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Litige fondé sur l’intérêt public : la CVMO renonce à exercer sa compétence

Auteurs : Patricia L. Olasker, Kent E. Thomson, Ghaith S. Sibai et Jennifer F. Longhurst

Dans une affaire où elle a renoncé à exercer sa compétence à l’égard d’une procédure intentée par un actionnaire activiste, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO ») a exposé son approche en ce qui concerne la réglementation à portée extraterritoriale. Les motifs qu’elle a publiés récemment dans l’affaire In the Matter of Mangrove Partners and In the Matter of TransAlta Corporation1 donnent de nouvelles indications importantes concernant les audiences conjointes et les critères qui doivent être pris en compte par les commissions des valeurs mobilières du Canada au moment de déterminer si elles doivent exercer leur compétence à l’égard d’un litige dont est saisie une autre commission.

Contexte

Le 25 mars 2019, TransAlta, société de Calgary qui produit et commercialise de l’électricité et dont les titres sont cotés à la TSX et à la NYSE, a annoncé qu’elle avait conclu une convention d’investissement avec un membre du groupe de Brookfield Renewable Partners. Aux termes de la convention d’investissement, Brookfield a convenu d’investir 750 millions de dollars dans des débentures échangeables sans droit de vote et des actions privilégiées de TransAlta. La clôture de la première tranche de 350 millions de dollars avait été fixée au troisième jour ouvrable suivant l’assemblée annuelle 2019 des actionnaires de TransAlta; la deuxième tranche de 400 millions de dollars devrait clôturer en octobre 2020. Brookfield pourra échanger les titres après le 31 décembre 2024 contre une participation en capitaux propres pouvant atteindre 49 % d’une entité détenant les actifs hydroélectriques albertains de TransAlta pour une valeur correspondant à un multiple du BAIIA ajusté futur des actifs hydroélectriques.

L’opération avec Brookfield n’avait pas à être approuvée par les actionnaires, mais Mangrove Partners, puis Bluescape Energy Partners, avec laquelle Mangrove s’est plus tard associée, s’y sont opposées. Mangrove et Bluescape, qui détenaient ensemble 10,1 % des actions ordinaires de TransAlta, cherchaient à négocier avec TransAlta pour obtenir des sièges au conseil et d’autres changements. Elles ont par la suite déposé une Annexe 13D conjointe et présenté un avis aux termes du règlement relatif au préavis de TransAlta annonçant leur intention de proposer cinq candidats à un poste d’administrateur à l’assemblée des actionnaires imminente. En prévision d’une éventuelle course aux procurations à l’assemblée annuelle des actionnaires et pour éviter de lier un conseil nouvellement formé à l’égard de l’opération proposée avec Brookfield, TransAlta s’est négocié un droit qui permettait à un nouveau conseil de réexaminer l’opération ( le « droit de retrait lié à la gouvernance »). Selon ce droit de retrait lié à la gouvernance d’un nouveau genre, si deux administrateurs qui n’avaient pas été recommandés par le conseil de TransAlta étaient élus à l’assemblée 2019, TransAlta disposait de 30 jours pour résilier l’opération avec Brookfield.

RBC Gestion mondiale d’actifs, le plus important actionnaire de TransAlta, a appuyé publiquement l’opération et convenu de voter pour la liste d’administrateurs mise de l’avant par la direction à l’assemblée 2019. Finalement, les actionnaires ont massivement voté en faveur de tous les candidats à un poste d’administrateur proposés par la direction, y compris les deux représentants de Brookfield dont la candidature a été proposée en application de la convention d’investissement. La première tranche de l’opération a clôturé à la date prévue, soit le 1er mai 2019.

Demande et décision

Mangrove a déposé une demande d’audience conjointe devant les commissions des valeurs mobilières de l’Ontario et de l’Alberta (l’« ASC ») en vue de faire interdire les opérations sur les titres émis dans le cadre de l’opération en invoquant la compétence en matière d’intérêt public des commissions. Au stade de la requête préliminaire, la CVMO a conclu que, bien que les deux commissions aient la compétence voulue pour entendre la demande de Mangrove puisqu’un lien suffisant existait avec les deux provinces, elle refusait d’exercer sa compétence et de participer à une audience conjointe avec l’ASC.

La CVMO a motivé son refus d’exercer sa compétence pour les motifs suivants :

  • La CVMO avait la compétence voulue pour examiner la demande de Mangrove en se fondant sur sa compétence en matière d’intérêt public puisque les titres de TransAlta sont inscrits à la cote de la TSX et que TransAlta est un émetteur assujetti en Ontario et y a des investisseurs.
  • Néanmoins, les critères qui rattachaient le litige à l’Alberta étaient plus décisifs puisque (i) le siège de TransAlta est situé à Calgary; (ii) l’ASC est l’autorité principale; (iii) les actifs hydroélectriques qui sont visés par la convention d’investissement sont situés en Alberta; (iv) les représentants de TransAlta qui travaillent à Calgary ont été au cœur des négociations ayant mené à la convention d’investissement et des discussions avec Mangrove; et (v) l’ASC dispose d’une compétence en matière d’intérêt public très semblable à celle conférée à la CVMO par l’article 127 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario.
  • La participation de la CVMO au côté de l’autorité principale ne peut se justifier que dans des circonstances exceptionnelles. Par exemple, dans un cas où la législation en valeurs mobilières de l’Ontario n’est pas essentiellement semblable à la législation en valeurs mobilières du territoire de l’autorité principale; si les investisseurs ou les marchés des capitaux de l’Ontario sont touchés d’une façon fondamentalement différente ou qui leur est propre par l’opération en question (comme c’était le cas dans la décision de la Commission dans l’affaire AbitibiBowater); ou en présence d’une question nouvelle qui porte sur la législation pancanadienne (comme c’était le cas dans les décisions de la Commission dans les affaires Aurora et Hecla).
  • Dans l’affaire TransAlta, les critères qui servaient à établir la compétence de la CVMO (par exemple, l’inscription à la cote de la TSX, la qualité d’émetteur assujetti en Ontario et les investisseurs ontariens) seraient présents dans beaucoup de cas. En conséquence, si ces facteurs devaient être jugés suffisants pour justifier que la CVMO exerce sa compétence et participe à une audience conjointe au côté de l’autorité principale, la CVMO se trouverait à participer à un grand nombre de litiges impliquant des sociétés inscrites à la cote de la TSX au côté de commissions qui présenteraient des liens plus étroits avec le litige en question. En plus d’être coûteuse et inutile, une telle participation est susceptible d’aboutir à des décisions contradictoires.
  • Si des questions portant sur des règles ou des politiques propres à l’Ontario sont soulevées et qu’elles peuvent être réglées par l’autorité principale aux termes de sa compétence en matière d’intérêt public, l’autorité principale devrait s’en charger. Si ce n’est pas le cas, une demande limitée portant sur ces questions précises devrait être déposée auprès de la CVMO.

Points saillants

  • Les audiences conjointes auxquelles participent la CVMO et une autre commission des valeurs mobilières constituent l’exception plutôt que la règle.
  • La CVMO n’interviendra généralement pas à l’égard d’un litige qui est examiné par une autre commission des valeurs mobilières canadienne, à moins que les critères de rattachement à l’Ontario ou que les différences entre les règles et politiques applicables ne fournissent des raisons exceptionnelles et convaincantes de le faire.
  • Les audiences conjointes pourraient être un frein à l’harmonisation et à la coordination puisqu’il existe une possibilité que des décisions contradictoires soient rendues par des commissions qui entendent la même affaire et qui disposent de la même autorité.
  • Le fait de s’appuyer sur une règle ou une politique qui est propre à une province ou à un territoire ne convaincra pas nécessairement la commission des valeurs mobilières de la province ou du territoire en question d’exercer sa compétence et de participer à une audience conjointe. C’est d’autant plus le cas si l’autre commission est en mesure d’examiner les enjeux d’intérêt public sous-jacents en appliquant ses propres règles et politiques. En outre, une demande limitée portant sur ces questions précises pourrait être déposée auprès de la commission des valeurs mobilières concernée.
  • Un des critères déterminants pourrait être la volonté de l’autorité principale à intervenir et la rapidité avec laquelle elle est prête à le faire. La CVMO a souligné que le fait que l’ASC était prête à entendre les questions préliminaires découlant de la demande rapidement après l’audience tenue par la CVMO à l’égard des requêtes avait été une considération importante.

Davies a représenté TransAlta Corporation en ce qui concerne son opération avec Brookfield et les procédures intentées devant la CVMO et l’ASC.

1Mangrove Partners (Re), 2019 ONSEC 18 disponible (en anglais) à l’adresse :https://www.osc.gov.on.ca/en/Proceedings_rad_20190530_mangrove-partners.htm.

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