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Concurrence et examen des investissements étrangers – grandes tendances de 2015

Auteurs : Anita Banicevic, Charles Tingley, Hillel W. Rosen, George N. Addy et Stéphane Eljarrat

Les grandes tendances à suivre en matière de concurrence et d’examen de l’investissement étranger que nous avons retenues pour 2015 dénotent une convergence de certains thèmes clés. Entre autres, l’évolution du paysage réglementaire est marquée par une administration et une mise en application de la Loi sur la concurrence et de la Loi sur Investissement Canada de plus en plus influencées par ce qui suit :

  • L’accent sur l’industrie de la consommation. Le Bureau de la concurrence continuera probablement de concentrer ses efforts de mise en application de la loi sur l’industrie de la consommation en 2015, les politiques élaborées et les dossiers récents ou en cours se rapportant à des questions comme la santé et les produits pharmaceutiques, la vente au détail de produits d’épicerie, les services de répartition numérique dans l’industrie du taxi, le iPhone et les pratiques commerciales trompeuses dans l’environnement numérique.
  • La visée et les conséquences internationales. La coopération entre autorités de la concurrence de différents pays ne cesse de s’améliorer, ce qui oblige les parties visées par une enquête à être vigilantes en ce qui a trait au traitement réservé à leurs renseignements confidentiels et à l’accès à la preuve donné aux autorités de mise en application de la loi dans d’autres territoires. En outre, l’impact des déclarations de culpabilité (y compris aux termes d’ententes de règlement) liées à diverses infractions comme celles qui concernent la concurrence, les pratiques commerciales trompeuses ou la corruption, au Canada ou ailleurs, constitue une menace grandissante pour les opérations commerciales mondiales dans des secteurs connexes comme l’admissibilité aux marchés avec les administrations publiques.
  • L’influence du programme du gouvernement. Les politiciens fédéraux mesurent les politiques et les programmes législatifs pour tenir compte de l’élection fédérale prévue pour cette année, comme en témoignent les modifications récentes à la Loi sur la concurrence qui ont été édictées et proposées et que le Bureau de la concurrence aura à appliquer à compter de 2015. Les examens de l’investissement étranger en vertu de la Loi sur Investissement Canada pourraient particulièrement être influencés par le cycle électoral en ce qu’ils tendent à accentuer les sensibilités politiques et à réduire la prévisibilité du processus d’examen.

Dans nos prévisions pour l’année à venir, nous voyons comment ces grands thèmes conjugués aux événements de 2014 viennent influencer l’émergence des questions et des tendances à suivre en 2015.


Amélioration de la collaboration internationale en matière d’antitrust et d’accès à la preuve

La tendance générale qui a vu les organismes de mise en application des lois sur la concurrence du monde augmenter leur collaboration se poursuivra sans doute en 2015 dans la foulée de l’engagement du commissaire de la concurrence à renforcer ses liens avec ses homologues étrangers. En 2014, en phase avec cet engagement, le Bureau de la concurrence (ou Bureau) a notamment conclu avec la commission de la concurrence indienne un protocole d’entente visant à faciliter la communication et la collaboration entre les deux organismes, tenu des réunions avec les autorités en concurrence chinoises pour améliorer la collaboration avec elles et publié conjointement avec les autorités antitrust fédérales américaines les pratiques exemplaires de collaboration entre le Bureau, d’une part, et le Department of Justice et la Federal Trade Commission (FTC) des États-Unis, d’autre part, dans les enquêtes sur les fusions transfrontalières.

Par exemple, en juillet 2014, la Cour américaine du district du Maryland a ordonné à une société située aux États-Unis de produire des documents auprès de la FTC au nom du Bureau de la concurrence. Les documents se rapportaient à l’instance civile en cours au Canada contre des fournisseurs de services de télécommunications sans fil et leur association commerciale relativement à des indications trompeuses qu’auraient données des tiers fournisseurs de contenu dans la publicité visant les services de messagerie texte à supplément. La cour a pu obliger la société américaine à produire les documents en vertu des dispositions du Code des États-Unis qui permettent aux tribunaux américains d’aider des parties à des instances devant des tribunaux étrangers. C’est la première fois qu’une cour américaine a ainsi aidé le Bureau à obtenir de l’information dans le cadre d’une enquête liée à une instance civile.

La décision de procéder ainsi pour obtenir des documents indique que le Bureau de la concurrence est disposé à contourner les mécanismes directs de collecte de la preuve, y compris les interrogatoires dans les instances civiles canadiennes, dont la surveillance relève des tribunaux canadiens et qui impliquent la comparution des parties visées par l’enquête. Les pouvoirs du Bureau au chapitre de la collecte de la preuve en vertu du droit canadien pourraient également être étendus si sont adoptées des modifications proposées à la Loi sur la concurrence qui visent à élargir le pouvoir qu’a le Bureau de forcer directement la production d’information appartenant à des membres étrangers du même groupe que des entités qui exercent des activités au Canada.

Les sociétés visées par des enquêtes ou des instances en matière de concurrence doivent être conscientes des risques de devoir produire ou de voir échanger entre des organismes de surveillance de la concurrence leurs propres renseignements confidentiels de nature délicate ou ceux de tiers et savoir que ces risques existent peu importe où se trouvent ces renseignements.

Engagement du Bureau de la concurrence à donner suite au programme axé sur le consommateur du gouvernement fédéral, notamment la réglementation anti-pourriel et les enquêtes sur l’écart de prix entre le Canada et les États-Unis

Le Bureau de la concurrence est un organisme indépendant de mise en application de la loi, mais il n’est pas imperméable aux priorités politiques du gouvernement fédéral, surtout dans une année électorale comme 2015. Selon le plan annuel 2014-2015 du Bureau (document publié pour la première fois l’an dernier dans le cadre de l’initiative de transparence du commissaire), l’une des quatre priorités déclarées du Bureau est celle de « s’harmoniser avec les priorités du gouvernement du Canada et [d’] y donner suite ». Le Bureau a aussi fait savoir qu’il se livrera à des activités donnant suite au programme du gouvernement axé sur le consommateur, notamment :

  • La mise en œuvre eet la mise en application des aspects pertinents de la loi anti-pourriel canadienne (Loi anti-pourriel), dont la plupart des dispositions sont en vigueur depuis le 1er juillet 2014. Le Bureau a conclu avec le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et le commissaire à la protection de la vie privée un protocole d’entente qui clarifie le rôle de chaque organisme et les mesures que chacun d’entre eux prendra pour assurer leur collaboration et la coordination de leurs efforts respectifs de mise en application de la Loi anti-pourriel. Dans le cadre des modifications législatives qui ont accompagné la mise en œuvre ede la Loi anti-pourriel, des modifications ont été apportées à la Loi sur la concurrence pour permettre au Bureau d’intenter des procédures dans le cas où des indications trompeuses font partie des renseignements sur l’expéditeur ou de l’objet d’un message électronique, peu importe que (i) l’indication soit trompeuse sur un point important (facteur généralement déterminant dans le cas des autres types d’indications) ou que (ii) l’indication soit réellement reçue par quiconque (l’infraction consistant à envoyer l’indication trompeuse).
  • La poursuite des démarches de promotion du Bureau relativement à des questions liées aux télécommunications ou aux services sans fil au moyen d’interventions et d’observations auprès du CRTC. En 2014, le commissaire de la concurrence a plusieurs fois présenté devant le CRTC des observations soutenant fortement des interventions précises des organismes de réglementation dans le secteur des services sans fil de gros en vue d’éliminer l’intérêt pour les fournisseurs de services titulaires (qui, selon le commissaire de la concurrence, détiennent une puissance commerciale sur le marché de la vente au détail) d’adopter des stratégies qui empêchent les nouveaux fournisseurs de devenir de véritables concurrents.
  • Une étude des intervenants fonctionnels du secteur de la vente de bière au détail en Ontario et au Québec. L’entente conclue entre The Beer Store et la Régie des alcools de l’Ontario a attiré l’attention des médias, et une association de restaurateurs a demandé au Bureau de se pencher sur cette entente.
  • La mise en œuvre des modifications proposées récemment à la Loi sur la concurrence dans le projet de loi C-49, Loi sur la transparence en matière de prix, visant à régler la question de la discrimination transfrontalière par les prix « injustifiée » et à réduire l’écart de prix entre le Canada et les États-Unis. Les modifications proposées permettraient au commissaire d’enquêter et de publier des rapports sur l’étendue et les raisons de l’écart entre les prix demandés au Canada et États-Unis par des compagnies précises, mais n’iraient pas jusqu’à interdire ou à pénaliser les différences de prix. D’importantes préoccupations existent toujours au sujet des propositions relatives à l’écart de prix prévues par le projet de loi C-49, notamment en ce qui a trait à l’efficacité d’un régime ne comportant aucun élément correctif, à la complexité éventuelle d’une analyse de l’écart de prix entre deux pays et à la manière dont le commissaire s’y prendra pour choisir les produits, les fournisseurs et les niveaux de distribution à étudier dans le cadre d’une enquête menée en vertu de ces nouveaux pouvoirs. Malgré les questions qui se posent, le gouvernement semble bien décidé à adopter le projet de loi C-49 en 2015.

Loi sur Investissement Canada en période électorale et grand retard du règlement

Avec l’élection fédérale prévue en 2015, on peut s’attendre à ce qu’une plus grande sensibilité politique entoure les projets d’opérations assujetties à l’examen et à l’approbation du gouvernement en vertu de la Loi sur Investissement Canada (LIC). Les partis étant clairement déjà en mode électoral, les opérations très médiatisées qui sont assujetties à un examen en vertu de la LIC feront sans doute l’objet d’une analyse très poussée qui risque d’allonger ou de rendre moins prévisibles les délais d’examen et d’augmenter la pression pour que soient obtenus des engagements visant « l’avantage net » à saveur politique. Seront de nature particulièrement sensible les investissements assujettis à un examen qui pourraient avoir un effet important sur l’emploi au Canada, qui concernent des entreprises d’État ou qui soulèvent des questions de sécurité nationale pour le Canada ou ses proches alliés. Le phénomène du cycle électoral s’ajoute à la participation et au contrôle déjà importants du Cabinet et du Premier ministre dans les examens de nature délicate menés en vertu de la LIC, qui ont rendu la démarche d’obtention de l’approbation réglementaire plus difficile pour les investisseurs étrangers assujettis à un examen en vertu de la LIC.

Les parties à des opérations au Canada risquent de continuer à ressentir les effets des démarches suivantes du gouvernement fédéral :

  • l’interprétation des règles sur les entreprises d’État édictées en 2013 de manière à augmenter l’étendue de l’examen des opérations auxquelles participent des investisseurs contrôlés ou influencés par des entreprises d’État et l’application des critères de l’examen à ces opérations, même si des intervenants importants continuent de s’interroger sur la possibilité que ces mesures découragent indûment l’investissement étranger au Canada;
  • l’élaboration d’une réglementation technique mettant en œuvre e de nouveaux seuils financiers qui serviront à déterminer quelles acquisitions directes du contrôle d’entreprises canadiennes non culturelles sont assujetties à l’examen en vue d’en établir l’avantage net pour le Canada en vertu de la LIC. Une fois adoptée, la réglementation aurait pour effet de remplacer le seuil d’examen actuel applicable à la valeur des actifs (fixé à 369 millions de dollars pour 2015) par un seuil fondé sur la « valeur d’affaire », fixée au départ à 600 millions de dollars et augmentant pour atteindre un milliard de dollars dans quatre ans. Les investissements par des entreprises d’État demeureraient assujettis au critère fondé sur la valeur des actifs inférieur dans le cadre de l’examen visant à établir l’avantage net pour le Canada;
  • le perfectionnement du processus d’examen des investissements susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale, qui manque de transparence et qui peut s’appliquer à presque tous les investissements dans des entreprises canadiennes, qu’elle qu’en soit la taille. On recense un cas seulement d’investissement qui aurait été refusé pour des raisons de sécurité nationale par suite d’un examen, mais d’autres opérations auraient aussi été abandonnées pour des raisons de sécurité nationale invoquées par le gouvernement.

Les investisseurs étrangers ont tout intérêt à tenir compte des processus d’examen en vertu de la LIC et des répercussions que ceux-ci peuvent avoir sur tout projet d’acquisition ou d’investissement dans des entreprises canadiennes.

Renforcement de la mise en application de la loi et sévérité des peines en matière de corruption des agents publics étrangers

Dans la prochaine année, nous nous attendons à ce que le nombre de poursuites augmente et à ce que le gouvernement continue de chercher à obtenir des sentences sévères en vertu de la Loi sur la corruption des agents publics étrangers (Loi sur la corruption). On estime que 30 enquêtes ont été lancées en vertu de la Loi sur la corruption, en partie en réaction aux critiques formulées sur la scène internationale à l’égard du Canada, à qui l’on reprochait un laxisme apparent au chapitre de la mise en application de la loi. En outre, l’an dernier, après la première instance contestée en vertu de la Loi sur la corruption, un homme d’affaires d’Ottawa a écopé d’une peine d’emprisonnement de trois ans pour avoir orchestré la corruption d’agents étrangers en Inde dans le cadre de démarches d’obtention d’un contrat de sécurité avec Air India. La peine d’emprisonnement revêt une importance singulière en ce que l’affaire portait sur la simple entente de verser des pots-de-vin, la poursuite n’ayant pas fait la preuve du versement comme tel et le contrat en cause n’ayant finalement pas été accordé au représentant de l’accusé. De plus, la peine a été imposée en vertu de l’ancienne version de la Loi sur la corruption, qui prévoyait une peine maximale de cinq ans. La loi actuelle prévoit une peine maximale de 14 ans et, pour les sociétés, des amendes fixées à la discrétion du tribunal. (L’amende la plus élevée jusqu’à présent s’est élevée à 10,35 millions de dollars.)

Selon un membre de l’unité de lutte contre la corruption de la GRC cité dans des rapports de presse récents, la GRC s’emploie davantage à faire respecter la Loi sur la corruption et s’intéresse particulièrement aux versements de pots-de-vin par les particuliers. L’on peut s’attendre à une année 2015 intéressante à ce chapitre, notamment dans le dossier des accusations pour corruption portées contre trois ressortissants étrangers par la GRC l’an dernier dans l’affaire d’Air India, qui pourraient mener à des demandes d’extradition des accusés afin que ceux-ci subissent leur procès au Canada.

Les sociétés qui exercent des activités au Canada ont tout intérêt à mettre en place une politique claire en matière de conformité à la législation sur la corruption canadienne et étrangère et à former des personnes clés en la matière qui sauront bien la comprendre. Pour en savoir davantage au sujet de la Loi sur la corruption, cliquer ici.

Perfectionnement de l’approche en matière de mise en application de la loi dans le secteur pharmaceutique

Le Bureau de la concurrence a établi que le secteur pharmaceutique est d’importance significative pour l’économie canadienne et semble vouloir augmenter ses efforts de mise en application de la loi dans ce secteur en 2015.

L’intérêt du Bureau pour le secteur pharmaceutique est évident : après une première série de mises à jour et de révisions de ses lignes directrices sur la propriété intellectuelle en 2014, il en entame une deuxième en 2015. Cette deuxième série se distingue de la première du fait qu’elle prévoit que la « non-utilisation » des droits de propriété intellectuelle pourrait soulever des questions en vertu de la Loi sur la concurrence aux yeux du Bureau. Ce serait le cas, par exemple, du fabricant de médicaments de marque qui cesse de vendre un produit breveté sur le point de faire l’objet de concurrence de la part d’un substitut générique. Après la fin de l’enquête en matière d’abus de position dominante de l’an dernier visant Alcon Canada, qui se serait livrée à un tel comportement, le Bureau a déclaré qu’il s’employait activement à identifier les cas de permutation de produits, pratique à laquelle se livrent les fabricants de médicaments innovateurs en vue d’éviter la concurrence des fabricants de substituts génériques qui cherchent à entrer sur le marché. On pense, par exemple, au fabricant du produit de marque qui cesse de vendre la première version d’un produit dont la protection par brevet est sur le point d’expirer pour amener le consommateur à utiliser une nouvelle version du produit dont la protection par brevet est encore longue.

Le Bureau s’affaire aussi à mettre au point son approche de mise en application de la loi en ce qui a trait aux règlements « par paiements inversés » de litiges en matière de brevets entre les fabricants de médicaments de marque et les fabricants de substituts génériques. Dans le cadre de ces règlements, les litiges au sujet de la validité ou de la violation du brevet du fabricant de médicaments de marque comportent notamment des paiements versés par celui-ci au fabricant du produit générique accusé de la violation et un engagement par ce dernier de reporter la mise en marché du générique. En se penchant sur ces questions, le Bureau suit l’exemple des autorités en concurrence américaines et européennes, qui s’y intéressent depuis déjà quelques années.

Le Bureau a aussi indiqué que le Canada pourrait profiter d’un système de notification des règlements de litiges pharmaceutiques semblable à celui des États-Unis et de l’Union européenne. Ce système permettrait au Bureau d’accéder directement aux détails des ententes de règlement en matière de brevets, ce qui lui éviterait de devoir mener ses propres enquêtes. En outre, le commissaire a publié un livre blanc énonçant son avis préliminaire selon lequel les dispositions criminelles a priori sur les complots de la Loi pourraient s’appliquer à une certaine conduite comportant le versement de paiements inversés. Ce point de vue, que le Bureau étudie actuellement, distinguerait le Canada des autres pays clés et changerait la donne de façon importante pour les sociétés pharmaceutiques qui veulent régler leurs litiges en matière de brevets touchant le Canada.

On s’attend à d’autres indications sur ces questions de la part du Bureau en 2015 ainsi qu’à la tenue de consultations sur les révisions apportées aux lignes directrices sur l’application de la loi en matière de propriété intellectuelle plus tard dans l’année. D’ici là, les sociétés pharmaceutiques devraient s’attendre à ce que le Bureau leur porte une attention très particulière, notamment dans le cadre de ses efforts de mise en application de la loi.

L’application des dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses demeure prioritaire

Le Bureau continue d’enquêter activement sur les cas de publicité trompeuse, et nous ne nous attendons à aucun ralentissement de ces efforts en 2015. Vers la fin de 2014, le Bureau a conclu un règlement dans deux affaires découlant d’allégations de promotion trompeuse, à savoir une instance portant sur la vente porte-à-porte de chauffe-eau (ayant mené au paiement de sanctions pécuniaires de 7 millions de dollars) et une enquête portant sur des indications de rendement au sujet d’un casque de hockey. Nous nous attendons à ce que l’application vigoureuse des dispositions relatives aux infractions civiles et criminelles se poursuive en 2015 à l’égard d’une variété de pratiques commerciales trompeuses, dont les indications trompeuses, les avertissements non conformes, les indications de rendement, le prix de vente ordinaire, les faux témoignages et les indications de nature environnementale. En 2015, on suivra notamment les questions suivantes :

  • La poursuite des instances contestées relatives aux « prix partiels » qui auraient été utilisés par certains détaillants de meubles. Selon le Bureau, les campagnes de publicité des sociétés en question donneraient l’impression générale qu’aucun paiement n’est exigible au moment de l’achat malgré l’existence de certains frais, dont le consommateur est informé seulement lors de l’achat lui-même plutôt qu’avant.
  • Le retour des enquêtes sur le « prix de vente ordinaire ». Le Bureau a fait savoir qu’il reçoit plus de plaintes qu’avant à ce sujet, ce qui pourrait l’amener à nouveau à concentrer ses efforts de mise en application de loi sur les pratiques en cause.
  • Les attestations ou cautions fausses en ligne. Le Bureau a indiqué que ces pratiques font l’objet d’enquêtes en cours. L’intérêt que le Bureau porte aux pratiques commerciales trompeuses en ligne ou dans des plateformes numériques s’inscrit dans le droit fil des préoccupations qu’il a déclaré entretenir à l’égard des indications données au moyen de plateformes numériques, surtout en lien avec la protection de la vie privée, la publicité visant les enfants et les indications visionnées sur des appareils mobiles (les limites de ce média pouvant influencer l’impression générale qu’a le consommateur du message reçu).

La marée de fusions continuera-t-elle sa montée?

Les dépôts d’avis de fusion au Bureau sont de nouveau aussi nombreux qu’avant la crise financière. Le Bureau a entamé l’examen de 230 fusions pendant son exercice 2013-2014 et il en aura entamé environ 35 % de plus en 2014-2015 si la tendance se poursuit. L’augmentation du nombre de fusions a amené le Bureau à se livrer à un examen approfondi des avis déposés, ce qui a permis d’obtenir des mesures correctives par consentement dans six fusions et ce qui aurait entraîné l’abandon de deux opérations projetées dont l’échec serait attribuable aux préoccupations du Bureau (l’une dans le secteur du bois et des matériaux de construction et l’autre dans celui des services de télécommunications offerts par des fournisseurs exploitant des installations). Les mesures correctives obtenues par consentement par le Bureau en 2014 semblent indiquer que les engagements visant les pratiques commerciales seraient la solution privilégiée aux problèmes liés à la concurrence que soulèvent les fusions, et qu’ils seraient utilisés au lieu des désinvestissements structurels ou encore conjointement avec ces derniers. Les engagements visant les pratiques commerciales ont été retenus comme seules mesures correctives dans trois des six cas et se sont ajoutés aux désinvestissements structurels dans deux des trois autres cas.

C’est dans ce contexte de foisonnement des fusions que s’inscrira la décision de la Cour suprême du Canada, qui doit se prononcer sur l’appel de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Tervita. Ce sera la première fois depuis sa décision dans l’affaire Southam en 1997 que la Cour suprême se penchera sur une affaire de fusion. Elle pourrait profiter de l’occasion pour jeter de la lumière sur la question de la « prévention » des litiges en matière de concurrence et sur la portée de la défense fondée sur les gains en efficience pouvant s’appliquer dans le cas de fusions qui empêchent ou diminuent sensiblement la concurrence. L’affaire est intéressante aussi parce qu’il s’agit d’un cas où le Bureau a choisi de contester une fusion ne nécessitant pas de préavis de fusion.

Avenir de l’abus de position dominante

Les événements suivants de 2014 en matière d’abus de position dominante pourraient changer le paysage de la mise en application de la loi dès 2015 :

  • La Cour suprême du Canada a refusé l’autorisation d’appel d’une décision de la Cour d’appel fédérale (CAF) de 2014 qui étendait la portée des dispositions sur l’abus de position dominante à toute conduite qui a un effet sur un marché dans lequel l’entité supposément dominante n’exerce pas elle-même d’activités. La CAF avait renversé la décision de 2013 du Tribunal de la concurrence qui rejetait la demande du commissaire de la concurrence à l’encontre du Toronto Real Estate Board (TREB), lequel reprochait au TREB d’abuser de sa position dominante. Le commissaire avait contesté les règles du TREB, qui avaient selon lui des effets anticoncurrentiels sur le marché des services de courtage immobiliers résidentiels, marché dans lequel le TREB (une chambre immobilière) n’exerçait pas lui-même des activités mais dans lequel ses membres auraient été dominants. Tant que le principe établi dans le jugement de la CAF n’a pas été mis à l’épreuve dans d’autres instances judiciaires, y compris le nouvel examen de l’affaire TREB que doit faire le Tribunal de la concurrence en mai 2015, les sociétés ou les associations commerciales qui pourraient être dominantes auraient tout intérêt à se demander si leur conduite risque d’avoir un effet d’exclusion important ou d’autres conséquences anticoncurrentielles importantes sur des marchés dans lesquels elles n’exercent aucune concurrence (comme des marchés adjacents en aval ou en amont).
  • En novembre 2014, le Bureau a réussi pour la première fois à faire infliger une sanction pécuniaire en vertu des dispositions sur l’abus de position dominante. Le commissaire a déposé une demande contre Reliance Comfort Limited Partnership concernant des politiques et des procédures de retour de chauffe-eau qui, selon lui, auraient visé à empêcher les consommateurs de cesser de faire affaire avec cette société et de choisir des concurrents dans le secteur des chauffe-eau résidentiels. Dans le cadre du règlement, Reliance a convenu de payer une sanction pécuniaire de 5 millions de dollars. Une autre demande en matière d’abus de position dominante est toujours en cours devant le Tribunal de la concurrence. Dans l’affaire Direct Energy Marketing Limited, à qui l’on reproche une conduite semblable dans le secteur des chauffe-eau résidentiels, le Bureau demande une ordonnance qui, notamment, obligerait la société à payer une sanction pécuniaire de 15 millions de dollars. L’audition de la cause devrait commencer en mars 2015.
  • Le Bureau poursuit ses enquêtes en cours sur les pratiques d’approvisionnement de certaines sociétés qui pourraient être dominantes. Après son examen de la fusion entre Loblaw et Shoppers en 2014, le Bureau a ouvert une enquête sur les pratiques de Loblaw relatives aux prix payés à ses fournisseurs, y compris certaines pratiques relatives aux contrats entre Loblaw et ses fournisseurs qui faisaient référence aux prix de détaillants concurrents (l’une de ces pratiques consistant à obliger le fournisseur à dédommager Loblaw des prix inférieurs demandés par les détaillants concurrents de Loblaw pour les produits du fournisseur). Jusqu’à présent, le Bureau a réussi à obtenir de nombreuses ordonnances judiciaires forçant certains des fournisseurs de Loblaw à communiquer des renseignements pertinents pour l’enquête.
  • Une autre enquête en cours du Bureau porte sur les clauses potentiellement anticoncurrentielles prévues dans les ententes entre Apple Canada Inc. et les fournisseurs canadiens de services sans fil qui imposent à ces derniers des obligations se rapportant à la vente et à la mise en marché des iPhones. Selon le Bureau, ces pratiques pourraient faire augmenter le prix que paye le consommateur canadien pour les appareils et les services sans fil. En décembre 2014, le commissaire a obtenu une ordonnance qui obligeait Apple Canada Inc. à fournir des documents dans le cadre de l’enquête.

Augmentation possible des instances criminelles contestées en matière de concurrence

La mise en application des dispositions criminelles sur les complots et le truquage des offres de la Loi sur la concurrence continuera d’occuper une place importante dans le programme de travail du Bureau, si l’on en juge par les demandes continuelles qui découlent des programmes d’immunité et de clémence du Bureau ainsi que des témoignages du public au sujet des allégations de corruption et de truquage des offres au Québec. En 2014, le gouvernement a porté plusieurs nouvelles accusations contre des particuliers et des sociétés relativement à de supposés cas de truquage des offres dans la conclusion de marchés publics aux paliers fédéral et municipal. Les conséquences de condamnations criminelles en vertu de la Loi sur la concurrence étant devenues beaucoup plus lourdes depuis quelques années, on pourrait voir se multiplier en 2015 les cas d’accusés qui choisissent de se défendre dans des instances contestées au lieu de conclure des transactions pénales pour régler une accusation.

Plus particulièrement, le Bureau continue de faire savoir qu’il est déterminé dans son intention d’obtenir des peines d’emprisonnement pour les particuliers qui participent à des cartels de nature criminelle, surtout maintenant que les modifications apportées au Code criminel ont éliminé la possibilité des peines avec sursis dans le cas des infractions de truquage des offres, de complot et d’indications publicitaires trompeuses prévues par la Loi. De même, en plus des amendes et des autres conséquences, il est interdit à toute société reconnue coupable de certaines infractions criminelles prescrites (y compris en vertu de la Loi sur la concurrence et de la Loi sur la corruption des agents publics étrangers) de participer à la plupart des appels d’offres du gouvernement fédéral pendant 10 ans selon le Cadre d’intégrité administré par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. Cette politique s’applique aussi aux condamnations aux termes de transactions pénales, y compris en vertu du Programme de clémence. En mars 2014, on a grandement élargi la liste des infractions entraînant l’inadmissibilité aux marchés publics, notamment en y ajoutant les « infractions similaires commises à l’étranger ».

Actions civiles : les justiciables privés avantagés par les décisions de la Cour suprême du Canada dans des affaires relatives à la Loi sur la concurrence

Dans nos dernières prévisions annuelles, nous avions fait état des trois décisions importantes rendues en octobre 2013 dans lesquelles la Cour suprême du Canada avait reconnu aux acheteurs indirects (comme les détaillants et les consommateurs) le droit de faire valoir des réclamations en dommages-intérêts et en restitution dans des recours collectifs fondés sur des allégations de violation de la législation en concurrence. La Cour a fixé la barre relativement bas pour l’autorisation de ces recours. Les tribunaux canadiens ont depuis autorisé un certain nombre de recours collectifs en matière de concurrence, et d’autres demandes d’autorisation d’exercer un recours collectifs seront entendues en 2015, dont certaines portant sur des allégations de complots relatifs à des lecteurs de disques optiques, à des piles au lithium-ion, à des tubes cathodiques et à diverses pièces d’automobile.

En octobre 2014, la Cour suprême du Canada a rendu une autre importante décision dans Pétrolière Impériale c. Jacques en statuant qu’un justiciable privé pouvait avoir accès aux fruits de l’écoute électronique obtenus dans le cadre d’une enquête pénale par le Bureau de la concurrence dans une affaire de fixation des prix de l’essence et que les protections prévues par la Loi sur la concurrence en matière de confidentialité ne pouvaient servir à empêcher cet accès. Les avocats des demandeurs dans un recours collectif qui avait suivi avaient tenté d’obtenir les enregistrements et les transcriptions de l’écoute électronique qui avaient été communiqués aux défendeurs dans le cadre des procédures relatives à un complot criminel toujours en cours. La Cour suprême du Canada a confirmé la décision de la Cour supérieure du Québec permettant que les enregistrements et les transcriptions soient communiqués aux avocats du litige civil, mais imposé certaines restrictions pour protéger les droits de tiers qui n’étaient pas parties au litige.

À mesure que certains des recours collectifs relatifs aux acheteurs indirects, entre autres, se rendent à l’étape du procès et que d’autres points pratiques sont soulevés au cours d’un grand nombre de ces recours et des interrogatoires préalables, nous nous attendons à voir se dégager de nouveaux principes qui serviront à guider la défense de ces recours. Quoiqu’il en soit, les risques de faire l’objet d’une enquête ou d’un recours collectif ou de devoir communiquer des documents et d’autres dossiers ne font que renforcer les bienfaits de la mise en œuvre eactive de politiques de conformité.

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