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Pas d’attentisme, dit la Cour suprême du Canada : les effets potentiels d’une loi peuvent entraîner son inapplicabilité constitutionnelle

18 juin 2025

Dans Opsis Services aéroportuaires inc. c. Québec (Procureur général), 2025 CSC 17 (Opsis), la Cour suprême du Canada (CSC) a statué qu’une loi peut être déclarée constitutionnellement inapplicable à une entreprise dont les activités relèvent du cœur d’une compétence exclusive de l’autre ordre de gouvernement sur le seul fondement d’effets de la loi qui ne se sont pas encore matérialisés. Les entreprises principalement réglementées par un seul ordre de gouvernement – fédéral ou provincial – ne devraient pas hésiter à obtenir des conseils juridiques si elles craignent que des exigences réglementaires émanant de l’autre ordre de gouvernement interfèrent avec leurs activités. 

Points clés

  • La doctrine de l’exclusivité des compétences s’applique lorsqu’une loi provinciale ou fédérale entrave le cœur – ou le contenu essentiel – d’une compétence exclusive de l’autre ordre de gouvernement. La loi reste valide, mais les dispositions à l’origine de l’entrave sont déclarées inapplicables aux matières (pouvant inclure des entreprises) qui relèvent du cœur de la compétence exclusive.
  • En 2007, dans l’affaire Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, la CSC avait déclaré qu’elle ne privilégiait pas une utilisation trop large de la doctrine, puisque celle-ci empêche l’application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement. Elle avait déclaré que l’application de la doctrine devrait en général se limiter aux situations déjà traitées par les tribunaux.
  • Dans Opsis, la doctrine a toutefois été appliquée à une situation pour laquelle il n’existait pas de précédent explicite, ce qui démontre que l’approche de la CSC reste flexible et que la doctrine de l’exclusivité des compétences continue de jouer un rôle essentiel dans notre cadre constitutionnel.
  • Opsis démontre également que les tribunaux peuvent déclarer une loi constitutionnellement inapplicable en se fondant uniquement sur ses effets, qu’ils se soient matérialisés ou non. De la preuve additionnelle peut être utile, mais elle n’est pas requise.
  • Une entrave peut survenir, entre autres, lorsque les activités d’une entreprise sont sérieusement gênées par des exigences réglementaires qui sont déraisonnables, qui impliquent des coûts excessivement élevés ou qui accordent un pouvoir discrétionnaire si large que les autorités ont le dernier mot sur la possibilité pour l’entreprise d’exercer ses activités. 

Contexte 

Opsis Services aéroportuaires inc. (Opsis) gère le centre d’appels d’urgence de l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal. Services maritimes Québec inc. (SMQ) est chargée de surveiller et de contrôler l’accès aux installations portuaires de Pointe-au-Pic. Toutes deux ont reçu des constats d’infraction du Bureau de la sécurité privée (Bureau), l’organisme de réglementation responsable de l’application de la Loi sur la sécurité privée du Québec (Loi), pour avoir exercé des activités de sécurité privée sans détenir les permis requis. 

Il était acquis qu’Opsis et SMQ n’étaient pas titulaires de tels permis. Opsis et SMQ ont plutôt contesté les constats d’infraction au motif que la Loi leur était constitutionnellement inapplicable. 

Décision 

La CSC a décidé que la Loi dans son ensemble était constitutionnellement inapplicable à Opsis et à SMQ. 

Elle a conclu que les activités liées à la sécurité d’Opsis et de SMQ s’inscrivaient dans le cadre des compétences exclusives du Parlement du Canada sur l’aéronautique (dans le cas d’Opsis) et sur la navigation et les bâtiments ou navires (dans le cas de SMQ). La CSC est parvenue à cette dernière conclusion en dépit de l’absence de tout précédent établissant spécifiquement que la sécurité des installations maritimes et de leurs opérations est au cœur de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires.

La CSC a ensuite jugé que certains aspects du régime de permis prévu par la Loi entravaient le cœur de ces compétences fédérales exclusives. 

Les exigences relatives à l’obtention de permis – y compris celles qui étaient spécifiquement invoquées à l’encontre d’Opsis et de SMQ dans les constats d’infraction – ne créaient pas elles-mêmes d’entrave. 

L’entrave découlait plutôt des pouvoirs du Bureau de suspendre, de révoquer ou de refuser de renouveler un permis en cas de violation des normes de comportement pouvant être édictées par le Bureau par voie de règlement, ou en cas de violation des directives pouvant être émises par le Bureau à l’intention d’un titulaire de permis d’agence concernant ses activités de sécurité privée. Ces dispositions, si elles avaient été appliquées à Opsis et à SMQ, auraient permis au Bureau d’avoir le dernier mot sur la manière dont leur activités – relevant de compétences fédérales exclusives – doivent être menées. 

Il est donc intéressant de noter que l’entrave a été établie sur la base d’effets de la Loi qui ne s’étaient pas matérialisés. Le Bureau n’avait exercé aucun des pouvoirs entravants à l’encontre d’Opsis ou de SMQ. À cet égard, la CSC a indiqué que les tribunaux ne devaient pas supposer que les autorités gouvernementales agiraient de manière à ne pas interférer avec le cœur des compétences exclusives de l’autre ordre de gouvernement.

Alors que seuls les aspects entravants d’une loi devraient généralement être déclarés constitutionnellement inapplicables, la CSC a déterminé qu’en l’espèce, ces aspects ne pouvaient pas être dissociés du reste de la Loi. C’est donc la Loi dans son ensemble qui a été déclarée inapplicable à Opsis et SMQ.

Conclusion 

Opsis offre un rappel utile aux entreprises principalement réglementées par un seul ordre de gouvernement : celles-ci ne devraient pas hésiter à obtenir des conseils juridiques lorsqu’elles sont confrontées à des exigences émanant de l’autre ordre de gouvernement. Même si les exigences en cause ne semblent pas particulièrement contraignantes, un examen de l’ensemble de la loi concernée pourrait révéler une potentielle entrave à une compétence exclusive et permettre l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences.