Le repreneuriat, un nouveau souffle pour l’économie d’ici
Le texte suivant a été publié dans La Presse le 25 février 2025.
L’offensive lancée contre l’économie canadienne par l’administration Trump pourrait bien ne pas se limiter à des conséquences économiques. Si nous ne réagissons pas, elles pourraient avoir de sérieuses répercussions politiques et sociales.
Qui plus est, les attaques actuelles, aussi inacceptables qu’elles soient, identifient certaines lacunes qui apparaissent clairement aujourd’hui, en rétrospective.
Notre déficit de productivité nous était connu par de nombreux signaux d’alerte. Notamment, le manifeste des lucides nous incitait en 2005 à davantage de productivité et plaidait pour un « environnement de travail favorisant la performance et l’innovation ». Voilà que nous sommes maintenant interpellés par la nécessité d’un sursaut et d’une reprise en main des moyens d’assurer notre avenir économique. Un redécollage s’impose et il passe par l’innovation et l’investissement.
Il faut reconnaître que les efforts de nos entrepreneurs québécois ont permis d’impressionnantes avancées, notamment au sein des grandes entreprises. Mais le contexte actuel survient au moment même où se dresse devant nous la perspective de transferts massifs d’entreprises à une autre génération.
Selon les dernières estimations, on comptait plus de 24 000 entreprises québécoises dont les propriétaires souhaitaient procéder à la vente au cours de l’année 2024.
Il fallait s’y attendre, puisque depuis 2021, le nombre d’entreprises transférées dépasse le nombre de celles qui sont créées. Il s’agit d’une tendance mondiale apparue surtout lors de la pandémie de COVID-19 et accentuée par les exigences logistiques qui s’y rattachent et la nécessité de s’adapter à l’évolution des marchés. S’ajoutent les effets de l’évolution démographique, compte tenu du grand nombre d’entrepreneurs qui ont atteint l’âge de la retraite. Au moment d’assister à une véritable mutation générationnelle, on doit se réjouir des ouvertures qui s’offrent à la relève. Pour s’accomplir, ce renouveau doit se fonder sur la mise à contribution des forces vives de l’économie du Québec à la réussite de cette transition vers une résurgence novatrice. Le virage de l’innovation et de la productivité est en effet la clé de la viabilité de notre prospérité de demain.
C’est ici qu’apparaît l’importance critique d’une démarche collective de repreneuriat. Le repreneuriat est aujourd’hui une incontournable nécessité pour la santé et la vigueur de tout un secteur économique. La réalité a d’ailleurs précédé le mot, puisque le phénomène est déjà en cours, comme on l’a vu depuis quelques années.
Mais ce passage ne s’effectuera pas sans peine. Le repreneuriat doit pouvoir compter sur la mobilisation des acteurs-phares de l’économie du Québec dont le soutien financier est essentiel.
Plusieurs d’entre eux s’activent déjà. C’est le cas d’institutions comme la Caisse de dépôt et placement du Québec, du Fonds de solidarité FTQ, de notre réseau de banques et de caisses, ainsi que d’Investissement Québec. Les fonds de capital-investissement et les bureaux de gestion de patrimoine (family offices) sont également d’un apport considérable. Par leurs conseils stratégiques, opérationnels et transactionnels, les firmes de services-conseils comptables, d’aviseurs financiers et d’avocats s’affirmeront de plus en plus dans leur rôle de facilitateurs de transition.
Profiter des occasions d’affaires
À un moment crucial de son développement, le repreneuriat promet à une entreprise de se projeter en avant avec un deuxième souffle, pouvant souvent compter sur une base solide, des employés expérimentés, une clientèle établie et une réputation déjà reconnue. Les défis à relever se situent principalement en matière de financement, de gestion de ressources humaines, de modernisation des activités et d’ouverture des marchés. Les nouveaux dirigeants devront s’adapter aux réalités changeantes du marché et aux apports des nouvelles technologies, telle l’intelligence artificielle. Ce sont autant d’occasions de se réinventer, d’accélérer la croissance et de se diversifier. Il s’agit de récolter les fruits de la conjugaison de l’expérience et des valeurs des fondateurs avec l’énergie, le talent et les nouvelles idées de la génération montante.
On ne peut aborder ces défis sans préparation. Les parties prenantes doivent mettre en place des leviers de formation nécessaires au soutien de la démarche des repreneurs.
Le repreneuriat est en effet la clé d’une stratégie économique fondée sur la diversification et l’accroissement de notre productivité. Il présente une occasion unique de renouveler notre tissu économique, tout en préservant l’héritage entrepreneurial des générations précédentes et de son empreinte communautaire.
Nous voici donc interpellés à une phase exaltante de la construction d’un Québec innovant, productif et prospère.
Il en est de même des gouvernements qui doivent revoir leur participation stratégique à la transition en cours. En plus de porter sur le financement des programmes de formation, leurs réflexions doivent déborder leur rôle traditionnel et concevoir des mesures fiscales favorables à la transmission d’entreprises1.
On nous permettra ici un conseil d’usage aux entrepreneurs qui seront appelés tôt ou tard à procéder à un transfert : une vente n’est pas une opération simple. Elle doit se planifier, s’organiser. Malgré les contraintes du quotidien, il faut y consacrer du temps.
Il faut donc dire aux entrepreneurs : préparez-vous, discutez d’avenir avec votre famille, votre équipe de direction, votre conseil et vos employés. Il y va de l’élargissement de vos horizons et de la complémentarité de votre entreprise.
En conclusion, un message aux jeunes Québécois : vous avez le pouvoir de transformer notre société et de bâtir un Québec résilient, prospère et innovant. Engagez-vous, innovez, entreprenez, reprenez et poussez plus loin vos aspirations. Notre avenir collectif dépend de votre créativité, de votre audace et de votre enthousiasme. L’étape qui s’amorce est avant tout la vôtre.
1 Bien que nous applaudissions la décision de faire marche arrière sur l’augmentation du taux d’inclusion du gain en capital, nous devons innover davantage en matière de fiscalité, par exemple en permettant le report – au minimum – d’une partie de l’impôt payable lors d’une transmission aux prochaines générations ou lors d’une vente aux employés, ou en prévoyant un avantage fiscal lors d’un réinvestissement dans la transition d’entreprises, y compris dans les fonds institutionnels ou les fonds de capital-investissement axés sur le repreneuriat. Certaines de ces suggestions faisaient partie des recommandations du rapport Séguin sur le maintien des sièges sociaux en 2014. Il serait vraiment temps de les remettre à l’avant-plan.