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Un recours collectif qui n’a pas pris son envol : la Cour conclut à l’insuffisance de fondement factuel dans une poursuite concernant la réduction de la capacité des compagnies aériennes

16 juin 2025

Éléments à retenir

  • Selon les règles de droit, pour qu’un recours collectif soit certifié, il faut plus que des allégations générales : les allégations passe-partout du demandeur dans sa demande introductive d’instance n’étaient pas suffisamment précises, ce qui a entraîné le rejet de la demande.
  • Les tribunaux ontariens écarteront les demandes frivoles en exigeant des demandeurs qu’ils établissent un certain fondement factuel quant à l’existence du complot allégué et que les questions en litige puissent faire l’objet d’un règlement commun pour tous les membres du groupe.
  • Les demandeurs ne peuvent pas simplement s’en remettre au fait que des procédures similaires ont été intentées aux États-Unis pour établir un certain fondement factuel quant à l’existence d’un complot au Canada. Bien que le seuil de preuve soit peu élevé, les membres du groupe doivent établir que leur demande contient un certain fondement factuel.

Dans une décision rendue récemment, la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour ») a refusé de certifier un recours collectif contre quatre compagnies aériennes internationales. Selon le demandeur, les compagnies aériennes avaient comploté de manière à réduire la capacité de vols transfrontaliers entre les États-Unis et le Canada. La Cour a rejeté la motion présentée par le demandeur en vue de faire certifier l’instance comme recours collectif au motif que ce dernier n’a pas établi de cause d’action ni présenté un fondement factuel suffisant. Davies assurait la défense de l’une des compagnies aériennes visées. 

Contexte

L’affaire Gifford c Air Canada (l’« affaire Gifford ») est la dernière d’une série d’affaires en lien avec des allégations selon lesquelles les compagnies aériennes ont comploté en vue de réduire la capacité de vols aux États-Unis. Dans le cadre de l’affaire Gifford, le demandeur a affirmé que quatre compagnies aériennes ont comploté pour réduire illégalement l’offre de vols entre le Canada et les États-Unis. Le demandeur a fait état d’un accord de fixation des prix inhabituel fondé sur l’« élimination de l’offre ».

Une instance ne peut être introduite comme un recours collectif que si certaines exigences prévues par la loi sont respectées. Dans l’affaire Gifford, la question était de savoir si le demandeur avait établi adéquatement une cause d’action et si la preuve permettait d’établir un certain fondement factuel quant à l’existence d’un complot.

Le demandeur n’a pas établi une cause d’action valable 

Pour déterminer si un demandeur a établi une cause d’action valable, un tribunal tiendra pour vrais les faits allégués par le demandeur, à moins que ceux-ci ne soient manifestement impossibles à prouver. Dans une affaire comme l’affaire Gifford, dans laquelle un demandeur affirme qu’il existe un complot anticoncurrentiel, le demandeur doit exposer de manière précise les intentions du défendeur à l’égard du complot allégué.

Dans l’affaire Gifford, la Cour a conclu que le demandeur n’a pas exposé avec suffisamment de précision (voire pas du tout) qui avait agi en vue de la réalisation du complot, quelles actions avaient été prises et quand l’accord avait été conclu. La Cour a notamment souligné que les déclarations faites en 2015 présentées par le demandeur pour établir l’existence d’un complot ne concernaient pas les vols transfrontaliers, ce qui créait une distinction entre les faits allégués et la thèse du demandeur dans son ensemble. 

La décision de la Cour confirme les règles de droit en Ontario : les demandeurs qui souhaitent faire certifier un recours collectif doivent présenter des renseignements suffisants, organisés de manière logique et cohérente, à l’appui de leurs allégations contre les défendeurs. 

La Cour a appliqué l’approche en deux étapes du critère des questions communes

Les demandeurs qui présentent une motion en Ontario en vue de faire certifier une instance comme recours collectif doivent convaincre le tribunal, entre autres, que leur demande soulève des questions communes pour les membres du groupe. Ce mécanisme de filtrage permet d’éviter la certification de demandes frivoles et garantit que seules les instances qui s’y prêtent sont instruites comme des recours collectifs.

La décision Gifford fait partie des décisions de plus en plus nombreuses dans lesquelles le tribunal a conclu qu’un demandeur doit non seulement démontrer que les questions communes sont susceptibles de faire l’objet d’un règlement commun pour tous les membres du groupe, mais également présenter un « certain fondement factuel » permettant d’établir que les questions communes existent effectivement – autrement dit, que les actes répréhensibles reprochés sont susceptibles de s’être produits. La Cour d’appel de l’Ontario et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux approuvé ce qu’on appelle l’approche en deux étapes pour évaluer le caractère commun.

La Cour a rejeté l’argument du demandeur fondé sur un recours collectif similaire aux États-Unis

Dans l’affaire Gifford, le demandeur s’est fondé sur une décision d’un tribunal américain qui a rejeté la requête en jugement sommaire présenté par les défendeurs dans le cadre d’un recours collectif similaire où il était affirmé qu’il existait un complot visant à réduire l’offre de vols intérieurs aux États-Unis. La Cour a conclu que cette requête en jugement sommaire ne permettait pas d’établir un certain fondement factuel quant à l’existence d’un complot au Canada concernant les vols transfrontaliers. La décision du tribunal américain ne reposait sur aucune conclusion de fait, portait sur un marché différent et concernait une allégation de complot distincte. Par conséquent, la Cour a souligné l’importance pour les demandeurs de présenter une thèse et des éléments de preuve propres au Canada.