Bulletin

À l’instar d’autres provinces, l’Ontario impose un moratoire temporaire sur les expulsions de locataires qui sont des petites entreprises

Auteurs : Patrice Thomas et Agnès Pignoly

À l’heure où les gouvernements s’efforcent de soutenir les petites entreprises touchées par la pandémie de COVID-19, l’Ontario, à l’instar d’autres provinces, a imposé un moratoire sur les expulsions de locataires commerciaux qui sont des petites entreprises. Adoptée le 18 juin 2020, la Loi de 2020 visant à protéger les petites entreprises empêche temporairement les locateurs admissibles à une aide dans le cadre du programme d’Aide d’urgence du Canada pour le loyer commercial (l’ « AUCLC ») destinée aux petites entreprises de prendre certaines mesures à l’encontre des locataires touchés, notamment de demander leur expulsion ou d’exercer une saisie-gagerie pour des arriérés de loyer. La loi s’applique de manière rétroactive au 1er mai 2020.

Vous trouverez ci-dessous un résumé de la loi de l’Ontario et des incidences de celle-ci sur les locateurs et petites entreprises, ainsi qu’un survol des lois ou des mesures gouvernementales actuelles ou proposées similaires d’autres provinces.

Ontario : Loi de 2020 visant à protéger les petites entreprises

La Loi de 2020 visant à protéger les petites entreprises modifie la Loi sur la location commerciale. Entrée en vigueur le 18 juin 2020, elle le demeure jusqu’au 1er septembre 2020 ou à une date plus hâtive établie par la province (la « période de non-exécution »).

La loi s’applique à l’égard d’une location dans le cas où (i) le locateur est admissible à une aide dans le cadre de l’AUCLC, ou (ii) le locateur serait admissible à une aide dans le cadre de l’AUCLC s’il avait conclu avec le locataire touché une entente de réduction de loyer qui prévoit un moratoire sur l’expulsion, mais qu’il ne l’a pas fait.

Au cours de la période de non-exécution, les locateurs touchés ne peuvent exercer de droit de rentrée ni saisir des objets appartenant au locataire à titre de saisie-gagerie pour un arriéré de loyer. En outre, aux termes de la loi, les tribunaux ne peuvent ordonner que soit décerné un bref de mise en possession si un tel bref est demandé par le locateur en raison d’un arriéré de loyer. Rien ne vient limiter ces restrictions aux arriérés de loyer qui découlent des effets de la pandémie de COVID-19.

Si un locateur a droit à une aide aux termes de l’AUCLC, les interdictions décrites précédemment ne s’appliquent pas si la mesure est prise ou le droit est exercé une fois que le locateur a obtenu une aide. Par conséquent, un locataire qui a droit à une réduction de loyer aux termes de l’AUCLC ne sera pas protégé contre une expulsion s’il omet par la suite de payer son loyer ainsi réduit. En outre, la loi n’empêche pas un locateur d’exercer les autres droits dont il dispose à l’égard du manquement du locataire aux termes du bail (y compris en ce qui concerne le non-paiement du loyer).

La loi s’applique de manière rétroactive au 1er mai 2020. Si un locateur a exercé un droit de rentrée au cours de la période comprise entre le 1er mai 2020 et le 17 juin 2020, le locateur doit, dès que raisonnablement possible, restituer la possession des lieux au locataire et, s’il est dans l’incapacité de le faire pour quelque motif que ce soit (autre que le refus du locataire d’accepter la possession), le locateur doit indemniser le locataire pour tous les dommages qu’il a subis du fait de l’incapacité du locateur de restituer la possession. Dans le même ordre d’idée, si le locateur a saisi des objets du locataire à titre de saisie-gagerie pour un arriéré de loyer au cours de cette période, le locateur doit restituer les objets saisis qui demeurent invendus au locataire, dès que raisonnablement possible. Si le locateur ne se conforme pas à la loi ou omet de restituer la possession ou les objets saisis, s’il y a lieu, il est tenu des dommages subis par le locataire touché.

Québec : Projet de loi 61 visant la relance de l’économie du Québec

La Loi visant la relance de l’économie du Québec et l’atténuation des conséquences de l’état d’urgence sanitaire déclaré le 13 mars 2020 en raison de la pandémie de la COVID-19 (le Projet de loi 61) a été déposée devant l’Assemblée nationale du Québec le 3 juin 2020 (voir notre publication antérieure intitulée Projet de loi 61 visant la relance de l’économie du Québec). Des mesures additionnelles de protection des locataires commerciaux ont été ajoutées le 4 juin 2020. Le 12 juin, avant l’adoption du Projet de loi 61, l’Assemblée nationale du Québec a suspendu ses travaux jusqu’au 15 septembre.

Dans sa forme actuelle, le Projet de loi 61 prévoit la suspension, pendant la période commençant à la date de son adoption et se terminant le 1er août 2020 (ou à toute autre date précisée par le gouvernement), du droit des bailleurs de résilier les baux commerciaux, de saisir des biens contenus sur les lieux loués ou d’inscrire un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire en cas de non-paiement du loyer dû après le 13 mars 2020. Cette suspension des droits des bailleurs s’appliquerait nonobstant toute disposition du bail intervenu entre le bailleur et le locataire. Cette mesure ne s’applique pas aux baux résidentiels.

Jusqu’à l’adoption du Projet de loi 61, dans sa forme actuelle ou sous toute autre forme qui offrirait un allègement semblable aux locataires, les bailleurs du Québec ne sont pas visés par les restrictions décrites dans le Projet de loi 61.

Colombie-Britannique : Arrêté relatif à la location commerciale (COVID-19)

La Colombie-Britannique a pris l’Arrêté ministériel no M179 intitulé « Commercial Tenancy (COVID) Order », le 29 mai 2020, sous l’autorité de la loi de la province intitulée Emergency Program Act. L’arrêté demeure en vigueur jusqu’à la première des dates suivantes : (i) la date de la levée de l’état d’urgence dans la province (actuellement prévue pour le 7 juillet 2020) et (ii) le jour suivant la dernière date à laquelle une aide peut être obtenue aux termes de l’AUCLC.

L’arrêté s’applique aux locations pour lesquelles le locateur n’est pas admissible à l’AUCLC uniquement parce qu’il a choisi de ne pas conclure avec le locataire touché l’entente de réduction de loyer prescrite par le programme qui prévoit un moratoire sur l’expulsion. Par opposition à la législation ontarienne dont il est question précédemment, l’arrêté s’applique aussi expressément aux sous-locateurs et aux sous-locataires. Sont soustraits à l’application de l’arrêté les baux qui ont pour locateur une bande indienne ou une Première Nation précise ou dont le bien loué est détenu en fiducie pour le compte d’une bande indienne ou d’une Première Nation.

Comme c’est le cas en Ontario, au cours de la période précisée, les locateurs touchés de la Colombie-Britannique ne peuvent, en raison du défaut du locataire de payer son loyer, exercer un droit de rentrée, donner au locataire un avis de rentrée ou de résiliation du bail, saisir les biens du locataire au moyen d’une saisie-gagerie pour des arriérés de loyer ou prendre des mesures en vue de louer le bien loué au locataire pour le compte de celui-ci. L’arrêté ne limite pas par ailleurs l’exercice d’autres droits dont dispose le locateur en cas de non-paiement de loyer ou d’autre défaut du locataire aux termes du bail.

Saskatchewan : Arrêté ministériel relatif à la location commerciale

La Saskatchewan a imposé un moratoire temporaire sur l’expulsion des locataires commerciaux le 4 juin 2020 au moyen d’un arrêté ministériel d’urgence pris en vertu de la loi de la province intitulée Emergency Planning Act. L’arrêté est entré en vigueur le 4 juin 2020 et prend fin à la première des dates suivantes : (i) la date de la levée de l’état d’urgence dans la province (actuellement prévue pour le 24 juin 2020) et (ii) le jour suivant la dernière date à laquelle une aide peut être obtenue aux termes de l’AUCLC.

L’arrêté reprend de grands pans de la législation de la Colombie-Britannique, tant du point de vue de son application que du point de vue des limites imposées à la capacité des locateurs touchés d’exercer des droits contre leurs locataires en cas de non-paiement du loyer.

Alberta : Projet de loi 23 visant la protection des locations commerciales

En Alberta, le projet de loi intitulé Commercial Tenancies Protection Act a franchi l’étape de la deuxième lecture le 23 juin 2020. Si elle est adoptée, la loi s’appliquera de façon rétroactive au 17 mars 2020 et demeurera en vigueur jusqu’à la levée de l’état d’urgence dans la province. Même si la législation proposée vise les ententes de location en vigueur en date du 17 mars 2020, elle ne prévoit pas de remise en possession en cas d’expulsion ou de toute autre résiliation du bail si l’expulsion ou la résiliation en question s’est produite avant la date de la première lecture du projet de loi (à savoir le 16 juin 2020).

L’Alberta a annoncé que la législation proposée s’appliquera à deux catégories de locataires : (i) les locataires commerciaux qui auraient droit à l’AUCLC si leurs locateurs en avaient fait la demande (ce qui est semblable à l’approche adoptée par l’Ontario, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan); et (ii) les locataires commerciaux qui ont eu à fermer leurs entreprises en raison des mesures imposées par les autorités de santé publique ou dont le revenu a chuté de 25 % ou plus en raison de la pandémie.

La législation proposée interdirait aux locateurs d’expulser de tels locataires, d’effectuer une saisie-gagerie pour des arriérés de loyer ou d’exercer tout autre droit conféré par le bail ou de résilier le bail pour les motifs suivants : (i) le non-paiement du loyer ou des arriérés de loyer en raison de circonstances qui échappent à la volonté du locataire; (ii) le fait qu’une disposition de force majeure ou que la doctrine du contrat inexécutable soit invoquée; ou (iii) une violation de la clause d’occupation continue, dans chaque cas si la situation est causée par la pandémie de COVID-19. Cette exigence voulant que le motif découle de la pandémie de COVID-19 tranche avec les mesures adoptées par les autres provinces dont il est question précédemment. La législation proposée interdirait également aux locateurs d’augmenter le loyer ou d’imposer des pénalités en cas de paiement tardif ou de non-paiement du loyer pendant la période visée et imposerait aux locateurs qui l’ont fait au cours de la période en question l’obligation de rembourser à leurs locataires le montant de l’augmentation de loyer ou de la pénalité ou d’appliquer de telles sommes en réduction des sommes qui leur sont dues.

Les locataires incapables d’acquitter leur loyer en raison de la pandémie de COVID-19 seront tenus de conclure un plan de paiement avec leur locateur, étant entendu toutefois que si le locataire omet de se conformer au plan de paiement après la levée de l’état d’urgence dans la province, le locateur sera en mesure de se prévaloir de tous les droits qui lui sont conférés par le bail.

Fait important à noter, la législation proposée prévoit expressément qu’elle ne limite pas le droit du locateur d’expulser un locataire ou par ailleurs de résilier le bail en cas de certains manquements importants précisés.

Reste à voir la mesure dans laquelle la législation proposée sera appliquée, notamment si elle s’appliquera pour redonner effet à des locations qui ont été résiliées pendant la période visée.

Nouvelle-Écosse : Instruction ministérielle prise en vertu d’un état d’urgence déclaré 20-001

La Nouvelle-Écosse a déclaré un moratoire sur l’expulsion des locataires commerciaux par voie d’instruction ministérielle le 27 mars 2020. L’instruction est entrée en vigueur le 31 mars 2020 et le restera jusqu’à la levée de l’état d’urgence dans la province (actuellement prévue pour le 28 juin 2020) ou jusqu’à une date plus hâtive fixée par la province.

En comparaison avec les mesures adoptées par d’autres provinces, le moratoire imposé par la Nouvelle-Écosse n’est pas conditionnel à l’admissibilité du locateur à l’AUCLC. L’instruction s’applique plutôt au non-paiement de loyer par des locataires commerciaux, dont ceux du commerce de détail, qui ont eu à fermer leurs entreprises ou dont les activités ont été « entravées de façon directe et importante » par un arrêté des autorités de santé publique pris en raison de la COVID-19. Tant que l’état d’urgence demeure en vigueur dans la province, l’instruction empêche le locateur d’exercer contre un locataire touché, à l’égard de tout arriéré de loyer dû le 22 mars 2020 et par la suite, le droit de lui transmettre un avis d’expulsion ou d’effectuer une saisie-gagerie aux termes d’un bail commercial, d’une entente de location, de la loi intitulée Tenancy and Distress for Rent Act ou qui lui est par ailleurs conféré.

Autres éléments à prendre en considération

Même si les mesures gouvernementales décrites précédemment visent à protéger les locataires qui sont des petites entreprises, certaines questions pratiques continuent de se poser aux locateurs et aux locataires, dont les suivantes :

  • Contrairement aux arrêtés de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan, la législation de l’Ontario ne s’applique pas expressément aux sous-locateurs et aux sous-locataires. Aux termes de l’AUCLC, un locataire admissible qui a conclu un arrangement de sous-location est également admissible si la structure de la location respecte les critères du programme. Compte tenu des objectifs de la législation de l’Ontario, une interprétation large des termes « locateur » et « locataire » comprenant les sous-locateurs et sous-locataires serait vraisemblablement appropriée dans les circonstances.
  • Dans les provinces où la possibilité de se prévaloir des mesures de protection accordées aux locataires dépend de l’admissibilité du locateur à l’AUCLC, il reste à voir si les locateurs touchés qui sont visés par les mesures mises en place sont empêchés de sévir au cours de la période de non-exécution contre des locataires qui refusent de conclure une entente de réduction de loyer. Le locateur est-il tenu de continuer de tenter de négocier une entente de réduction de loyer avec un locataire qui ne lui répond pas ou qui est déraisonnable?
  • L’Alberta et la Nouvelle-Écosse sont les seules provinces à exiger que l’événement (c’est-à-dire l’arriéré de loyer ou tout autre manquement) pouvant donner ouverture à l’exercice d’un droit par le locateur faisant l’objet d’une interdiction soit lié à la pandémie de COVID-19. Même si c’était probablement l’objectif dans les autres provinces, la portée plus large des mesures adoptées par celles-ci restreint la capacité des locateurs touchés d’exercer des droits qui leur sont conférés par les baux dans les cas où l’arriéré de loyer ou tout autre manquement est causé par des facteurs autres que la pandémie de COVID-19.
  • Même si les mesures de protection des locataires mises en place dans certaines provinces imposent des restrictions quant aux droits dont se prévalent habituellement les locateurs, elles ne les empêchent pas d’exercer d’autres droits dont ils disposent en cas de non-paiement du loyer ou de tout autre manquement d’un locataire aux termes d’un bail. En pratique, toutefois, compte tenu des objectifs de ces mesures, il pourrait être difficile pour les locateurs de s’adresser aux tribunaux afin d’obtenir l’expulsion d’un locataire ou de se prévaloir d’un autre droit, particulièrement en Ontario où il est interdit aux tribunaux d’ordonner que soit décerné un bref de mise en possession pour des arriérés de loyer pendant la période de non-exécution.

Pour obtenir plus de renseignements au sujet de l’AUCLC, veuillez vous reporter à notre publication antérieure intitulée Aide d’urgence du Canada pour le loyer commercial : précisions et questions pratiques.

Personnes-ressources

Connexe

Réforme majeure de l’expropriation au Québec

5 déc. 2023 - La Loi concernant l’expropriation a été adoptée le 29 novembre dernier. Elle s’applique aux expropriations initiées par le gouvernement du Québec et les corps municipaux. La Loi instaure des changements importants, notamment en ce qui concerne la contestation du droit à...