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La Loi sur la corruption d’agents publics étrangers du Canada : deux condamnations additionnelles dans l’affaire Cryptometrics

Auteurs : Léon H. Moubayed, Chantelle Cseh et Patrice Labonté

Deux individus ont été récemment condamnés à 30 mois d’emprisonnement après avoir été déclarés coupables d’avoir convenu de corrompre un agent public étranger en vertu de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (la « Loi »)1 du Canada. Il s’agit d’ailleurs des deuxième et troisième condamnations rendues en vertu de la Loi à l’issue d’un procès. À ce jour, dans tous les autres cas, les accusés ont plaidé coupable ou ont bénéficié d’un arrêt des procédures.

Contexte de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers

La Loi est le fruit de la ratification par le Canada, aux côtés de 43 autres pays, de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales.

Pour les cas de corruption d’agents publics étrangers qui se sont produits entre le 14 février 1999 (la date d’entrée en vigueur de la Loi) et 2013, tout individu ou organisation peut faire l’objet de poursuites criminelles au Canada, dans la mesure où un lien réel et important est établi entre le territoire canadien et l'infraction en question2. Ainsi, pour cette période précise, la compétence canadienne est limitée à l’aspect territorial. Cette compétence peut être établie en tenant compte de plusieurs facteurs, qui comprennent tant les aspects légitimes qu’illégitimes des actes reprochés3. Ceux-ci incluent, par exemple, le fait pour le Canada d’être le territoire où l’avantage indu ou les bénéfices tirés des actes reprochés produisent leurs effets, le lieu où les personnes bénéficiant des actes de corruption allégués ou y ayant participé sont situées, ou encore le lieu où sont situés les preuves et témoins.

En outre, la compétence des tribunaux canadiens a été grandement élargie par un amendement à la Loi survenu en 2013. Depuis cette date, tout citoyen canadien ou personne morale constituée au Canada peut être poursuivi au Canada pour corruption d’un agent public à l’étranger (ou pour dissimulation comptable qui y est liée) malgré l’absence de lien territorial additionnel avec le Canada4. La nationalité, même seule, permet donc d’établir la compétence canadienne.

L’affaire Cryptometrics

La GRC a mené une vaste enquête après une dénonciation anonyme transmise en 2007 au Département de la justice américain alléguant l’existence d’ententes en vue de verser des pots-de-vin à des agents publics indiens. Ces pots-de-vin visaient à assurer l’attribution par Air India de contrats lucratifs à Cryptometrics, une entreprise canadienne qui se spécialisait dans des logiciels de sécurité. Quatre personnes (un Canadien, un ressortissant britannique et deux ressortissants américains) ont fait l’objet d’accusations criminelles en vertu de la Loi dans cette affaire.

La première condamnation après procès au Canada en vertu de la Loi

À l’issue d’un premier procès5, le Canadien Nazir Karigar a été trouvé coupable d’avoir convenu de verser 200 000 $ US à des employés d’Air India afin que Cryptometrics soit préautorisée comme soumissionnaire à une demande de proposition, ainsi que 250 000 $ US au ministre indien de l’Aviation civile afin d’assurer son approbation du contrat avec Cryptometrics. Le contrat n’a finalement jamais été accordé à Cryptometrics, et les relations entre les représentants de Cryptometrics et M. Karigar se sont dégradées jusqu’à ce que ce dernier dénonce Cryptometrics aux autorités américaines.

Le juge de première instance et la Cour d’appel de l’Ontario ont tous deux confirmé la compétence des tribunaux canadiens pour juger les infractions alléguées à l’encontre de M. Karigar. Puisque les événements reprochés ont eu lieu avant l’amendement à la Loi de 2013, la compétence territoriale devait être établie plutôt que la compétence fondée sur la nationalité. Or, la Cour a conclu à la présence d’un lien réel et important entre l’infraction et le Canada puisque Cryptometrics et M. Karigar étaient Canadiens, le travail devant être effectué aux termes du contrat et les revenus qui devaient en découler étaient prévus au Canada et la quasi-totalité de la preuve et des témoins étaient situés au Canada.

Le juge de première instance a conclu que l’infraction de « convenir de donner» ou d’« offrir » un avantage à un agent public étranger n’exige pas la preuve d’une entente avec un agent public étranger, ni d’un paiement à celui-ci. Ainsi, outre les scénarios dans lesquels un agent public étranger accepte de recevoir un paiement, l’infraction vise également les accords qui ont pour objet d’offrir un pot-de-vin à un agent public étranger. Par ailleurs, la Cour d’appel de l’Ontario a également conclu que la corruption d’un agent public étranger est une infraction en vertu de la Loi, même si celui-ci n’a ni le pouvoir ni l’autorité nécessaire pour influencer la décision visée. La seule preuve d’un accord visant à offrir des pots-de-vin suffit. M. Karigar a été condamné à trois ans de prison le 23 mai 2014.

Les deux condamnations additionnelles

Le 7 mars 2019, la Cour supérieure de l’Ontario a condamné l’Américain Robert Barra et le Britannique Shailesh Govindia à 30 mois de prison chacun à la suite du deuxième procès dans l’affaire Cryptometrics. La Cour s’est penchée sur une seconde entente visant à verser des pots-de-vin dans cette affaire, à savoir le paiement par M. Govindia d’un montant additionnel de 500 000 $ US au ministre indien de l’Aviation civile pour l’obtention du contrat également convoité dans le cadre de l’entente intervenue avec M. Karigar6. Après l’échec de l’entente conclue avec M. Karigar, le président directeur général de Cryptometrics, M. Barra, a contacté M. Govindia pour qu’il assure la poursuite de l’entente. Bien que M. Govindia n’ait pas été au courant de la première entente entre Cryptometrics et M. Karigar, la Cour a retenu que M. Govindia avait participé au même complot que ceux-ci.

Le juge de première instance a notamment indiqué que pour que l’infraction soit commise, l’accusé devait savoir que la personne à qui le pot-de-vin était destiné était un agent public étranger. Puisque M. Barra et M. Govindia ignoraient que les employés d'Air India étaient des agents publics étrangers au sens de la Loi, ils ont été acquittés pour cette partie des accusations.

Finalement, l’Américain Dario Berini devra à son tour faire face à la justice en 2019 pour des accusations similaires.

L’impact de la Loi sur les organisations

Bien que Cryptometrics n’ait pas été accusée dans cette affaire, la participation de ses cadres supérieurs au complot de corruption aurait pu entraîner sa responsabilité criminelle directe7.

À cet égard, des amendements au Code criminel entrés en vigueur le 21 septembre 2018 donnent maintenant au poursuivant la discrétion de conclure avec une organisation accusée d’un crime économique un « accord de réparation ». Lorsqu’un tel accord est conclu, les poursuites contre l’organisation sont suspendues. L’accord de réparation doit obligatoirement contenir certains éléments, notamment une déclaration de faits et une reconnaissance de responsabilité de la part de l’organisation et l’engagement de mettre en place ou d’améliorer des mesures de conformité et de payer une pénalité financière8. Les infractions pouvant faire l’objet d’un accord de réparation incluent la corruption d’agents publics étrangers et la tenue ou destruction de livres comptables en vue de faciliter ou de dissimuler la corruption d’agents publics étrangers9.

En aval, les organisations devraient connaître la Loi et ses conséquences potentielles. Elles devraient également se munir de programmes de prévention et de conformité robustes dans le but d'éviter la commission d’actes criminels par leurs employés, et ainsi éviter les conséquences liées à la réputation et au droit criminel qui en découlent.

1Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (LC 1998, c 34). Le verdict de culpabilité a été rendu le 11 janvier 2019.
2R c. Libman, [1985] 2 RCS 178; K. c. Karigar, 2017 ONCA 576, paras 24, et 29 à 32.
3R c. Karigar, 2017 ONCA 576, paras 21 et 30.
4Article 5 de la Loi.
5R c. Karigar, 2013 ONSC 5199.
6R c. Barra and Govindia, 2018 ONSC 57.
7Code criminel, LRC (1985), c C-46, art 22.
8Ibid., Partie XXII.1, Accords de réparation, art 715.3 et s.
9Ibid., Annexe de la Partie XXII.1, art 2.

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Léon H. Moubayed
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