre les pertes d’exploitation subies durant la période d’indemnisation « du fait d’un sinistre couvert ayant atteint les biens assurés se trouvant sur les lieux assurés ».

Les demanderesses prétendaient que la garantie était suffisamment large pour couvrir les pertes d’exploitation causées par la fermeture de leurs cabinets ordonnée par le gouvernement, même en l’absence de dommages matériels aux biens assurés. Elles ont également fait valoir que la définition des dommages matériels était ambiguë et pouvait ainsi ouvrir la voie à l’argument de la recouvrabilité des pertes d’exploitation.

La Cour a donné raison aux assureurs, en concluant que l’interprétation du contrat permettait de déterminer que la garantie d’assurance contre les pertes d’exploitation ne s’appliquait que lorsque les pertes résultaient directement d’un événement ayant causé des dommages matériels directs aux biens assurés. La Cour a noté que les demanderesses n’avaient déclaré aucune détérioration de leurs biens assurés ni même aucune contamination ou altération de leurs biens par la COVID-19 (il est utile de signaler que les polices contenaient des exclusions pour les dommages causés directement ou indirectement par la « détérioration par contamination »). De plus, la Cour a rejeté l’argument des demanderesses selon lequel la définition des dommages matériels était ambiguë. À cet égard, la Cour a jugé qu’une perte ou un dommage matériel direct aux biens était une condition préalable à l’application de la garantie d’assurance contre les pertes d'exploitation. Or, les demanderesses n’ont pas prétendu avoir subi de perte ou de dommage matériel. La Cour a conclu que, dans les circonstances, les demanderesses n’avaient pas démontré l’existence d’une cause d’action valable et a donc rejeté leur demande d’autorisation.

La décision de la Cour est compatible avec la majorité des décisions rendues par les tribunaux des États-Unis, qui ont rejeté les requêtes visant des pertes d’exploitation liées à la pandémie de COVID-19. De plus, elle a été suivie par une décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire MDS Inc. v Factory Mutual Insurance Company. Même si cette dernière décision ne concernait pas une requête découlant d’une perte d’exploitation liée à la COVID-19, elle aura très probablement une incidence sur le traitement accordé par les tribunaux à de telles requêtes. Dans l’affaire MDS, la Cour d’appel a jugé que même dans le cas de polices tous risques, la simple « perte d’usage » non liée à des dommages matériels ne permettait pas de recouvrer les pertes financières, sauf indication contraire dans la police.

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