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La protection contre les traitements ou peines cruels et inusités : le cas des amendes minimales

La Cour d’appel du Québec (la « CAQ ») a rendu le 4 mars dernier son arrêt dans Bédard c. Directeur des poursuites criminelles et pénales1. Ce jugement contient une application intéressante de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »), qui prévoit que « [c]hacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités ». La CAQ analyse la conformité constitutionnelle d’une amende minimale prévue dans le régime pénal de la Loi sur le bâtiment2 (la « Loi »). Elle le fait à la lumière de la décision Boudreault3 de la Cour suprême du Canada (la « CSC ») et formule à son égard des distinctions instructives.

Contexte et faits

L’appelant (l’« appelant »), un homme à la retraite, exploitait avec sa conjointe une entreprise de gestion de projets et de design d’intérieur. Il a été trouvé coupable d’avoir enfreint l’article 46 de la Loi en exerçant les fonctions d’entrepreneur de construction sans être titulaire d’une licence en vigueur à cette fin. Ce faisant, il est devenu passible de l’amende minimale de 10 481 $ prévue à l’article 197.1 de la Loi4.

En première instance, une juge de paix magistrat a conclu que l’appelant avait contrevenu à la Loi de bonne foi, qu’il ne travaillait pas au noir, qu’il payait ses taxes et qu’il avait depuis l’infraction obtenu une licence en bonne et due forme. Elle a statué, à la lumière de ces circonstances, que lui imposer l’amende minimale serait grossièrement disproportionné et constituerait une peine cruelle et inusitée. La Cour supérieure du Québec (la « CSQ ») s’est, en appel, dite d’avis contraire.

Rappel de l’arrêt Boudreault

Boudreault a été rendu entre la décision de la CSQ et l’arrêt de la CAQ en l’instance. La majorité de la CSC y a conclu que le régime de suramende compensatoire alors prévu par le Code criminel5 enfreignait l’article 12 de la Charte.

La suramende compensatoire est une somme fixée par la loi devant être payée par quiconque est absous, plaide coupable ou est condamné à l’égard d’une infraction prévue dans le Code criminel ou dans diverses autres lois fédérales. À l’époque de Boudreault, son imposition était obligatoire : elle ne dépendait aucunement de la gravité objective de l’infraction commise, des effets de l’infraction sur la victime ou des caractéristiques particulières du contrevenant.

La majorité de la CSC a conclu que la suramende compensatoire était une peine cruelle et inusitée pour des contrevenants particulièrement impécunieux, qui étaient dans l’incapacité de payer la suramende dans un futur prévisible et qui étaient ainsi exposés, pour une durée indéfinie, à une panoplie de mesures pénales et administratives pour défaut de paiement, dont l’incarcération.

Boudreault est le premier arrêt de la CSC – et le seul à ce jour – à avoir déclaré qu’une peine purement économique, en l’occurrence une amende, peut contrevenir à l’article 12 de la Charte.

Arrêt de la CAQ

La CAQ rappelle d’abord qu’une peine n’est inconstitutionnelle que si elle est « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine » et « odieuse ou intolérable » pour la société, à la lumière de l’ensemble des circonstances et facteurs pertinents. Elle conclut que l’amende minimale de 10 481 $ n’atteint pas ce seuil et qu’elle est donc constitutionnellement valide.

La CAQ rejette ce qu’elle qualifie être une application hors contexte de Boudreault. Elle mentionne notamment que l’amende minimale de 10 481 $ ne s’applique qu’à des comportements bien identifiés, tandis que la suramende compensatoire s’appliquait « à toutes les infractions, de la plus bénigne à la plus grave ». Elle souligne également les différences qui existent entre le droit criminel, qui vise généralement à sanctionner des conduites passées, et les régimes de droit pénal réglementaire, comme celui de la Loi, qui visent plutôt à protéger le public en prévenant des conduites préjudiciables. En matière réglementaire, les multiples facteurs pris en compte par le législateur lors de l’établissement de l’amende minimale doivent être analysés.

La CAQ retient que l’augmentation par l’Assemblée nationale de l’amende minimale prévue à l’article 197.1 de la Loi « visait à rendre économiquement inintéressante la transgression de l’obligation de détenir une licence pour effectuer des travaux de construction, l’amende prévue antérieurement n’ayant pas permis d’enrayer le comportement interdit ». Elle rappelle que l’obligation de détenir une licence pour pouvoir exercer les fonctions d’entrepreneur de construction constitue l’un des aspects fondamentaux de la Loi. En ce sens, l’infraction commise par l’appelant n’est donc pas une infraction mineure.

La CAQ considère également d’un œil favorable l’existence de moyens pour amoindrir les effets de l’amende, dont la possibilité d’un délai additionnel, d’une entente de versements échelonnés ou d’un remplacement de l’amende par l’exécution de travaux compensatoires ou la participation à des mesures alternatives. La CAQ ne disposait en l’espèce d’aucune preuve lui permettant de conclure que ces moyens ne constitueraient pas des alternatives réalistes pour les appellants ou d’autres contrevenants (contrairement à ce qui prévalait dans Boudreault).

Bien qu’elle rejette la contestation constitutionnelle en l’espèce, la CAQ ne ferme pas complètement la porte à des contestations futures à l’égard d’amendes minimales.

L’arrêt Bédard fait actuellement l’objet d’une demande d’autorisation d’appel à la CSC.

1 2021 QCCA 377.

2 RLRQ c. B-1.1.

3 R. c. Boudreault, 2018 CSC 58 (« Boudreault »).

4 Compte tenu de l’inflation, cette amende minimale est aujourd’hui de 11 682 $.

5 LRC 1985, c. C-46.

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