Bulletin

Rapport de l’OCDE : le rôle des sociétés dans la lutte contre les intermédiaires qui favorisent la criminalité en col blanc

Auteurs : Léon H. Moubayed, Guy Du Pont, Ad.E., Derek D. Ricci et Amélie Lehouillier

En février 2021, l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’« OCDE ») a publié un rapport intitulé « En finir avec les montages financiers abusifs : Réprimer les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc » (le « Rapport »), où il est question du rôle que jouent les « intermédiaires fiscaux » dans la perpétration de délits financiers et de l’importance de sévir en vue de mettre fin à leurs agissements.

Selon le Rapport, la criminalité en col blanc qui revêt une dimension internationale, comme la fraude, les pots-de-vin et la corruption, est souvent facilitée sinon suggérée par des professionnels, des institutions financières et d’autres intermédiaires peu scrupuleux qui mettent en place des structures juridiques et des opérations financières complexes en vue de l’occulter. Le Rapport signale que même si ces personnes et entités ne forment qu’un petit groupe, on ne doit ni minimiser ni perdre de vue l’importance du rôle qu’elles jouent. Le Rapport indique que seule une coopération internationale efficace peut faire obstacle à ces montages complexes et transnationaux. À titre d’exemple, le Canada s’est récemment joint à quelques autres pays au sein du groupe des Joint Chiefs of Global Tax Enforcement – ou J5 – en vue de faire en sorte que plus de délits fiscaux fassent l’objet de poursuites à l’échelle internationale et de rehausser la collaboration en matière d’application de la loi.

Qu’entend-on par intermédiaire fiscal?

Le Rapport décrit l’« intermédiaire fiscal » comme une « personne physique ou morale munie de l’expertise professionnelle nécessaire pour fournir à ses clients un service particulier qui les aidera à commettre un délit fiscal ou une autre infraction financière »1. Ils peuvent être soit des intermédiaires qui facilitent de telles fraudes ou des instigateurs de ces fraudes, soit n’être qu’un rouage, quoiqu’essentiel, dans la mise en place d’un mécanisme plus large de fraude. Cette définition est appelée à varier d’un pays à l’autre et selon la nature du délit reproché.

Le Rapport s’intéresse « aux cas où les professionnels, dans le cadre des services et conseils qu’ils fournissent, dépassent le cadre de l’interprétation pour rechercher des failles juridiques et vont jusqu’à favoriser, par leur intervention et leur soutien actifs, la fraude fiscale »2. Le Rapport recommande diverses actions gouvernementales, dont l’élaboration et l’amélioration de stratégies nationales visant à lutter plus efficacement contre ces complices de la criminalité en col blanc internationale, notamment au moyen d’une sensibilisation et d’une coopération accrues.

Principaux points à retenir pour les entreprises

Bien que le Rapport se penche principalement sur les actions gouvernementales visant à dissuader les intermédiaires fiscaux de commettre ou d’inciter leurs clients à commettre de tels délits, certaines recommandations devraient également être prises en compte et suivies par les entreprises, dont les suivantes :

  • Comprendre et reconnaître ce que sont les intermédiaires fiscaux et la façon dont ils conçoivent, commercialisent, mettent en œuvre et dissimulent les délits fiscaux afin d’être mieux en mesure de repérer et, possiblement, de prévenir la fraude. Le Rapport souligne que ce ne sont habituellement pas toutes les parties concernées qui sont conscientes de leur conduite illégale. Ainsi, des tiers de bonne foi peuvent être exposés « au risque de tromperie ou de fraude »3 par des intermédiaires fiscaux.
  • Adopter une culture de bonne gouvernance et de conformité. Éviter d’avoir recours à des incitations directes, comme « les systèmes de primes qui encouragent la prise de risques, les failles systémiques, comme la formation des salariés, ou une culture qui ferme les yeux sur certaines pratiques, comme l’application insuffisante de l’obligation de vigilance ou l’absence de directives claires de la haute direction interdisant de pratiquer la fraude fiscale »4.
  • Établir et favoriser une culture organisationnelle de transparence en vue d’encourager les employés à parler ouvertement lorsqu’ils ont l’impression que des actes répréhensibles sont commis. La déclaration d’actes répréhensibles pourrait permettre à une société de se prévaloir de programmes de déclaration spontanée qui lui assurent la clémence ou une réduction des sanctions. Selon l’OCDE, les programmes de déclaration spontanée constituent une méthode efficace de lutte contre les intermédiaires fiscaux. L’Agence du revenu du Canada dispose d’un tel programme, le Programme des divulgations volontaires, et Revenu Québec a également mis en place un programme analogue.
  • Se tenir au courant des modifications apportées à la législation qui peuvent faire d’une pratique jusqu’alors légale une pratique criminelle. Le scandale allemand de fraude fiscale sur les dividendes, qui a fait les manchettes en 2010, illustre toute l’importance de rester à l’affût des changements législatifs. Une stratégie d’optimisation fiscale connue sous le nom d’« arbitrage de dividendes » permettait le transfert d’actions à une entité étrangère afin d’éviter d’avoir à verser un impôt sur les dividendes avant la revente des mêmes actions à leur propriétaire initial. Une fois la pratique interdite en Allemagne, des intermédiaires fiscaux ont mis en œuvre une nouvelle stratégie appelée « cum-ex » aux termes de laquelle plusieurs sociétés s’échangeaient des actions à plusieurs reprises sur une très courte période autour de la date de paiement du dividende, empêchant ainsi les autorités fiscales d’établir qui en était le véritable propriétaire. Quoi qu’il en soit, ce nouveau mécanisme ne fait plus partie d’une zone grise en droit, mais constitue plutôt une pratique frauduleuse.
  • Le Rapport incite les pays à améliorer leurs stratégies de communication. Au Canada, l’Agence du revenu du Canada et Revenu Québec ont déjà publié des communications, sous forme de bulletins d’interprétation ou de folios, visant à aider les contribuables à mieux comprendre les règles fiscales et les conséquences de ne pas s’y conformer. En plus de consulter ces sources de renseignements, les sociétés ne devraient pas hésiter à obtenir des conseils juridiques.

Comme nous l’avons mentionné à maintes reprises, la prévention de la criminalité financière est un combat de tous les instants qui ne sera gagné que lorsque l’ensemble du milieu des affaires et de la société aura pris conscience qu’un véritable changement de culture doit s’opérer. Bien que la législation et les politiques internes demeurent essentielles, elles pourraient ne pas parvenir à enrayer la corruption. Elles doivent s’accompagner d’une réelle culture de lutte contre la corruption – c’est-à-dire d’une culture et de valeurs qui rendent les pratiques frauduleuses inacceptables et qui placent l’intégrité au cœur du quotidien de tous les membres de la société, dont les entreprises et leurs conseillers. Ce changement de cap culturel peut faire obstacle aux intermédiaires fiscaux puisque « le comportement d’une entreprise en matière de conformité fiscale peut directement influer sur celui de l’intermédiaire qui propose des services en son nom »5. En outre, le Rapport souligne que le maintien d’une image de responsabilité sociale est important pour la plupart des entreprises et devrait inciter celles-ci « à choisir avec soin les fiscalistes et intermédiaires qu’elles engagent pour être certaines de ne pas s’associer avec des professionnels récalcitrants »6.

1 Rapport de l’OCDE, paragr. 2.

2 Rapport de l’OCDE, paragr. 5.

3 Rapport de l’OCDE, paragr. 16.

4 Rapport de l’OCDE, paragr. 63.

5 Ibid.

6 Rapport de l’OCDE, paragr. 64.

Personnes-ressources

Connexe