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Avertissement aux sociétés ouvertes : même si vous avez de bonnes raisons de ne pas divulguer, il pourrait s’agir d’une présentation inexacte des faits

Auteurs : Patricia L. Olasker et Chantelle Cseh

Dans une décision qui étonnera les dirigeants et les conseillers de sociétés ouvertes, un tribunal ontarien a statué qu’une société ouverte qui avait refusé de divulguer l’avis d’un consultant parce qu’elle était convaincue que ce dernier avait tort – ce qui s’est par la suite avéré – pouvait néanmoins engager sa responsabilité pour une présentation inexacte des faits pour avoir omis de divulguer cet avis.

Dans l’affaire Wong v. Pretium Resources, 2017 ONSC 3361 (l’« affaire Wong ») (en anglais), la Cour supérieure de justice de l’Ontario a autorisé le demandeur à intenter une action contre la société minière canadienne Pretium Resources Inc. pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire. Les allégations portaient sur la décision de Pretium de ne pas divulguer les préoccupations exprimées par l’un de ses consultants externes au sujet de résultats négatifs obtenus suivant l’échantillonnage de minéraux au projet phare Brucejack de Pretium. Pretium était convaincue que les préoccupations exprimées par son consultant n’étaient pas fondées et que les résultats de l’échantillonnage étaient inexacts. Elle a donc décidé de ne pas divulguer ces préoccupations au marché lorsqu’elles ont été exprimées.

Même s’il s’est finalement avéré que Pretium avait raison de juger non fiables les résultats de l’échantillonnage de minéraux, la Cour a conclu qu’un « investisseur raisonnable » aurait considéré les préoccupations du consultant comme un élément important, peu importe le point de vue de la société. La Cour a donc conclu que les préoccupations exprimées par le consultant représentaient des faits importants qui devaient être divulgués par Pretium dès leur expression par le consultant.

La décision soulève deux questions importantes :

  1. En appliquant le « critère de l’investisseur raisonnable » et en ne tenant apparemment pas compte de l’incidence que la non-divulgation alléguée aurait eue sur le cours des valeurs mobilières de Pretium (à savoir, le « critère de l’incidence sur le marché »), la décision soulève la question suivante : quel critère les sociétés devraient-elles appliquer lorsqu’elles prennent des décisions importantes au sujet de l’importance relative d’un élément et de la divulgation en découlant?
  2. La survenance d’un nouvel événement ou d’un fait négatif incertain devrait-elle donner naissance à une obligation de divulgation immédiate, ou les sociétés ouvertes devraient-elles avoir droit à un certain délai pour enquêter avant de devoir procéder à la divulgation?

Contexte

En 2011, Pretium a entrepris un programme d’exploration minière au projet Brucejack, mine d’or souterraine située dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique. En novembre 2012, Pretium a chargé Snowden Mining Industry Consultants d’examiner les résultats initiaux de son programme d’exploration minière et de réaliser une estimation des ressources minérales à l’égard du projet Brucejack. En juin 2013, un autre tiers consultant s’est servi de l’estimation des ressources minérales pour réaliser une étude de faisabilité, qui a conclu que la quantité d’or associée au projet Brucejack suffisait pour soutenir une exploitation souterraine d’abattage non sélectif. Comme la validité de l’étude de faisabilité était tributaire de l’exactitude de l’estimation des ressources minérales sous-jacentes, Snowden a recommandé que Pretium vérifie les résultats de cette estimation en analysant un échantillon en vrac de 10 000 tonnes provenant du site. Pretium a chargé Strathcona Mineral Services d’entreprendre l’excavation et l’analyse de l’échantillon. Étant donné que l’installation d’usinage à forfait destinée à traiter l’échantillon de 10 000 tonnes n’était pas disponible, Pretium a accepté d’utiliser une méthode d’essai par tour d’échantillonnage comme moyen supplémentaire et provisoire d’évaluer l’échantillon en vrac. Il convient de noter que la tour d’échantillonnage ne permettait l’analyse que d’une toute petite fraction de l’ensemble de l’échantillon en vrac de 10 000 tonnes qui devait être analysé dans le cadre du programme d’échantillonnage en vrac.

Les résultats obtenus au moyen de la tour d’échantillonnage, défavorables à Pretium, n’appuyaient pas l’estimation des ressources minérales sur laquelle reposait l’étude de faisabilité. Dans une série de courriels et de lettres, Strathcona a indiqué à Pretium que les résultats obtenus au moyen de la tour d’échantillonnage ne validaient pas l’estimation des ressources minérales et lui a fortement recommandé de publier ces résultats qui, selon Strathcona, rendaient l’estimation des ressources minérales « inexacte d’une manière importante » et « non fiable ».

Étant donné à la fois la petite taille de l’échantillon utilisé pour les besoins de la tour d’échantillonnage et la possibilité d’un degré élevé de variabilité dans l’échantillon de 10 000 tonnes, Pretium n’a pas jugé déterminant les résultats obtenus au moyen de la tour d’échantillonnage. Elle a décidé d’attendre les résultats définitifs qui résulteraient de l’analyse de l’ensemble de l’échantillon en vrac de 10 000 tonnes.

Le 7 octobre 2013, Strathcona a démissionné du programme d’échantillonnage en vrac en guise de protestation, ce que Pretium a divulgué dans un communiqué deux jours plus tard. Le 22 octobre, dans un autre communiqué, Pretium a résumé les raisons invoquées par Strathcona pour démissionner et a expliqué pourquoi elle estimait non fondées les préoccupations de Strathcona au sujet des résultats obtenus au moyen de la tour d’échantillonnage. Entre le 9 et le 22 octobre, le cours de l’action de Pretium a chuté de plus de 50 %.

Finalement, comme Pretium l’avait pressenti depuis le début, les résultats obtenus au moyen de la tour d’échantillonnage se sont révélés inexacts. À la fin du programme d’échantillonnage en vrac, les résultats de l’estimation des ressources minérales ont été confirmés et l’étude de faisabilité a été validée.

Positions des parties

L’actionnaire demandeur a demandé l’autorisation d’intenter un recours collectif contre Pretium pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire en vertu de l’article 138.3 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario (la « LVMO »). Le demandeur a soutenu que les préoccupations de Strathcona quant aux résultats obtenus au moyen de la tour d’échantillonnage représentaient un fait important qui devait être divulgué au moment où Strathcona les avait exprimées, alléguant que l’omission par Pretium d’inclure ce fait important dans ses communiqués, ses déclarations de changement important et ses rapports de gestion publiés pendant la période concernée constituait une présentation inexacte des faits par omission. Pretium a fait valoir qu’aucune divulgation n’était requise pendant cette période; les préoccupations de Strathcona avaient fait l’objet de discussions tant au sein de Pretium qu’avec son consultant Snowden, et il avait été décidé de ne pas divulguer ces préoccupations parce qu’elles étaient prématurées, non fiables et, par conséquent, dénuées d’importance.

Décision

La Cour a conclu qu’il était raisonnablement possible que les arguments du demandeur (selon lesquels les préoccupations de Strathcona revêtaient de l’importance et auraient dû être divulguées) soient accueillis au moment du procès et a accordé au demandeur l’autorisation de poursuivre.1

Le fait que Pretium a véritablement cru que les résultats obtenus au moyen de la tour d’échantillonnage n’étaient pas fiables, ce qui s’est finalement avéré, n’excluait pas la possibilité raisonnable qu’un tribunal de première instance juge que les préoccupations de Strathcona constituaient un fait important qui devait être divulgué dans l’information continue de Pretium au moment où ces préoccupations ont été exprimées pour que l’information continue de Pretium ne soit pas trompeuse.

En concluant que les préoccupations de Strathcona représentaient des faits importants qui devaient être divulgués, la Cour a appliqué le critère de l’investisseur raisonnable. La Cour a conclu que le fait que deux cabinets d’experts-conseils miniers réputés dont Pretium avait retenu les services avaient des avis très contradictoires quant à la valeur des minéraux sur le site était important, car il s’agissait d’une information importante pour un investisseur raisonnable. La Cour a jugé pertinent le fait que Pretium avait précédemment annoncé la participation de Strathcona au programme d’échantillonnage en vrac au marché et que la société avait qualifié Strathcona de « cabinet réputé » et d’« expert reconnu » dans 12 communiqués distincts, dont six publiés au cours de la période en question. Il est intéressant de noter que la Cour n’a pas pris en considération l’incidence (le cas échéant) de la non-divulgation des préoccupations de Strathcona par Pretium sur le cours des valeurs mobilières de celle-ci.

Importance relative dans les actions civiles pour présentation inexacte des faits

Selon le libellé de la LVMO, un fait est important s’« il est raisonnable de s’attendre qu’il aura un effet appréciable sur le cours ou la valeur » des valeurs mobilières d’une société (paragraphe 1(1) de la LVMO). Ce critère de l’incidence sur le marché a été appliqué à maintes reprises par les tribunaux et les commissions de valeurs mobilières partout au pays (y compris la Cour suprême du Canada et la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario) pour évaluer l’importance relative aux termes de la législation canadienne sur les valeurs mobilières, notamment lorsqu’il s’agissait d’établir s’il y avait eu présentation inexacte des faits (au sens de la LVMO) dans l’information publique d’une société. En fait, une grande partie de la jurisprudence se rapportant aux actions civiles pour présentation inexacte des faits adopte et applique le critère de l’incidence sur le marché, qui offre l’avantage de permettre aux parties de quantifier l’importance relative de manière objective. Les économistes experts peuvent analyser le cours de l’action d’une société et quantifier l’incidence qu’aurait la divulgation ou la non-divulgation d’un élément d’information en particulier sur le cours ou la valeur des valeurs mobilières de la société.

Importance relative dans d’autres actions ayant trait à la divulgation

En évaluant l’importance relative aux termes de la LVMO dans d’autres affaires ayant trait à la divulgation (par exemple les mesures d’exécution de la loi en vertu de l’article 122 de la LVMO), les tribunaux et les commissions de valeurs mobilières ont également pris en considération et appliqué le critère de l’investisseur raisonnable. Selon ce critère, une information est importante lorsqu’un investisseur raisonnable l’estimerait importante au moment de prendre une décision d’investissement. Il faut noter, comme l’a confirmé la Cour divisionnaire de l’Ontario dans l’affaire Cornish v. Ontario Securities Commission, 2013 ONSC 1310 (en anglais), que le critère de l’investisseur raisonnable établit un seuil moins élevé que le critère de l’incidence sur le marché, car les éléments d’information qu’un investisseur raisonnable pourrait vouloir connaître ne sont pas tous susceptibles d’avoir une incidence sur le cours ou la valeur d’une valeur mobilière.

Confusion dans la jurisprudence

Les tribunaux canadiens n’ont pas appliqué tout à fait uniformément les critères de l’incidence sur le marché et de l’investisseur raisonnable, de sorte que des conclusions concernant l’importance relative ont été tirées dans la jurisprudence, comme c’est le cas dans l’affaire Wong, en l’absence d’un examen approprié du critère pertinent établi dans la législation canadienne sur les valeurs mobilières, à savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce que l’information ait un effet appréciable sur le cours ou la valeur des valeurs mobilières d’une société. Il en résulte une grande incertitude pour les sociétés qui doivent évaluer en temps réel l’importance relative, notamment quant au critère devant servir à établir l’information importante devant être divulguée au marché.

Moment de la divulgation : une approche sensée?

Dans l’affaire Wong, la Cour de l’Ontario a conclu que l’obligation de divulguer un avis négatif était immédiate, malgré les efforts diligents déployés par Pretium pour examiner l’avis qu’elle croyait, à juste titre, erroné. En juin 2017, la District Court américaine du district sud de New York a rejeté en totalité le recours collectif correspondant exercé contre Pretium aux États-Unis. En rejetant les demandes des demandeurs, le tribunal américain a examiné le moment où l’obligation de Pretium de divulguer l’avis de Strathcona avait pris naissance. Le tribunal américain a conclu que, même si Pretium était tenue à une divulgation à la fois exacte et complète, la société avait également le droit d’enquêter sur l’information potentiellement négative avant de faire des déclarations au marché (voir In re Agnico-Eagle Mines Ltd. Sec. Litig., No. 11 Civ. 7968 (JPO), 2013 WL 14404, S.D.N.Y., 14 janvier 2013) (en anglais). Le tribunal américain a constaté que Pretium avait pris tout au plus quatre mois pour examiner les préoccupations de Strathcona avant de procéder à la divulgation et que, compte tenu de toutes les circonstances (notamment la taille et l’étendue du projet ainsi que la nature des avis divergents des consultants de Pretium), il s’agissait d’un délai raisonnable pour effectuer de telles recherches. Le tribunal américain a donc conclu que la contestation par les demandeurs quant au moment de la divulgation par Pretium (qui se trouvait au cœur de la position du demandeur canadien dans l’affaire Wong) ne suffisait pas pour faire droit à une demande pour fraude en valeurs mobilières.

Points clés à retenir

Malgré la confusion entourant les critères applicables en matière d’importance relative qui règne dans la jurisprudence, la Cour divisionnaire a refusé, en décembre 2017, l’autorisation d’interjeter appel de la décision rendue dans l’affaire Wong. Par conséquent, la décision demeure, et les sociétés et leurs conseillers juridiques restent aux prises avec des questions difficiles en matière de divulgation et le risque de responsabilité civile pouvant en découler.

Il ressort de la décision rendue dans l’affaire Wong les points clés suivants :

  • La Cour a réaffirmé que la LVMO a pour objectif premier la protection des investisseurs; l’application de la loi en ce qui concerne l’importance relative dans cette décision devrait être considérée sous cet angle.
  • L’importance relative ne doit pas être évaluée rétrospectivement. Le fait que Pretium a finalement eu raison de juger inexacts les résultats obtenus au moyen de la tour d’échantillonnage ne constitue pas un facteur déterminant devant être pris en considération par la Cour dans l’évaluation de l’importance relative de l’information au moment applicable.
  • Lorsqu’elles évaluent l’importance relative, les sociétés devraient comprendre que les tribunaux ne s’en remettront pas à l’appréciation commerciale des dirigeants pour déterminer si la divulgation publique est requise.
  • Compte tenu de l’incertitude qui semble se dégager de la jurisprudence quant au critère approprié qu’il faut appliquer pour évaluer la possibilité qu’une société soit tenue responsable à l’égard d’une présentation inexacte des faits dans l’information qu’elle communique au public, les émetteurs devraient analyser leurs décisions en matière de divulgation en fonction à la fois du critère de l’incidence sur le marché et du critère de l’investisseur raisonnable.
  • Comme les tribunaux et les commissions de valeurs mobilières du Canada peinent à élaborer une approche rationnelle en matière de divulgation dans un contexte juridique caractérisé par l’absence de toute intention d’induire en erreur, les décisions américaines susmentionnées offrent beaucoup de matière à réflexion.

1Pour déterminer s’il autorisera ou non le demandeur à intenter une action pour présentation inexacte des faits en vertu du paragraphe 138.8(1) de la LVMO, le tribunal examine le bien-fondé de la cause du demandeur et évalue s’« il est raisonnablement possible que l’action soit réglée au moment du procès en faveur du demandeur ».

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