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Les initiés des sociétés canadiennes intercotées pourraient être assujettis aux règles américaines relatives aux profits à court terme et aux déclarations d’initiés

Auteurs : Steven J. Cutler, Patricia L. Olasker et Jeffrey Nadler

Enfouie dans la loi des États-Unis intitulée National Defense Authorization Act for Fiscal Year 2024, que le Sénat américain a adoptée en début d’année, se trouve une disposition qui, advenant sa mise en œuvre, éliminera les dispenses dont se prévalent les initiés des sociétés ouvertes canadiennes intercotées et d’autres émetteurs privés étrangers pour se soustraire aux obligations imposées par l’article 16 de la loi des États-Unis intitulée Securities Exchange Act of 1934 (l’« article 16 »).

En conséquence de ce projet de loi, les dirigeants, administrateurs et actionnaires détenant des participations d’au moins 10 % dans des émetteurs canadiens intercotés, y compris des émetteurs assujettis au régime d’information multinational et d’autres émetteurs privés étrangers, deviendraient assujettis aux règles américaines suivantes :

  • Déclarations d’initiés : dépôt en temps utile de déclarations d’initiés accessibles au public décrivant les opérations sur les titres de l’émetteur;
  • Restitution des profits à court terme : responsabilité stricte envers l’émetteur à l’égard des profits réalisés sur les achats et les ventes, ou les ventes et les achats, de titres de l’émetteur au cours d’une période de six mois, indépendamment de la possession ou de l’utilisation inappropriée d’information privilégiée;
  • Interdiction des ventes à découvert : interdiction de vendre des titres de l’émetteur qui ne sont pas détenus en propriété par les personnes visées.

En tablant sur ces trois règles, l’article 16 vise à empêcher les initiés d’utiliser l’information qu’ils obtiennent grâce à leurs relations étroites avec l’émetteur et d’en tirer profit aux dépens du public investisseur en général.

Les sénateurs John Kennedy (R-Louisiane) et Chris Van Hollen (D-Maryland), qui sont à l’origine du projet de loi, agissent sur le fondement de rapports selon lesquels la dispense a permis à des initiés de sociétés russes et chinoises d’éviter des pertes importantes en vendant des actions avant que leur cours ne baisse. Leur principe est simple : uniformiser les règles en soumettant les émetteurs privés étrangers aux mêmes règles que les émetteurs américains. Toutefois, le Canada, qui dispose de ses propres régimes rigoureux en matière de déclarations et de délits d’initiés, se trouve embourbé dans cette approche globale, et les principes qui sous-tendent l’accord de longue date établissant le régime d’information multinational entre le Canada et les États-Unis sont mis à mal par cette démarche.

Cette troisième tentative par les législateurs d’éliminer la dispense a été intégrée dans un projet de loi sur la défense de plus de 2 000 pages. Le projet de loi doit faire l’objet d’une conférence entre la Chambre et le Sénat afin d’aplanir les divergences et pourrait ensuite être promulgué par le président Biden. Une fois le projet de loi adopté, la Securities and Exchange Commission (la « SEC ») disposera de 90 jours pour publier de nouvelles règles ou modifier les règles existantes avant l’entrée en vigueur de la loi.

Les lois canadiennes et provinciales sur les sociétés et les valeurs mobilières couvrent les questions visées par l’article 16. Les initiés des émetteurs canadiens sont tenus de déclarer publiquement leurs opérations au moyen du Système électronique de déclaration des initiés et sont assujettis à des interdictions strictes, qui peuvent donner lieu à des sanctions pénales, à l’égard des achats ou des ventes d’actions effectués alors qu’ils étaient au courant d’un fait ou d’un changement important non divulgué. Les lois sur les sociétés, comme la Loi canadienne sur les sociétés par actions, interdisent les ventes à découvert par des initiés.

À moins que la disposition éliminant la dispense prévue par l’article 16 ne soit entièrement supprimée de la version finale du projet de loi signé par le président Biden, ou qu’elle ne soit révisée afin de permettre à la SEC d’accorder des dispenses aux émetteurs canadiens ou à d’autres catégories d’émetteurs (et, même dans ce cas, rien n’indique que la SEC serait disposée à le faire), les initiés des émetteurs canadiens intercotés deviendront assujettis aux exigences de l’article 16.

Nous sommes d’avis que cette modification créera une charge administrative importante et fera augmenter les frais de conformité pour les émetteurs canadiens intercotés et leurs initiés, qui devront se conformer à deux systèmes similaires, mais différents, avec des exigences en matière de délais, des définitions d’initiés, des exigences de forme et des mécanismes de dépôt différents, et pourrait exposer ceux-ci à des poursuites aux États-Unis, où les avocats n’hésitent pas à demander la restitution des profits réalisés dans le cadre d’opérations à court terme.

Le calendrier d’adoption de la législation est incertain, mais des observateurs avertis ont laissé entendre qu’elle pourrait être approuvée avant la fin de 2023.

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