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Le Canada resserre l’examen relatif à la sécurité nationale des investissements étrangers

Auteurs : Charles Tingley et Mark Katz

Le gouvernement du Canada a fait des propositions législatives visant à mettre à jour et à resserrer son processus d’examen relatif à la sécurité nationale aux termes de la Loi sur Investissement Canada (la « LIC »). Les modifications proposées dans le Projet de loi C-34, Loi sur la modernisation de l'examen des investissements relativement à la sécurité nationale (le « projet de loi ») sont les plus importantes depuis l’entrée en vigueur, en 2009, du régime d’examen relatif à la sécurité nationale prévu par la LIC.

Nouvelles mesures proposées

Nouveau régime de dépôt préalable à la clôture visant les investissements dans les secteurs prescrits. Les investissements dans certains secteurs (indéterminés pour le moment) seront soumis à une nouvelle obligation de dépôt préalable à la clôture et visés par une suspension prévues par la LIC. À l’heure actuelle, seuls les investisseurs étrangers qui acquièrent le contrôle d’une entreprise canadienne ou qui établissent une nouvelle entreprise canadienne sont tenus d’en aviser le gouvernement. La vaste majorité de ces avis d’investissement n’ont aucun effet suspensif sur la mise en œuvre de l’investissement et peuvent être déposés une fois celui-ci réalisé. En revanche, le nouveau régime de dépôt préalable à la clôture obligerait les investisseurs qui effectuent des investissements dans des secteurs sensibles, y compris certains investissements visant une prise de participation ne donnant pas le contrôle, à déposer un avis préalable. Dans le cadre du nouveau régime, de tels investissements ne pourraient être conclus avant que les délais d’examen prévus se soient écoulés ou que l’examen soit terminé. Les investisseurs qui omettent de se conformer à l’obligation de dépôt préalable à la clôture seraient passibles d’une pénalité pouvant aller jusqu’à 500 000 $ CA.

Les secteurs sensibles auxquels la nouvelle obligation de dépôt s’appliquerait n’ont pas encore été définis dans la réglementation, mais ils devraient vraisemblablement comprendre le secteur des minéraux critiques et viser les entreprises qui traitent des renseignements personnels permettant d’identifier des Canadiens ainsi que certaines technologies sensibles comme l’intelligence artificielle, l’informatique quantique et d’autres technologies mentionnées dans les Lignes directrices sur l’examen relatif à la sécurité nationale des investissements du gouvernement fédéral. On s’attend à ce que des consultations sur la portée et la définition de ces secteurs aient lieu avant la mise en œuvre du nouveau régime de dépôt.

Pouvoirs ministériels accrus. Le projet de loi prévoit également la délégation de pouvoirs administratifs par le Cabinet fédéral au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie (le « ministre »), afin semble-t-il de simplifier le processus d’examen relatif à la sécurité nationale et d’offrir une plus grande latitude pour répondre aux préoccupations potentielles en matière de sécurité nationale pendant et après l’examen. L’attribution d’un nouveau pouvoir permettant d’imposer unilatéralement des conditions provisoires à un investisseur donné pendant qu’un examen est en cours constituerait un changement important. Il pourrait s’agir, par exemple, de l’émission d’ordonnances visant à ce que soient détenus séparément des éléments d’actif, et ce, même après la réalisation d’un investissement, pour limiter l’accès d’un investisseur à la propriété intellectuelle et aux données sensibles d’une entreprise canadienne en attendant le résultat d’un examen. Le projet de loi permettrait également au ministre d’accepter des engagements de la part d’un investisseur pendant le processus d’examen; cela pourrait accélérer les examens et réduire le nombre de renvois au Cabinet, mais également indiquer que l’on s’attend à ce que des engagements soient offerts dans diverses circonstances afin d’atténuer les retards procéduraux et d’éviter les résultats potentiellement négatifs.

Mise à jour des pénalités en cas de non-conformité à la LIC. La LIC prévoit que le gouvernement peut s’adresser au tribunal pour obtenir de nombreux types d’ordonnances en cas de non-respect de la loi auquel il n’est pas remédié. Ces ordonnances comprennent des ordonnances de dessaisissement et des sanctions pécuniaires pouvant aller jusqu’à 10 000 $ CA pour chaque jour de non-conformité à la loi. Aux termes du projet de loi, les sanctions pécuniaires maximales pour chaque jour de non-conformité seraient portées à 25 000 $ CA, et, comme il est mentionné ci-dessus, une nouvelle pénalité pouvant atteindre 500 000 $ CA pourrait être imposée en cas de manquement à la nouvelle obligation de dépôt préalable à la clôture applicable aux investissements dans des secteurs sensibles. Dans chaque cas, le projet de loi prévoit la possibilité d’augmenter le montant maximal de ces pénalités par voie réglementaire.

Approche plus permissive pour l’échange de renseignements sur les investisseurs étrangers avec des homologues internationaux. La LIC contient à l’heure actuelle des dispositions très strictes visant à protéger la confidentialité des renseignements concernant les investisseurs obtenus dans le cadre du processus d’examen des investissements étrangers. Le projet de loi autoriserait l’échange de ces renseignements avec les autorités chargées de l’examen des investissements étrangers d’autres territoires afin de faciliter les examens relatifs à la sécurité nationale lorsqu’il existe, par exemple, un intérêt commun en matière de sécurité nationale. Toutefois, le gouvernement précise du même coup que le Canada ne communiquera pas de tels renseignements lorsque des questions de confidentialité ou d’autres préoccupations sont en jeu, ce qui pourrait indiquer une intention de partager ces renseignements seulement avec des territoires de confiance qui, à leur tour, assureraient la confidentialité de ces renseignements.

Nouvelles règles pour protéger les renseignements détaillés de nature délicate dans le cadre de procédures judiciaires. Le projet de loi contient également des dispositions qui permettraient au ministre de déterminer que des renseignements sont de nature sensible, comme des renseignements secrets classifiés, ce qui ferait en sorte que ceux-ci soient protégés contre la divulgation dans le cadre de procédures judiciaires découlant de mesures d’application de la loi aux termes de la LIC, notamment le contrôle judiciaire des ordonnances de blocage ou d’imposition de conditions applicables aux investissements pour des raisons de sécurité nationale. Les renseignements désignés pourraient être utilisés et examinés par un juge, mais seul un résumé de ceux-ci serait mis à la disposition des investisseurs et de leurs conseillers juridiques.

Durcissement récent de la position en matière de sécurité nationale

La Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique annoncée récemment par le gouvernement donnait un avant-goût des modifications proposées dans le projet de loi. Le projet de loi s’inscrit également dans la lignée de mesures prises récemment par le gouvernement pour renforcer la mise en œuvre du processus d’examen relatif à la sécurité nationale aux termes de la LIC. Ces initiatives ont commencé par la mise en œuvre de politiques à la suite de la pandémie de COVID-19, auxquelles se sont récemment ajoutées des politiques plus strictes visant les investissements russes et les investissements effectués par des entreprises d’État dans le secteur des minéraux critiques, le tout s’inscrivant dans le cadre d’une surveillance considérablement accrue de la sécurité nationale en ce qui a trait aux investissements étrangers. Pourtant, rien ne laissait présager que le gouvernement actuel serait à l’origine d’une application plus vigoureuse de la législation relative à la sécurité nationale. En effet, pas plus tard qu’au début de l’année en cours, certains médias et membres du Parlement ont mis en doute le sérieux avec lequel le gouvernement traitait des questions de sécurité nationale. Cependant, les événements géopolitiques et les pressions exercées par les alliés ont entraîné un changement notable de l’attitude du gouvernement canadien, qui se reflète dans l’évolution de son approche à l’égard de la LIC. Cette évolution s’observe également lorsque l’on consulte le document d’information du gouvernement sur le projet de loi, qui mentionne le rôle que joue la LIC dans la protection de la « sécurité économique » du Canada et l’atténuation des « menaces à la sécurité économique découlant des investissements étrangers ». De telles mentions mettent en évidence l’évolution du processus d’examen relatif à la sécurité nationale, ici et à l’étranger (et plus particulièrement aux États-Unis et au Royaume-Uni), lequel était auparavant plus étroitement axé sur les préoccupations traditionnelles liées à l’espionnage, à la défense nationale et aux infrastructures essentielles, et qui a maintenant une portée plus large englobant la sécurité économique, y compris les technologies et les produits stratégiques qui stimuleront l’économie de l’avenir.

Le nouveau régime de dépôt préalable à la clôture au cœur des modifications

Dans ce contexte, le projet de loi vise à signaler aux alliés du Canada que le pays modernise son processus d’examen relatif à la sécurité nationale afin de l’harmoniser plus étroitement avec les régimes correspondants dans des pays aux vues similaires, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni. En effet, le régime de dépôt obligatoire préalable à la réalisation de l’investissement, la pièce maîtresse du projet de loi, est conceptuellement semblable aux exigences législatives en vigueur dans ces pays. Néanmoins, la nouvelle obligation de dépôt pourrait avoir une incidence importante sur la planification des opérations par les entreprises canadiennes qui exercent des activités dans des secteurs sensibles (y compris les entreprises de haute technologie en démarrage à la recherche de capitaux) et par les investisseurs étrangers qui cherchent à investir dans ces entreprises.

Au cours de l’exercice 2021-2022, le plus récent pour lequel le gouvernement tient des statistiques, seulement huit investissements visant des entreprises qui ne sont pas des entreprises culturelles ont fait l’objet d’une obligation de dépôt d’un avis d’investissement préalable à la clôture et d’une exigence d’approbation, tous conformément au processus d’examen de « l’avantage net » pour le Canada prévu par la LIC, qui n’est pas axé sur les questions de sécurité nationale. Aucun des autres investissements ayant fait l’objet d’un avis au cours de la période (plus de 1 200) n’a été soumis aux obligations de dépôt préalable à la clôture et d’écoulement d’une période d’attente prescrite. Dans au moins certains de ces cas, les parties ont vraisemblablement choisi volontairement de déposer un avis et d’obtenir une approbation préalables à la clôture afin d’exclure ou de gérer le risque lié à la sécurité nationale avant la clôture de l’opération. Il reste à voir combien d’investissements seront visés par l’obligation de dépôt préalable à la clôture prévue par le projet de loi, mais le nombre sera probablement important, d’autant plus que la nouvelle obligation de dépôt s’appliquerait à certains investissements qui visent une prise de participation ne donnant pas le contrôle et qui ne font actuellement l’objet d’aucune obligation d’avis. Par conséquent, d’importantes questions de définition devront être réglées afin de déterminer la portée et l’application de la nouvelle obligation de dépôt préalable à la clôture, et ainsi limiter le fardeau, le coût et l’incertitude potentielle liés au respect du régime. Les modalités clés du règlement d’application comprendront les suivantes :

  • Définition des activités exercées dans des secteurs sensibles visées par l’obligation de dépôt d’un avis. Il pourrait être difficile de les définir avec précision.
  • Mesure dans laquelle les investissements visant une prise de participation ne donnant pas le contrôle seront visés par l’obligation. À l’heure actuelle, le projet de loi laisse entendre que ces investissements comprendront ceux qui donnent à l’investisseur un certain niveau d’accès à des renseignements de nature sensible sur l’entreprise cible ainsi que le pouvoir de nommer ou de proposer la candidature de toute personne qui a la capacité de diriger les affaires internes de l’entreprise (p. ex., un administrateur ou un membre de la haute direction). On ne sait pas si le règlement prévoira une quelconque règle d’exonération, par exemple en ce qui a trait au pourcentage minimal de propriété d’actions.
  • Volet administratif des processus de dépôt et d’examen. Cela comprend le niveau de communication avec les investisseurs au sujet du dépôt de leurs avis et la possibilité d’obtenir la fin anticipée des périodes d’attente préalables à la clôture.

Compte tenu particulièrement de la gravité des conséquences en cas de non-respect du régime de dépôt préalable à la clôture proposé dans le projet de loi, il est à souhaiter que ces considérations ainsi que d’autres questions pratiques fassent l’objet de consultations avant que les détails se précisent et que les règlements soient adoptés. En outre, les parties prenantes bénéficieraient de lignes directrices administratives pour les aider à s’y retrouver dans le processus modifié. Mis à part la création d’une catégorie d’investissements qui seraient soumis à l’obligation de dépôt d’un avis préalable à la clôture, un autre effet possible du projet de loi (y compris la perspective d’ordonnances provisoires) est l’augmentation de la fréquence de dépôt d’avis d’investissement préalable à la clôture de façon discrétionnaire. Le dépôt volontaire d’un avis d’investissement préalable à la clôture a également été encouragé à la fois par l’adoption récente d’un régime de dépôt volontaire pour les investissements ne visant pas l’acquisition du contrôle et par la possibilité pour le gouvernement d’effectuer un examen relatif à la sécurité nationale à l’égard de tout investissement n’ayant pas fait l’objet d’un avis jusqu’à cinq ans après sa réalisation.

Ce qui est exclu du projet de loi

En examinant le projet de loi, il y a également lieu de noter ce qu’il ne prévoit pas. Par exemple, le projet de loi ne tient pas compte de certaines suggestions récentes du Comité permanent de l’industrie et de la technologie de la Chambre des communes (le « comité ») visant à resserrer la LIC. Le comité avait notamment recommandé que chaque acquisition de contrôle par une entreprise d’État étrangère fasse l’objet d’un examen de l’avantage net avant sa réalisation et que tous les investissements effectués par des entreprises d’État étrangères issues de régimes autoritaires fassent l’objet d’un examen relatif à la sécurité nationale exhaustif. Le gouvernement a choisi, du moins pour l’instant, de ne pas aller aussi loin. Il reste par ailleurs à voir si une augmentation du nombre de dépôts d’avis d’investissement préalables se traduira par une augmentation notable de l’application de la loi. À cet égard, rien dans le projet de loi ne vient modifier sur le fond l’approche du gouvernement concernant l’évaluation des investissements en fonction de préoccupations potentielles en matière de sécurité nationale.

Compte tenu des changements prévus par le projet de loi et de l’examen relatif à la sécurité nationale de plus en plus approfondi auquel le gouvernement soumet les investissements en général, les investisseurs étrangers au Canada doivent continuer à faire preuve de diligence en évaluant les incidences potentielles de la LIC, notamment en consultant dès le départ leurs conseillers juridiques, dans le cadre de la planification de leurs opérations.

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