Projet de loi 5 : Approche proposée par l’Ontario afin d’accélérer la réalisation de grands projets
En réponse à l’incertitude économique actuelle dans le monde, le gouvernement de l’Ontario a présenté récemment le projet de loi 5, Loi de 2025 pour protéger l’Ontario en libérant son économie. Le projet de loi 5 vise à simplifier et à accélérer les processus d’approbation des grands projets miniers et d’infrastructure en Ontario, et prévoit de nouveaux pouvoirs en vue de protéger la « chaîne d’approvisionnement nationale stratégique en minéraux ». Grâce à l’accélération des travaux de construction, le gouvernement de l’Ontario souhaite améliorer la compétitivité de l’Ontario et atténuer l’incidence des perturbations actuelles du commerce mondial. La consultation sur le Registre environnemental de l’Ontario prend fin le 17 mai 2025. En outre, le projet de loi 5 a été renvoyé au Comité permanent des affaires intérieures, qui tiendra des audiences publiques les 22 et 26 mai 2025. Les mémoires peuvent être présentés jusqu’au 26 mai 2025.
Principales propositions de modification prévues dans le projet de loi 5
- Création de zones économiques spéciales désignées. Selon la Loi de 2025 sur les zones économiques spéciales, des règlements pourront être pris en vue de désigner des zones économiques spéciales qui revêtent un intérêt stratégique pour l’économie de l’Ontario. Dans ces zones, les promoteurs fiables et les projets désignés par règlement bénéficieraient d’exigences simplifiées en matière d’octroi de permis et pourraient être exemptés de certaines exigences réglementaires, y compris certains règlements municipaux applicables. L’Ontario a pour objectif de désigner la première zone économique spéciale d’ici septembre 2025. Ce projet visant à utiliser des zones économiques spéciales pour accélérer les projets qui revêtent un intérêt économique stratégique trouve écho dans le projet de loi de la Colombie-Britannique sur les projets d’infrastructure déposé le 1er mai 2025, qui a pour but de simplifier le processus d’autorisation et d’approbation des projets d’importance provinciale, qui seront désignés par règlement. La Colombie-Britannique a confirmé que l’élaboration des règlements d’application du projet de loi se fera en consultation avec les Premières Nations, et le premier ministre Eby a affirmé que seuls les projets ayant reçu l’aval des Premières Nations et appartenant à des intérêts britanno-colombiens seront pris en considération pour être désignés comme projets d’importance provinciale. Aucune disposition de ce type n’est prévue en ce moment en Ontario pour la désignation des projets qui revêtent un intérêt économique stratégique.
- Mise sur pied d’un régime « un projet, une évaluation ». Une nouvelle approche « un projet, une évaluation » serait établie sous le régime de la Loi sur les mines de l’Ontario en vue de simplifier le processus de délivrance des permis pour les projets miniers désignés, notamment en mettant en place (i) une équipe chargée de la délivrance des autorisations et permis miniers qui collaborera avec les promoteurs afin de préparer des plans intégrés de délivrance de permis; et (ii) des normes de services contraignantes pour tous les ministères provinciaux afin de réduire de 50 p. 100 le temps nécessaire à la réalisation des examens effectués par le gouvernement provincial. Ces nouvelles normes de service ne s’appliqueraient pas aux évaluations environnementales (les « ÉE ») réalisées conformément à la Loi sur les évaluations environnementales (la « LÉA ») de l’Ontario, ou au temps nécessaire pour que l’Ontario (ou le promoteur) mène des consultations auprès des groupes autochtones concernant des projets miniers. Comme il ne s’attaque pas au temps considérable nécessaire à la réalisation des ÉE et à la tenue de consultations auprès des Autochtones, le projet de loi 5 en soi ne devrait pas permettre d’accélérer de manière importante le développement des projets miniers désignés.
- Promulgation d’une nouvelle loi sur la conservation des espèces. La Loi de 2007 sur les espèces en voie de disparition de l’Ontario serait immédiatement modifiée en vue d’accélérer le calendrier des projets et remplacée ultérieurement par la nouvelle Loi de 2025 sur la conservation des espèces (la « LCE »). Selon la LCE, presque tous les promoteurs seraient autorisés à entreprendre des travaux d’aménagement dès leur enregistrement en ligne, dans la mesure où ils se conforment aux exigences réglementaires applicables. Ces exigences seraient publiées dans le Registre environnemental de l’Ontario aux fins de commentaire et devraient entrer en vigueur au début 2026. En outre, la LCE (i) permettrait de resserrer la définition d’habitat protégé et de retirer le terme « harceler » de la liste des activités interdites; (ii) ne s’appliquerait expressément pas aux espèces aquatiques et aux oiseaux migratoires protégés par la législation fédérale; et (iii) conférerait à l’Ontario un nouveau pouvoir discrétionnaire lui permettant d’ajouter des espèces à la Liste des espèces en péril en Ontario ou d’exiger un nouvel examen à l’égard de certaines d’entre elles.
- Pouvoirs discrétionnaires en vue de protéger la chaîne d’approvisionnement nationale stratégique en minéraux. De nouveaux pouvoirs discrétionnaires seraient établis sous le régime de la Loi sur les mines de l’Ontario en vue de la prise d’un arrêté – s’il est souhaitable pour la protection de la chaîne d’approvisionnement nationale stratégique en minéraux – (i) de restreindre l’enregistrement ou le transfert des claims miniers; (ii) sous réserve de l’approbation du lieutenant-gouverneur, de refuser la délivrance d’un bail, et d’annuler ou de révoquer des claims miniers non concédés par lettres patentes ou un permis d’occupation; (iii) de résilier un bail portant sur des terrains miniers ou des droits miniers; ou (iv) de suspendre ou de restreindre le compte d’un utilisateur du système d’administration des terrains miniers de l’Ontario ou d’interdire à une personne de s’inscrire comme utilisateur du système. Dans la prise d’un arrêté, le ministre de l’Énergie et des Mines de l’Ontario devrait tenir compte de toute évaluation des risques fournie par le ministère du Solliciteur général, des intérêts économiques de l’Ontario et de tout autre facteur prescrit. Ces pouvoirs pourraient être utilisés si des préoccupations sont soulevées concernant la propriété ou la participation étrangère dans le secteur minier (notamment certains investissements étrangers dans le secteur minier au Canada qui sont susceptibles d’être soumis à un examen de l’avantage net ou relatif à la sécurité nationale conformément à la Loi sur Investissement Canada du fédéral). Diverses modifications sont aussi proposées à la Loi de 1998 sur l’électricité de l’Ontario et à la Loi de 1998 sur la Commission de l’énergie de l’Ontario en vue de limiter la participation étrangère dans le secteur de l’électricité en Ontario, notamment en établissant des exigences concernant le pays d’origine dans les contrats d’approvisionnement en électricité.
Un fédéralisme coopératif renforcé?
La volonté de l’Ontario d’accélérer la mise en œuvre de grands projets s’inscrit dans la foulée des engagements récents du premier ministre Carney visant à (i) mettre en place un guichet unique pour les décisions relatives aux projets, par l’intermédiaire d’un Bureau des grands projets fédéraux, afin que les décisions fédérales définitives soient rendues dans un délai de deux ans; et à (ii) aller de l’avant avec l’approche « Un projet, une évaluation » en signant des ententes de coopération et de substitution aux termes de la loi fédérale intitulée Loi sur l’évaluation d’impact (la « LÉI »), afin de permettre au gouvernement fédéral de reconnaître les évaluations réalisées par les provinces, les territoires et les communautés autochtones.
En pratique, l’objectif du modèle « Un projet, une évaluation » a été difficile à atteindre au Canada. Bien que la LÉI (et les lois qui l’ont précédée) permettait la coopération et la substitution, la Colombie Britannique est la seule province à avoir utilisé un processus de substitution; les pratiques d’évaluation coopérative ou coordonnée au Canada n’ont pas permis d’atteindre cet objectif déclaré de longue date. Les évaluations fédérales et provinciales ont plutôt été menées en grande partie en parallèle, avec des niveaux de coopération variables selon la province. Dans le secteur minier, cela s’est traduit par des processus provinciaux et fédéraux lents, redondants et complexes pour l’évaluation de nouvelles mines et l’octroi de permis.
Pour régler ces problèmes, l’Ontario a récemment demandé l’abrogation de la LÉI. Le gouvernement fédéral a indiqué qu’il travaillerait plutôt dans le cadre de la LÉI existante afin de reconnaître de plus en plus les processus d’ÉE d’autres administrations. Cette approche proposée est conforme aux directives formulées par la Cour suprême du Canada dans le cadre du Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, qui soulignent la nécessité d’un fédéralisme coopératif renforcé en matière de processus d’ÉE. Toutefois, sans l’octroi de fonds suffisants aux organismes de réglementation provinciaux et fédéraux et sans l’instauration d’une culture de l’urgence, il reste à voir si les pouvoirs actuellement conférés par la LÉI sur le plan des examens préalables, de la coopération et de la substitution, dont il est question ci-dessous, peuvent accélérer de manière significative l’évaluation fédérale des impacts.
- Décisions d’examen préalable (LÉI, article 16). L’article 16 a été modifié en 2024 pour tenir compte des directives de la Cour suprême du Canada. Selon l’article 16 dans sa version modifiée, le gouvernement fédéral ne peut exiger une évaluation d’impact aux termes de la LÉI que s’il est convaincu que le projet peut avoir des effets négatifs non négligeables sur des éléments de compétence fédérale (effets négatifs sur les poissons et leur habitat, sur les espèces aquatiques en péril et sur les oiseaux migrateurs, pollution des eaux limitrophes et de l’environnement marin et impacts sur les peuples autochtones, par exemple). Cette modification vise à orienter les décisions d’examen préalable sur les domaines de compétence fédérale.
Pour prendre une décision d’examen préalable, le gouvernement fédéral doit tenir compte de plusieurs facteurs prescrits, dont un nouveau facteur qui consiste à déterminer si un autre processus fédéral ou provincial permettrait de traiter les effets négatifs potentiels du projet sur des éléments de compétence fédérale (LÉI, alinéa 16(2)f.1). Ce nouveau facteur pourrait justifier une décision d’examen préalable selon laquelle une évaluation d’impact fédérale n’est pas nécessaire pour une nouvelle mine.
Cela dit, contrairement à la Colombie Britannique et au Québec, l’Ontario n’assujettit pas automatiquement les projets miniers à une ÉE exhaustive aux termes de la législation provinciale. En Ontario, ce type d’évaluation est généralement limité aux grands projets liés aux déchets, à l’électricité et au littoral. Ainsi, à moins qu’un promoteur minier n’accepte volontairement de soumettre son projet à une ÉE exhaustive aux termes de la LÉA, le processus d’ÉE de l’Ontario ne s’applique souvent qu’à certaines parties de l’infrastructure d’une mine par l’intermédiaire d’ÉE de portée générale (comme pour les routes, les lignes de transport d’électricité, les cessions de terres de la Couronne), mais pas au projet minier dans son ensemble. Cette approche menant à une évaluation fragmentaire peut rendre plus difficile pour le gouvernement fédéral de prendre une décision d’examen préalable selon laquelle le processus existant de l’Ontario prévu par la LÉA permettrait de traiter les effets négatifs d’un projet minier sur des éléments de compétence fédérale. - Coopération (LÉI, article 21). Selon la LÉI, le gouvernement fédéral est tenu d’offrir de consulter certaines instances et d’élaborer un plan de coopération décrivant comment il coopérera avec une province dans le cadre d’un projet donné (échange de renseignements et d’analyses, participation à des groupes de travail conjoints, coordination des directives aux promoteurs, par exemple). Ces plans visent à réduire les chevauchements, à accroître l’efficacité et la certitude, et à tirer parti des meilleures compétences disponibles. À ce jour, l’évaluation coopérative d’impact, à elle seule, n’a pas permis de régler de manière significative le problème des retards. À moins que le gouvernement fédéral n’ait l’intention de recourir davantage à son pouvoir de délégation (LÉI, article 29), qui lui permettrait de déléguer toute partie de l’évaluation d’impact à une autre administration, il est peu probable que l’approche actuelle du gouvernement fédéral en matière de coopération se traduise par un système fédéral d’évaluation d’impact plus rapide.
- Substitution (LÉI, article 31). En vertu de la LÉI, le gouvernement fédéral peut également substituer la totalité ou toute partie d’un processus fédéral d’évaluation d’impact par un processus provincial d’ÉE lorsque les exigences de la LÉI peuvent être satisfaites par le processus provincial. Conformément aux directives de la Cour suprême du Canada, cette mesure vise à faciliter l’harmonisation du processus et à permettre à l’autorité compétente la mieux placée de se charger de certains aspects de l’évaluation. La décision finale appartient toutefois à chaque administration. Voir, par exemple, le projet de la mine Eskay Creek dans le cadre duquel la Colombie-Britannique recueille les renseignements nécessaires pour permettre au gouvernement fédéral de rendre une décision éclairée sur un projet minier en vertu de la LÉI.
Si le gouvernement fédéral décide d’utiliser son pouvoir de substitution pour reconnaître les évaluations effectuées par l’Ontario, une convention de substitution pour chaque projet pourrait être nécessaire dans le contexte minier de la province afin de garantir que le processus de substitution tient dûment compte des effets négatifs sur des éléments de compétence fédérale et que la Couronne s’acquitte de son obligation de consulter les peuples autochtones et, le cas échéant, de les accommoder. Cela est particulièrement important compte tenu de l’engagement récent du premier ministre à faire progresser la réconciliation et la mise en œuvre par le gouvernement fédéral de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Un processus d’ÉE simplifié ne sera couronné de succès pour toutes les parties prenantes, y compris les promoteurs et les investisseurs, que s’il y a participation significative des Autochtones afin d’atténuer les risques liés aux projets et d’offrir une plus grande certitude.
Conclusion
En instaurant des zones économiques spéciales, en rationalisant les processus d’octroi de permis et de conservation des espèces et en renforçant les pouvoirs provinciaux en matière de développement des ressources, le projet de loi 5 vise à améliorer la compétitivité globale de l’Ontario face aux perturbations du commerce mondial. Toutefois, la mesure dans laquelle ce cadre législatif permettra d’atteindre les résultats escomptés dépendra probablement de l’efficacité de la coopération entre le gouvernement fédéral et la province, de la participation significative des parties prenantes autochtones et de l’atteinte d’un équilibre entre la croissance économique et les responsabilités environnementales et sociales. Par ailleurs, il reste à voir si et dans quelles circonstances l’Ontario pourra utiliser ses nouveaux pouvoirs pour protéger la chaîne d’approvisionnement nationale stratégique en minéraux ou limiter la participation étrangère dans les secteurs minier et énergétique.