Document de consultation : Les émetteurs privés étrangers sous la loupe de la SEC
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Les mesures d’adaptation prévues dans la législation en valeurs mobilières des États-Unis en ce qui a trait à l’« émetteur privé étranger » (foreign private issuer ou FPI) profitent-elles aux entités visées? La Securities and Exchange Commission des États-Unis (la « SEC ») se penche sur cette question fondamentale dans son document de consultation (concept release) récemment publié.
Dans le contexte canadien, les principaux points à retenir sont les suivants :
- Statu quo pour les émetteurs qui se prévalent du RIM. Les émetteurs canadiens assujettis au régime d’information multinational (le « RIM ») Canada-États-Unis ne sont pas visés par le document de consultation1. Toutefois, ils pourraient subir des dommages collatéraux si la SEC modifie la définition du terme « émetteur privé étranger » (foreign private issuer) d’une façon qui empêche certains émetteurs canadiens de continuer à se prévaloir de ce statut.
- Incertitude pour les émetteurs qui ne se prévalent pas du RIM. Les quelque 75 émetteurs privés étrangers canadiens qui ne se prévalent pas du RIM2 sont traités comme les autres émetteurs privés étrangers et devraient suivre attentivement l’évolution de la législation, car, tout comme les autres émetteurs privés étrangers, ils pourraient voir leur accès aux marchés financiers américains être compromis de façon importante.
Document de consultation
La SEC sollicite l’avis du public au sujet de la définition du terme « émetteur privé étranger » (foreign private issuer)3. Plus précisément, compte tenu de l’évolution importante de la composition des émetteurs privés étrangers depuis 2003, la SEC étudie la question de savoir si la définition du terme, qui n’a pas été modifiée depuis 1999, devrait être changée afin de mieux représenter les émetteurs étrangers qui étaient initialement censés bénéficier des obligations d’information allégées et des autres mesures d’adaptation prévues, tout en continuant de protéger les investisseurs et de favoriser la formation de capital.
Avantages du statut d’émetteur privé étranger
Les émetteurs privés étrangers bénéficient d’importantes mesures d’adaptation qui les dispensent des exigences plus contraignantes applicables aux émetteurs américains aux termes des règles de la SEC ainsi que des règles d’inscription de la New York Stock Exchange (la « NYSE ») et du Nasdaq. Par exemple :
- les émetteurs privés étrangers peuvent déposer des déclarations d’inscription et des rapports annuels à l’aide de formulaires moins complexes et sont dispensés de l’obligation de déposer des rapports trimestriels et des rapports d’événement en utilisant les formulaires applicables aux émetteurs américains;
- les émetteurs privés étrangers peuvent dresser leurs états financiers selon 1) les Normes internationales d’information financière publiées par l’International Accounting Standards Board; 2) les Principes comptables généralement reconnus des États-Unis (les « PCGR »); ou 3) un autre ensemble de principes comptables qui peuvent faire l’objet d’un rapprochement avec les PCGR des États-Unis;
- les émetteurs privés étrangers (et leurs initiés) sont dispensés des obligations relatives aux déclarations d’initiés et à la restitution des profits réalisés dans le cadre d’opérations à court terme;
- les émetteurs privés étrangers sont dispensés des règles en matière de sollicitation de procurations et des obligations d’information connexes, ainsi que de l’obligation de tenir certains votes consultatifs sur la rémunération des membres de la haute direction et la rémunération versée sous forme de parachutes dorés (vote consultatif sur la rémunération et règles de fréquence);
- les émetteurs privés étrangers sont dispensés des obligations prévues par le Regulation FD (qui concerne la communication sélective d’information importante inconnue du public);
- les émetteurs privés étrangers ont le droit, dans la plupart des cas, de se conformer aux règles de gouvernance de leur pays d’origine plutôt qu’aux règles d’inscription de la NYSE et du Nasdaq en ce qui a trait aux questions de gouvernance, notamment l’obligation de faire approuver certaines opérations et certains plans incitatifs fondés sur des titres de capitaux propres par les actionnaires.
En offrant ces mesures d’adaptation spéciales aux émetteurs privés étrangers, la SEC a pour objectif de « préserver l’accès des investisseurs américains aux titres [des émetteurs privés étrangers] tout en leur offrant des mesures de protection appropriées » [traduction]4. Elle parvient à atteindre sa cible, car « même si les exigences légales et réglementaires diffèrent d’un pays à l’autre, il est entendu que la plupart des émetteurs privés étrangers admissibles seraient assujettis à des obligations d’information et à d’autres exigences réglementaires substantielles dans leur pays d’origine »5 [traduction].
Caractère changeant de la composition des émetteurs privés étrangers
L’analyse de la SEC ne tenait pas compte des émetteurs canadiens qui se prévalent du RIM; leur nombre n’a pas changé de manière radicale depuis 2003. Pendant plus de trois décennies, le RIM était utilisé à bon escient en tant que système de reconnaissance mutuelle à des fins réglementaires. Toutefois, selon l’analyse de la SEC, la composition des émetteurs privés étrangers qui ne se prévalent pas du RIM a beaucoup changé au cours de la période de 20 ans allant de 2003 à 2023. Les deux tendances principales suivantes ont amené la SEC à réévaluer quels émetteurs étrangers devraient pouvoir bénéficier des mesures d’adaptation spéciales dont il est question ci-dessus :
- en 2003, les émetteurs privés étrangers qui ne se prévalaient pas du RIM étaient habituellement des émetteurs canadiens et britanniques (qui sont assujettis à la réglementation d’usage de leur pays d’origine). En 2023, le territoire de constitution des émetteurs privés étrangers se trouvait le plus souvent aux Îles Caïmans et le siège social, en Chine. La divergence accrue entre le territoire de constitution et le territoire d’établissement du siège social, conjuguée au fait que les émetteurs établis en Chine représentaient environ 28 % de tous les émetteurs privés étrangers qui ne se prévalaient pas du RIM en 2023 (soit une augmentation correspondant à plus du quintuple de la proportion d’émetteurs privés étrangers ne se prévalant pas du RIM qui étaient établis en Chine en 2003), soulève des préoccupations quant à la question de savoir si ces émetteurs sont assujettis à des obligations d’information et à d’autres exigences réglementaires substantielles dans leur pays d’origine;
- les marchés boursiers américains sont les marchés pour la négociation de titres presque exclusifs de plus de la majorité des émetteurs privés étrangers qui ne se prévalent pas du RIM (lesquels sont passés de 45 % en 2014 à 55 % en 2023), ce qui signifie que la réglementation du pays d’origine de ces derniers a une portée limitée.
Par conséquent, contrairement à la situation des émetteurs qui se prévalent du RIM, lesquels sont assujettis à un régime réglementaire rigoureux au Canada, le cadre réglementaire américain pourrait être la principale, voire la seule, source des obligations d’information auxquelles sont assujettis les émetteurs privés étrangers dans d’autres territoires. Cette situation va à l’encontre de la prévision initiale (lors de l’introduction du concept d’émetteur privé étranger en 1935) selon laquelle les émetteurs privés étrangers seraient assujettis à des obligations d’information et à d’autres exigences réglementaires substantielles dans leur pays d’origine6. La SEC est préoccupée par la pratique de l’arbitrage réglementaire dont bénéficient certains émetteurs étrangers.
Resserrement possible de la définition du terme « émetteur privé étranger » (foreign private issuer)
Pour répondre à cet état de choses, la SEC examine ses options dans une perspective plus large et fait appel à l’avis du public quant aux approches potentielles qu’elle pourrait adopter, dont les suivantes, afin de s’assurer que seuls les émetteurs étrangers qui le méritent peuvent se prévaloir des mesures d’adaptation offertes aux émetteurs privés étrangers :
- mettre à jour et peaufiner la définition du terme « émetteur privé étranger » (foreign private issuer);
- imposer une exigence relative au volume des opérations sur les titres d’émetteurs étrangers;
- imposer une obligation d’inscription à la cote d’une grande bourse étrangère;
- exiger que chaque émetteur privé étranger 1) soit constitué ou ait son siège social dans un territoire où la SEC a établi que le « cadre de réglementation et de surveillance [est] rigoureux » [traduction] pour les émetteurs et 2) soit assujetti à la réglementation en valeurs mobilières et fasse l’objet d’une surveillance dans ce domaine (sans possibilité de modification ni de dispense) dans la mesure jugée adéquate par la SEC pour protéger les investisseurs américains;
- élaborer des systèmes de reconnaissance mutuelle en collaboration avec des territoires étrangers (par exemple, les États-Unis et un autre pays s’entendent sur la création d’un système de reconnaissance mutuelle, tel que le RIM Canada États-Unis);
- imposer une exigence relativement à l’établissement d’un mécanisme de collaboration internationale (c’est-à-dire qu’un émetteur privé étranger pourrait être appelé à certifier qu’il est constitué dans un pays qui est un territoire membre de l’Organisation internationale des commissions de valeurs, laquelle est partie à des accords régissant le partage de renseignements, ou que son siège social s’y trouve).
Notre point de vue
Ce n’est pas la première fois que les mesures d’adaptation offertes aux émetteurs privés étrangers font l’objet d’un examen. Comme nous l’avons indiqué dans notre bulletin l’an dernier, ces mesures d’adaptation ont fait l’objet d’attaques politiques : un texte de loi proposé figurait dans le projet de loi sur la défense de plus de 2 000 pages déposé en 2024 qui visait à retirer à tous les émetteurs privés étrangers (y compris les émetteurs qui se prévalent du RIM) la possibilité de se prévaloir d’une dispense des obligations relatives aux déclarations d’initiés américains et à la restitution des profits réalisés dans le cadre d’opérations à court terme. Le texte de loi proposé a été supprimé dans le cadre du processus de rapprochement des projets de loi du Sénat et de la Chambre.
Bien qu’il ne résulte pas nécessairement du retrait du texte de loi, le document de consultation permet à la SEC d’adopter une approche précise axée sur la réflexion à l’égard des mesures d’adaptation (après avoir tenu compte des commentaires transmis par le public) et, plus important encore, de déterminer quels émetteurs devraient en bénéficier, tout en veillant à ce que les émetteurs américains ne soient pas désavantagés de façon importante par les obligations d’information et de gouvernance plus contraignantes qui leur sont applicables.
1La SEC a déclaré, dans son document de consultation, qu’elle ne sollicitait aucun commentaire sur d’éventuelles modifications à apporter au RIM.
2À l’exercice 2023, tel que l’indique le document de consultation.
3La SEC ne propose pas pour le moment d’apporter des modifications précises aux règles qui se rapportent à la définition du terme « émetteur privé étranger » (foreign private issuer). Le document de consultation a pour but de recueillir les commentaires du public au sujet de l’élaboration de règles éventuelles.
4Document de consultation, page 4.
5Document de consultation, page 5.
6La SEC a également indiqué que certains territoires étrangers accordent aux émetteurs constitués sous le régime de leurs lois ou inscrits à la cote de leurs bourses des dispenses des obligations d’information applicables dans leur pays d’origine ou d’autres mesures d’adaptation réglementaires si ces émetteurs sont des émetteurs privés étrangers aux termes des lois sur les valeurs mobilières des États-Unis.