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Il n’est pas nécessaire de divulguer des avis « non sollicités, inexperts, prématurés et peu fiables »

Auteurs : Chantelle Cseh et Steven G. Frankel

Aperçu

La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé qu’une société ouverte a agi correctement et en toute légitimité en décidant de ne pas communiquer au public investisseur l’avis d’un consultant indépendant qui remettait en cause la viabilité financière du principal actif de la société, dans des circonstances où la société croyait sincèrement et raisonnablement que le consultant faisait erreur.

Dans l’affaire Wong v. Pretium Resources (Wong, 2022 ONCA 549), la Cour d’appel a confirmé la décision de 2021 de la Cour supérieure de justice (2021 ONSC 54) rejetant un recours collectif en matière de valeurs mobilières contre la société minière canadienne Pretium Resources Inc.

Le jugement prononcé en 2021 par la Cour supérieure était la toute première décision sur le bien-fondé à être rendue à l’égard d’une action intentée en vertu des dispositions de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario concernant la responsabilité découlant de la présentation inexacte des faits sur le marché secondaire ou des dispositions correspondantes de législations d’autres provinces et territoires du Canada. Dans la Loi sur les valeurs mobilières, une « présentation inexacte des faits » s’entend, selon le cas, (i) d’une déclaration erronée au sujet d’un « fait important » ou (ii) de l’omission de communiquer un « fait important » dont la communication est requise ou nécessaire pour qu’une déclaration ne soit pas trompeuse, eu égard aux circonstances dans lesquelles la déclaration a été faite. Un « fait important » s’entend d’un fait dont il est raisonnable de s’attendre qu’il aura un effet appréciable sur le cours ou la valeur des valeurs mobilières. Il arrive donc souvent que la décision dans les affaires de la nature de celle qui nous occupe repose sur l’« importance relative » de l’information dont on allègue qu’elle aurait dû être communiquée.

Les allégations de présentation inexacte des faits formulées par le demandeur concernaient la décision de Pretium de ne pas communiquer les préoccupations soulevées par l’un de ses consultants indépendants, Strathcona Mineral Services, au sujet de résultats négatifs de l’échantillonnage de minéraux au projet phare Brucejack de Pretium. Pretium estimait sincèrement et raisonnablement que les préoccupations exprimées par Strathcona étaient prématurées et sans fondement et que les résultats de l’échantillonnage n’étaient ni représentatifs ni exacts. Strathcona a donné un avis non sollicité et manifestement erroné sur des questions qui outrepassaient son mandat. Le conseil d’administration de la société et son principal consultant indépendant en matière de ressources minérales ont conclu que l’avis était erroné. Dans ces circonstances, Pretium a décidé de ne pas faire connaître les préoccupations de Strathcona.

À la suite de la décision de Pretium de ne pas communiquer ses préoccupations, Strathcona a remis sa démission. Pretium n’a pas eu d’autre choix que de publier un communiqué annonçant la démission, et dans les jours suivants, le cours de l’action de Pretium a chuté de plus de 50 %. Un recours collectif contre Pretium a été intenté sans délai et il a été maintenu, même si les résultats complets de l’échantillonnage publiés des mois plus tard ont donné raison à Pretium. Ces résultats confirmaient que les préoccupations de Strathcona étaient infondées.

Principaux points à retenir

  • Le fait que le demandeur obtienne l’autorisation de la Cour d’intenter une action pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières n’a pas d’effet déterminant sur la décision qui est rendue en définitive à l’égard de la requête en jugement sommaire ou au procès. Le critère pour obtenir l’autorisation d’intenter une action implique l’évaluation préliminaire du bien-fondé de l’affaire, la seule chose que le demandeur ait à établir étant la possibilité raisonnable qu’il obtienne gain de cause au procès. Cette norme est différente de la « prépondérance des probabilités » sur laquelle repose la démonstration de responsabilité que doit faire un demandeur.
  • La fiabilité objective d’une préoccupation ou d’un avis exprimé par un consultant indépendant peut être le pivot de l’évaluation de l’importance relative, et donc de l’obligation de communication connexe. Il peut arriver que les tribunaux soient sceptiques devant une déclaration après le coup d’absence de fiabilité. Les émetteurs assujettis devraient envisager de documenter sur-le-champ l’évaluation qu’ils font des rapports et avis importants que leur remettent leurs consultants indépendants.
  • L’importance relative ne doit pas être évaluée a posteriori. Même si, en définitive, les faits ont justifié la conclusion de Pretium selon laquelle les préoccupations de Strathcona n’étaient pas fondées, ce qui importait était l’absence de fiabilité objective de ces préoccupations au moment où elles ont été exprimées (plutôt que les résultats du traitement de l’intégralité de l’échantillon).
  • La société ouverte qui doit évaluer l’importance relative d’un renseignement doit comprendre que les tribunaux ne s’en remettront pas à l’appréciation commerciale des membres de la haute direction en ce qui concerne les obligations d’information. La Cour suprême du Canada a indiqué clairement dans la décision Kerr c. Danier Leather Inc. (2007 CSC 44) que la règle de l’appréciation commerciale « ne doit pas servir à atténuer ou à miner l’obligation de divulgation ». Dans l’affaire qui nous occupe, toutefois, la Cour d’appel a rejeté l’argument selon lequel le juge de première instance avait appliqué la règle de l’appréciation commerciale pour établir que les préoccupations de Strathcona n’étaient pas fiables et n’avaient pas à être divulguées.
  • Bien que la définition de « fait important » figurant dans la Loi sur les valeurs mobilières mentionne l’effet d’un fait sur le cours ou la valeur des valeurs mobilières d’un émetteur, les émetteurs doivent également appliquer le critère de l’« investisseur raisonnable » dans leur prise de décisions concernant l’information à communiquer.

La décision soulève une question importante

Au cœur de la décision de la Cour d’appel se trouve une question qui touche un élément central du droit des valeurs mobilières au Canada : quel critère les sociétés doivent-elles appliquer pour prendre des décisions importantes au sujet de l’importance relative des renseignements et de leurs obligations d’information, plus particulièrement lorsque les renseignements consistent en un avis négatif concernant des actifs ou des aspects clés de l’entreprise?

Contexte

En 2011, Pretium a entamé un programme d’exploration minière à Brucejack, projet aurifère souterrain situé au nord-ouest de la Colombie-Britannique. En novembre 2012, Pretium a retenu les services de la société Snowden Mining Industry Consultants pour que celle-ci examine les résultats initiaux du programme d’exploration et produise une estimation des ressources minérales du projet Brucejack. Un autre consultant indépendant a ensuite utilisé cette estimation pour établir une étude de faisabilité, qui a été publiée en juin 2013. L’étude de faisabilité concluait que la quantité d’or associée au projet Brucejack était suffisante pour soutenir une exploitation souterraine par abattage non sélectif.

Comme la validité de l’étude de faisabilité dépendait de l’exactitude de l’estimation des ressources minérales sous-jacente, Snowden a recommandé que Pretium valide les résultats de cette estimation en analysant un échantillon en vrac de 10 000 tonnes provenant du site. Pretium a confié à Strathcona le mandat de surveiller le programme d’échantillonnage en vrac et de faire rapport sur celui-ci. Étant donné que l’installation de traitement à forfait destinée à traiter l’échantillon en vrac n’était pas disponible, Pretium a accepté d’utiliser une méthode d’essai par tour d’échantillonnage comme moyen supplémentaire et provisoire d’évaluer l’échantillon en vrac. Il convient de noter que la tour d’échantillonnage ne permettait d’analyser qu’une toute petite fraction de l’ensemble de l’échantillon en vrac de 10 000 tonnes qui devait être analysé dans le cadre du programme d’échantillonnage. Le reste a été expédié vers une usine du Montana aux fins de traitement.

Les résultats obtenus au moyen de la tour d’échantillonnage, défavorables à Pretium, n’appuyaient pas l’estimation des ressources minérales sur laquelle reposait l’étude de faisabilité. Dans une série de courriels et de lettres, Strathcona indiquait à Pretium que les résultats obtenus au moyen de la tour d’échantillonnage ne validaient pas l’estimation des ressources minérales et lui recommandait fortement de publier ces résultats qui, selon Strathcona, rendaient l’estimation des ressources minérales, et, par conséquent, l’étude de faisabilité, « inexactes d’une manière importante » et « non fiables ». Strathcona a donné cet avis bien que Pretium n’ait pas retenu ses services à cette fin. Comme le déclare la Cour d’appel, Strathcona a « outrepassé son mandat » en remettant un avis non sollicité à Pretium.

Étant donné la petite taille de l’échantillon utilisé pour les besoins de la tour d’échantillonnage et la possibilité d’un degré élevé de variabilité dans l’échantillon de 10 000 tonnes, Pretium n’a pas jugé déterminant les résultats obtenus au moyen de la tour d’échantillonnage. La société a plutôt décidé de reporter la publication des résultats du programme d’échantillonnage en vrac jusqu’à l’analyse de l’intégralité de l’échantillon de 10 000 tonnes. Les investisseurs du public avaient déjà adopté une attitude attentiste, car Pretium avait clairement signalé au marché qu’elle fournirait un rapport dès que le programme d’échantillonnage en vrac serait terminé.

Le 7 octobre 2013, Strathcona a démissionné du programme d’échantillonnage en vrac en guise de protestation, ce que Pretium a fait connaître publiquement dans un communiqué deux jours plus tard. Le 22 octobre 2013, dans un autre communiqué, Pretium résumait les raisons invoquées par Strathcona pour démissionner et expliquait les raisons pour lesquelles elle-même estimait sans fondement les préoccupations de Strathcona. Au cours des 13 jours qui se sont écoulés entre ces deux communiqués, le cours de l’action de Pretium a chuté de plus de 50 %.

Quelques mois plus tard, Pretium a été confortée lorsque les résultats de la tour d’échantillonnage se sont révélés inexacts. À la fin du programme d’échantillonnage en vrac, les conclusions de l’estimation des ressources minérales ont été confirmées. En fait, une quantité d’or supérieure aux attentes a été traitée à partir de l’échantillon. Une mise à jour de l’étude de faisabilité a été établie en 2014 et la mine est entrée en production commerciale en 2017.

Autorisation d’intenter une action

Selon les dispositions de la Loi sur les valeurs mobilières concernant la responsabilité sur le marché secondaire, une poursuite pour présentation inexacte des faits ne peut être intentée sans l’autorisation de la Cour supérieure.

Comme il est mentionné dans un bulletin de Davies bulletin de Davies daté du 31 mai 2018, les dirigeants et les conseillers de sociétés ouvertes ont pu être étonnés que la requête initiale du demandeur pour l’autorisation d’intenter une action ait été accueillie en 2017. La Cour supérieure de justice de l’Ontario avait conclu qu’il était raisonnablement possible que l’action soit réglée en faveur du demandeur. L’action a par la suite été certifiée comme recours collectif en 2019.

En 2020, les parties ont présenté des requêtes en jugement sommaire opposées. Le juge de la Cour supérieure qui avait accordé l’autorisation d’intenter la poursuite a alors tranché en faveur de Pretium et a rejeté la demande d’action collective intégralement, concluant (i) que Pretium n’avait commis aucune présentation inexacte des faits donnant ouverture à des poursuites; et (ii) à titre subsidiaire, que Pretium avait mené une enquête raisonnable sur les préoccupations de Strathcona et avait présenté la défense affirmative prévue au paragraphe 138.4(6) de la Loi sur les valeurs mobilières.

Le demandeur en a appelé du rejet de l’action devant la Cour d’appel.

Positions des parties

En appel, le demandeur a affirmé que le juge de première instance avait commis une erreur de droit en établissant ce qui constitue une « présentation inexacte des faits » donnant ouverture à des poursuites. Le demandeur a contesté la conclusion du juge de première instance selon laquelle les préoccupations de Strathcona ne constituaient pas un fait important devant être communiqué parce que ces préoccupations étaient « non sollicitées, inexpertes, prématurées et peu fiables ».

Pretium a fait valoir que le juge de première instance a statué correctement qu’elle n’avait pas commis de présentation inexacte des faits. Des membres de la haute direction de Pretium avaient discuté des préoccupations de Strathcona à l’interne ainsi qu’avec Snowden, et avaient établi que ces préoccupations étaient prématurées et peu fiables, et qu’elles n’avaient donc pas à être divulguées.

Décision

La Cour d’appel a rejeté intégralement le pourvoi du demandeur.

Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en tenant compte de la fiabilité de l’avis de Strathcona

Pour rejeter l’action, le juge de première instance a considéré comme un fait établi que les préoccupations de Strathcona n’étaient pas fiables pour deux raisons. Premièrement, les résultats de la tour d’échantillonnage étaient intrinsèquement peu fiables étant donné qu’ils étaient fondés sur des échantillons qui n’étaient pas forcément représentatifs du gîte minéral. Deuxièmement, la méthode d’essai de Strathcona ne convenait pas aux caractéristiques uniques du gîte. Le juge de première instance a conclu que l’avis peu fiable de Strathcona n’était pas un « fait important » devant être communiqué.

Le demandeur a soutenu que la fiabilité d’un renseignement n’est pas utile pour en établir l’importance relative et que, par conséquent, le juge de première instance a commis une erreur en tenant compte de la fiabilité des préoccupations de Strathcona. La Cour d’appel n’est pas du même avis. Elle a affirmé que, en l’occurrence, la fiabilité objective des préoccupations était un facteur pertinent et qu’elle devait faire preuve de déférence à l’égard de la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’avis de Strathcona était peu fiable.

Il est important de noter que le demandeur et Pretium ont convenu que le cadre juridique devant s’appliquer à l’évaluation de l’importance relative dans une affaire de « déclarations inexactes par omission » est énoncé dans la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sharbern Holding c. Vancouver Airport Centre Ltd., 2011 CSC 23 (l’« arrêt Sharbern Holding »). Le principe directeur de cet arrêt est que la norme de l’importance réside dans la question de savoir si un investisseur raisonnable jugerait les renseignements en question importants au moment de prendre sa décision d’investissement. L’importance doit être établie objectivement du point de vue de l’investisseur raisonnable, plutôt que selon l’avis subjectif de la société. Autrement dit, il doit exister une probabilité marquée que l’investisseur raisonnable aurait jugé que le fait omis aurait modifié de façon significative l’ensemble des renseignements mis à sa disposition.

La Cour d’appel a reconnu qu’une certaine jurisprudence laisse entendre que le critère de l’« incidence sur le marché », plutôt que celui de l’« investisseur raisonnable », devrait être appliqué pour évaluer l’importance relative dans les affaires de présentation inexacte des faits sur le marché secondaire. La Cour a laissé ouverte la question de savoir si les deux critères sont identiques ou si l’un ou l’autre conviendrait dans tous les cas, ou dans des cas particuliers. Il n’est pas question de la distinction entre les deux critères, parce que les deux parties ont convenu que l’importance relative d’un fait omis est régie par les principes établis dans l’arrêt Sharbern Holding.

Selon l’arrêt Sharbern Holding, l’obligation de communiquer tous les renseignements importants n’oblige nullement les émetteurs à communiquer tous les faits qui permettraient à un investisseur de distinguer ce qui est important de ce qui ne l’est pas. Au contraire, beaucoup trop de renseignements paralyseraient les investisseurs et nuiraient à leur faculté de prendre des décisions éclairées.

La Cour affirme que l’obligation de communiquer tous les moindres faits va à l’encontre des objectifs de la Loi sur les valeurs mobilières, parmi lesquels figure la protection des investisseurs. La Cour d’appel a tenu compte de ce principe en confirmant que l’avis objectivement peu fiable de Strathcona n’avait pas à être communiqué, et n’aurait pas dû l’être.

Le juge de première instance ne s’en est pas remis de façon inappropriée à l’appréciation commerciale de Pretium

La Cour d’appel a rejeté l’argument du demandeur voulant que la décision du juge de première instance était fondée sur une évaluation a posteriori de l’importance relative et que le juge s’en était remis de façon inappropriée à l’avis subjectif et à l’appréciation commerciale de Pretium. Il existait en effet une preuve significative et concomitante que Pretium, son conseil d’administration et Snowden considéraient les préoccupations exprimées par Strathcona comme hautement douteuses, prématurées et en dehors des compétences de Strathcona. Le juge de première instance n’a pas réalisé son analyse à travers le prisme du jugement après coup.

Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en ne déduisant pas l’importance relative des renseignements à partir de la chute du cours de l’action

Enfin, la Cour d’appel a rejeté l’argument du demandeur selon lequel le juge de première instance a commis une erreur en ne déduisant pas l’importance relative de l’avis de Strathcona à partir de la chute du cours de l’action de Pretium qui a suivi l’annonce de la démission de Strathcona. Même lorsqu’il est évident qu’une présentation inexacte des faits a été « corrigée publiquement », la chute du cours d’une action qui survient après la correction n’est pas déterminante dans l’évaluation de l’importance relative (quoiqu’elle soit pertinente). En l’occurrence, il n’y avait pas de preuve que la chute du cours de l’action de Pretium découlait de la communication des préoccupations de Strathcona. Il est inadmissible que l’on conclue à rebours à l’existence d’une importance relative à partir de la chute d’un cours.

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