Guide de l’activisme actionnarial et des courses aux procurations au Canada

Guide de l’activisme actionnarial et des courses aux procurations au Canada

Le présent guide aborde les principales questions juridiques et pratiques auxquelles sont confrontés les activistes et les sociétés visées et présente les faits nouveaux notables et les principales différences entre les exigences canadiennes et américaines. À propos du présent guide

1 Guide de l’activisme actionnarial et des courses aux procurations au Canada Table des matières 01. Règles applicables 2 02. Droit de demander la convocation d’une assemblée des actionnaires 2 03. A ugmentation du pourcentage de participation et déclaration de la propriété véritable 6 04. Lois sur la concurrence et lois antitrust 8 05. Formation d’un groupe : opérations d’initiés et qualification d’allié 9 06. Communication sélective 10 07. Pilules empoisonnées 12 08. Actions comportant droit de vote acquises après la date de clôture des registres 13 09. Règlements administratifs sur les préavis 13 10. Formulaires de procuration universels 15 11. Demandes de dossiers d’entreprise 16 12. Critères de résidence canadienne des administrateurs 17 13. Propositions d’actionnaires 19 14. Mécanismes de rémunération des candidats à un poste d’administrateur 21 15. Sollicitation de procurations 22 16. Sollicitation privée d’un nombre limité de procurations 23 17. Sollicitation par diffusion publique 23 18. Honoraires des courtiers-démarcheurs 24 19. Conseils à renouvellement échelonné 26 20. Élection à la majorité 26 21. Campagnes d’abstention 27 22. Assemblées virtuelles contestées 28 23. Placements privés pendant les courses aux procurations 30 24. Vote vide 32 25. Offres d’achat restreintes 33

2 Davies | dwpv.com 01. Règles applicables Au Canada, les règles régissant l’activisme actionnarial proviennent de quatre sources principales : la loi constitutive et les actes constitutifs de la société visée, la législation en valeurs mobilières, la common law et les règles des bourses de valeurs. La société visée peut être constituée sous le régime de la loi fédérale ou d’une loi provinciale ou par contrat (par exemple, une fiducie régie par le droit provincial). Le Canada ne dispose pas d’un organisme fédéral unique de réglementation en valeurs mobilières; chaque province et territoire possède sa propre législation et son propre organisme de réglementation en valeurs mobilières. Aux fins du présent guide, notre analyse est généralement fondée sur la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »), soit la loi sous le régime de laquelle ont été constituées la plupart des sociétés inscrites à la cote de la Bourse de Toronto (la « TSX »), et sur la Loi sur les valeurs mobilières (Ontario), soit la loi provinciale sur les valeurs mobilières qui s’applique à toutes les sociétés inscrites à la cote de la TSX. Les lois sur les sociétés par actions et sur les valeurs mobilières des autres principaux territoires canadiens sont essentiellement similaires en ce qui concerne la sollicitation de procurations et les droits des actionnaires, sous réserve de certaines exceptions. Outre les exigences légales applicables, l’activisme actionnarial est également régi par les règles de la TSX ou de la Bourse de croissance TSX (la « TSXV ») et s’appuie sur les orientations publiées par Institutional Shareholder Services (« ISS ») et Glass Lewis & Co. (« Glass Lewis »). Au Canada, ISS a publié la principale source de référence sur le vote par procuration pour les sociétés inscrites à la TSX et à la TSXV. 02. D roit de demander la convocation d’une assemblée des actionnaires L’un des droits qui confèrent le plus de pouvoir aux actionnaires de sociétés canadiennes est le droit des porteurs d’au moins 5 % des actions comportant droit de vote émises de demander aux administrateurs de convoquer une assemblée des actionnaires. Lorsqu’ils reçoivent une demande valide portant sur des questions qui sont du ressort des actionnaires, soit, le plus souvent, la destitution et l’élection d’administrateurs, les administrateurs disposent de 21 jours afin de convoquer une assemblée des actionnaires pour délibérer des questions énoncées dans la demande1. CONTENU DE LA DEMANDE Bien qu’important, le droit de demander la convocation d’une assemblée des actionnaires ne confère pas autant de pouvoir qu’il le semble. Une série de décisions jurisprudentielles, qui ont ajouté des exigences en matière de contenu et de procédure qui ne figurent pas dans la loi, sont venues en compliquer l’utilisation. Les tribunaux canadiens ont conclu que les demandes soumises par les actionnaires se devaient de respecter strictement les exigences de forme, et ils ont souvent tendance à déclarer ces demandes invalides pour des raisons techniques. Par exemple, dans le jugement qu’elle a rendu en 2013 dans l’affaire Wells c. Bioniche Life Sciences Inc.2 (l’« affaire Bioniche » , en anglais seulement), la Cour supérieure de justice de l’Ontario a maintenu la décision du conseil de la société de rejeter une demande de convocation d’une assemblée des actionnaires au motif que celle-ci n’avait pas été signée par un porteur inscrit d’au moins 5 % des actions comportant droit de vote émises, même si le conseil savait que l’actionnaire qui avait demandé la convocation d’une assemblée était propriétaire véritable d’un nombre suffisant d’actions pour le faire. 1 LCSA, art. 143. 2 2013 ONSC 4871.

3 Guide de l’activisme actionnarial et des courses aux procurations au Canada En outre, dans l’affaire Bioniche, la Cour a conclu que la demande de l’actionnaire dissident n’était pas valide puisque celui-ci proposait la destitution des administrateurs, mais ne donnait pas les noms des candidats qu’il proposait d’élire pour les remplacer ni de renseignements biographiques les concernant. La décision de la Cour dans l’affaire Bioniche impose une nouvelle exigence, puisque les lois sur les sociétés par actions ne prévoient pas l’obligation, pour l’actionnaire qui présente une demande de convocation d’une assemblée des actionnaires aux fins de la destitution d’administrateurs, de proposer des candidats afin de pourvoir les postes qui seront vacants à la suite de la destitution. Ainsi, l’actionnaire qui présente une demande de convocation d’une assemblée des actionnaires devra habituellement avoir recruté les candidats qu’il entend proposer bien avant la date limite pour l’envoi de l’avis prévu au règlement sur les préavis de la société (généralement 30 jours). DATE DE LA TENUE DE L’ASSEMBLÉE Les tribunaux canadiens considèrent que l’obligation des administrateurs, prévue par la loi, de « convoquer » une assemblée dans les 21 jours suivant la réception d’une demande est acquittée du seul fait de l’annonce de la date de la tenue de l’assemblée. Dans les faits, le conseil n’a pas à tenir l’assemblée ni même à transmettre par la poste un avis de convocation à l’assemblée dans les 21 jours suivant la réception de la demande; l’assemblée doit plutôt être tenue dans un délai raisonnable, fixé selon l’appréciation commerciale des administrateurs, agissant de bonne foi. Ce qui sera considéré comme un délai raisonnable dépendra des circonstances; par exemple, si l’assemblée dont la convocation est demandée a trait ou non à une opération particulière ou à un événement en cours et si le délai porte ou non préjudice à l’actionnaire qui présente la demande. Des délais aussi longs que quatre à sept mois ont été acceptés par les tribunaux. Bien souvent, les conseils qui donnent suite à une demande de convocation d’une assemblée fixeront la tenue de celle-ci au même moment que l’assemblée générale annuelle, même si cette dernière ne doit avoir lieu que six mois plus tard. C’est ce qui s’est produit dans l’affaire Marks c. Intrinsyc Software International3 (l’« affaire Intrinsyc Software », en anglais seulement), où le conseil, faisant valoir que cela éviterait la perturbation des activités ainsi que les frais liés à la tenue d’une assemblée extraordinaire des actionnaires distincte, avait fixé la tenue de l’assemblée demandée au même moment que l’assemblée générale annuelle, soit 155 jours après la date de la demande. Appelée à se prononcer sur la question du délai dans cette affaire, la Cour supérieure de l’Ontario s’en est remise à l’appréciation commerciale du conseil et a conclu que la décision de ce dernier de fixer la tenue de l’assemblée demandée au même moment que l’assemblée générale pour éviter des frais inutiles était raisonnable. Toutefois, plus récemment, la Cour supérieure de l’Ontario a examiné la décision d’un conseil de tenir une assemblée cinq mois après la date de la demande et remis en question l’appréciation commerciale du conseil dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire concernant la convocation d’une assemblée des porteurs de parts. Dans l’affaire Sandpiper Real Estate Fund 4 Limited Partnership v First Capital Real Estate Investment Trust4 (l’« affaire Sandpiper », en anglais seulement), deux porteurs de parts d’un FPI ont demandé la convocation d’une assemblée des porteurs de parts dans le but de remplacer quatre des neuf fiduciaires de l’émetteur chargés de superviser la mise en œuvre d’un plan d’affectation des capitaux, qui comprenait la vente de certains actifs par l’émetteur. Les activistes ont demandé aux fiduciaires de tenir une assemblée des porteurs de parts au plus tard le 1er mars 2023, mais le conseil a convoqué une assemblée annuelle et extraordinaire des porteurs de parts pour le 16 mai 2023, soit cinq mois après la demande. 3 2013 ONSC 727. 4 2023 ONSC 794.

4 Davies | dwpv.com La Cour a souligné que les porteurs de parts ont le « droit fondamental » de voir l’assemblée demandée être tenue rapidement. Bien que cela ne suppose pas un droit à ce que l’assemblée se tienne immédiatement, ou même le plus rapidement possible, cela suppose une obligation de tenir l’assemblée « sans retard déraisonnable ou injustifiable ». À cet égard, les conseils pourront généralement s’en remettre à la règle de l’appréciation commerciale pour fixer la date de la tenue d’une assemblée. La Cour a ensuite examiné la question de savoir si le conseil pouvait bénéficier de la protection que confère la règle de l’appréciation commerciale. Elle s’est d’abord penchée sur la procédure suivie par le conseil afin de déterminer si celui-ci avait fait preuve d’un degré approprié de prudence et de diligence dans sa prise de décision. La Cour a déploré le fait que le conseil n’avait tenu qu’une seule réunion de deux heures au cours de laquelle la demande des activistes n’était qu’un point à l’ordre du jour et que les fiduciaires visés par les activistes avaient participé aux délibérations. Dans l’ensemble, la Cour a conclu que la procédure ne démontrait pas l’indépendance et l’objectivité requises pour justifier une quelconque retenue de sa part, et que les motifs invoqués par le conseil ne justifiaient pas un retard de cinq mois dans la tenue de l’assemblée. La Cour a également examiné les motifs invoqués par le conseil pour justifier le délai. Le conseil a fait valoir que (i) la tenue de deux assemblées distinctes serait trop coûteuse; (ii) les porteurs de parts devraient disposer de plus de temps pour examiner les questions devant être soumises aux délibérations; et (iii) l’assemblée devrait être retardée pour permettre la mise en œuvre des plans d’affaires de l’émetteur. En ce qui concerne le premier motif, la Cour a estimé dans l’affaire Sandpiper que, compte tenu de l’envergure de l’émetteur, le motif de la « réduction des coûts » n’était pas convaincant (en comparaison, l’émetteur dans l’affaire Intrinsyc Software était de taille plus modeste). En ce qui concerne les deuxième et troisième motifs, la Cour a estimé que l’octroi d’un délai supplémentaire avant la tenue de l’assemblée demandée risquerait d’aller à l’encontre de l’objectif même de l’assemblée et que ces motifs n’étaient donc pas appropriés. La décision dans l’affaire Sandpiper est une mise en garde pour les conseils qui cherchent à retarder la date d’une assemblée demandée. Le processus décisionnel d’un conseil dans ce contexte sera examiné de près, et plus particulièrement la gestion des conflits et le caractère adéquat du processus du conseil. Les conseils devraient envisager de créer un comité spécial ou de se réunir à huis clos, sans la présence des membres du conseil en conflit d’intérêts qui font l’objet de la demande de l’actionnaire. Les conseils devraient également veiller à adapter leur réponse aux circonstances particulières, et les motifs invoqués pour retarder une assemblée doivent être logiques compte tenu de la taille de l’émetteur et des faits nouveaux importants susceptibles de survenir à court terme. ASSEMBLÉE CONVOQUÉE PAR LES ACTIONNAIRES Si les administrateurs ne convoquent pas une assemblée dans les 21 jours suivant la réception d’une demande, tout actionnaire ayant signé la demande peut convoquer l’assemblée. À moins que les actionnaires n’en décident autrement à l’assemblée demandée, la société est tenue de rembourser aux actionnaires les frais qu’ils ont raisonnablement engagés pour demander, convoquer et tenir l’assemblée. Toutefois, ce qui se passe lorsque l’assemblée est convoquée par un actionnaire n’est pas tout à fait clair : la loi donne peu d’indications et les précédents sont peu nombreux, étant donné que, dans la quasi-totalité des cas, l’assemblée demandée est convoquée par la société.

5 Guide de l’activisme actionnarial et des courses aux procurations au Canada Ce droit est expressément prévu dans la loi, mais l’affaire Bioniche laisse planer une certaine incertitude quant à savoir si les tribunaux entérineraient ce droit si celui-ci était contesté. Après avoir échoué dans leur première tentative de demander la convocation d’une assemblée, les actionnaires dissidents de Bioniche Life Sciences Inc. (« Bioniche ») ont présenté une deuxième demande qui était en tous points conforme aux exigences. Avant que la demande n’ait été soumise, le conseil de Bioniche a annoncé qu’il avait fixé une date pour la tenue de l’assemblée annuelle des actionnaires de la société et établi la date de clôture des registres aux fins de l’assemblée. L’annonce a été faite six mois avant la date de l’assemblée, soit bien avant le moment auquel cette date aurait normalement été annoncée. Le conseil a ensuite invoqué une disposition de la loi constitutive de la société qui dégage le conseil de son obligation de convoquer une assemblée des actionnaires demandée si une date de clôture des registres aux fins d’une assemblée a déjà été fixée. La Cour a conclu que le droit d’un actionnaire de convoquer une assemblée s’applique lorsqu’un conseil refuse de le faire, et ce, même si le conseil a déjà fixé une date pour la clôture des registres, mais elle a ajouté qu’il est peu probable qu’un tribunal ordonne la tenue d’une assemblée demandée par un actionnaire lorsqu’une exception à l’obligation du conseil de convoquer une assemblée prévue par la loi s’applique. L’affaire Bioniche constitue un autre exemple de la propension des tribunaux à restreindre la capacité des actionnaires de se prévaloir des droits prévus par la loi. L’affaire Bioniche illustre également la façon dont les tribunaux canadiens ont permis aux conseils d’invoquer des points de détail pour contrer les droits des actionnaires de demander la convocation d’une assemblée. La Cour partageait l’avis des actionnaires dissidents de Bioniche selon lequel l’annonce prématurée de la date de clôture des registres aux fins de l’assemblée générale annuelle visait expressément à permettre au conseil de refuser une demande valide des actionnaires. Toutefois, la Cour a refusé de condamner ce geste du conseil, choisissant plutôt d’appliquer la règle de l’appréciation commerciale qui impose une certaine retenue face à la décision du conseil, ce qui l’a menée à conclure que le report de six mois de la possibilité pour les dissidents de contester la direction était raisonnable, puisqu’il permettrait au conseil d’exécuter le plan d’affaires qu’il estimait être au mieux des intérêts de la société. NORME DE CONTRÔLE DES DÉCISIONS DU CONSEIL La décision dans l’affaire Bioniche n’est qu’une des nombreuses décisions judiciaires illustrant la propension des tribunaux canadiens à appliquer une norme de contrôle fondée sur la retenue aux décisions prises par les conseils dans le cadre de courses aux procurations. La règle de l’appréciation commerciale a été importée des États-Unis par les tribunaux canadiens, mais ces derniers l’ont appliquée de manière plus libérale et en accordant moins d’importance aux conditions préalables à son application. Le droit canadien n’a rien adopté qui s’apparente à la norme élaborée par les tribunaux du Delaware dans l’affaire Blasius Industries Inc. v Atlas Corp.5 (en anglais seulement), selon laquelle il incombe au conseil d’administration de démontrer une « justification convaincante » pour les mesures dont l’objectif principal est d’entraver l’exercice du droit de vote des actionnaires. Toutefois, la décision rendue récemment dans l’affaire Sandpiper pourrait indiquer une nouvelle volonté des tribunaux d’appliquer la règle de l’appréciation commerciale avec plus de circonspection dans le contexte de l’exercice des droits des actionnaires. 5 564 A.2d 651 (Del. Ch. 1988).

6 Davies | dwpv.com 03. A ugmentation du pourcentage de participation et déclaration de la propriété véritable Les actionnaires qui acquièrent la propriété véritable d’au moins 10 % d’une catégorie de titres de capitaux propres ou de titres comportant droit de vote d’une société canadienne inscrite en bourse sont tenus de divulguer ce fait publiquement. Les titres détenus en propriété véritable incluent les actions que l’actionnaire a le droit ou l’obligation d’acquérir dans les 60 jours, que ce droit ou cette obligation soit conditionnel ou non (par exemple, les actions sousjacentes à des options et à d’autres titres convertibles ou les actions sous-jacentes à des produits dérivés réglés en nature). Un déposant pourrait être réputé avoir la propriété véritable des actions sous jacentes à un dérivé s’il peut, de façon officielle ou non, obtenir les actions détenues par la contrepartie ou donner des directives concernant l’exercice des droits de vote rattachés à celles-ci. Dès qu’il franchit le seuil de propriété de 10 %, l’actionnaire doit publier sans délai un communiqué à cet effet et déposer une déclaration selon le système d’alerte dans les deux jours de bourse qui suivent l’atteinte de ce seuil, et il ne doit pas acquérir d’autres titres de la catégorie pertinente pendant un jour de bourse entier après le dépôt de la déclaration6. Par la suite, l’actionnaire doit divulguer les hausses ou les baisses de 2 % ou plus de son pourcentage de propriété, ainsi que tout passage sous le seuil de propriété de 10 %. D’une manière similaire aux exigences de la Rule 13d prise en application de la loi des États Unis intitulée Securities Exchange Act of 1934, les règles du système d’alerte exigent la divulgation de l’objectif poursuivi par l’actionnaire et ses alliés en réalisant l’acquisition ou la cession de titres de l’émetteur, ainsi que de leurs projets ou intentions qui pourraient se rapporter ou conduire notamment aux résultats suivants : une opération visant l’entreprise, un changement dans la structure du capital ou la politique de dividendes, un changement dans la composition du conseil ou de la direction ou la sollicitation de procurations7. Certains considèrent que les exigences du système d’alerte canadien sont plus clémentes que celles de la Rule 13d, notamment parce que l’application des exigences canadiennes est déclenchée lorsque le seuil de propriété de 10 % est atteint, tandis que l’application des exigences américaines est déclenchée lorsque le seuil de propriété de 5 % est atteint. Toutefois, selon les règles américaines, les actionnaires ont 10 jours civils (ce délai sera bientôt de 5 jours ouvrables8) pour déposer leur déclaration initiale, soit un délai beaucoup plus long que celui dont disposent les actionnaires conformément aux exigences canadiennes, qui prévoient la publication immédiate d’un communiqué. De plus, les règles américaines n’imposent aucune interdiction provisoire d’opérations. RÉGIME DE DÉCLARATION MENSUELLE Les investisseurs institutionnels, comme les fonds d’investissement admissibles au régime de déclaration mensuelle9, peuvent être dispensés de l’interdiction provisoire d’opérations et de l’obligation de publier immédiatement un communiqué et de déposer une déclaration selon le système d’alerte dans les deux jours. Pour se prévaloir du régime de déclaration mensuelle, l’actionnaire doit être un « investisseur institutionnel admissible », ce qui inclut les institutions financières, les organismes de placement collectif et les caisses de retraite et, généralement, les fonds d’investissement, comme les fonds spéculatifs qui sont gérés par un conseiller en placement inscrit (y compris les conseillers inscrits auprès de la Securities and Exchange Commission des États-Unis (la « SEC ») en vertu de la 6 Règlement 62-103 sur le système d’alerte et questions connexes touchant les offres publiques et les déclarations d’initiés (le « Règlement 62-103 »), partie 3 et Règlement 62-104 sur les offres publiques d’achat et de rachat (le « Règlement 62-104 »), partie 5. 7 Règlement 62-103, Annexe 62-103A1, rubrique 5 et Annexe 62-103A2, rubrique 5. 8 Voir https://www.dwpv.com/fr/Insights#/article/Publications/2023/SEC-Amends-Beneficial-Ownership-Reporting-Rules. 9 Règlement 62-103, partie 4.

7 Guide de l’activisme actionnarial et des courses aux procurations au Canada loi des États-Unis intitulée Investment Advisers Act of 1940). Conformément au régime de déclaration mensuelle, l’actionnaire doit déposer une déclaration dans un délai de 10 jours à compter de la fin du mois au cours duquel le seuil de 10 % est franchi et, par la suite, déposer des déclarations mises à jour lorsque sa participation augmente ou diminue au-delà ou en deçà de seuils déterminés (12,5 %, 15 %, 17,5 %, etc.), lorsque sa participation tombe sous le seuil de 10 % ou lorsqu’il se produit un changement dans un fait important contenu dans la déclaration précédente. EXCLUSION DU RÉGIME DE DÉCLARATION MENSUELLE Un actionnaire sera exclu du régime de déclaration mensuelle s’il a l’intention de faire une offre formelle sur les titres de la société ou de proposer une opération qui lui donnerait le contrôle effectif de la société. Un actionnaire est également exclu s’il sollicite des procurations (y compris dans le cadre d’une sollicitation privée aux termes d’une dispense) en faveur des candidats à un poste d’administrateur proposés par un actionnaire dissident, en faveur d’une fusion qui ne reçoit pas l’appui de la direction ou en opposition à une fusion proposée par la direction de l’émetteur10. Il convient de souligner que le seul fait d’avoir l’intention de proposer une liste de candidats à une assemblée des actionnaires ou de détenir des titres en vue d’exercer une influence sur le contrôle ou la direction de la société n’empêche pas l’actionnaire de se prévaloir du régime de déclaration mensuelle. Cette disposition contraste avec la Rule 13d, qui exige que l’actionnaire dépose une déclaration selon la Schedule 13D plutôt qu’une déclaration selon la Schedule 13G s’il entend devenir un investisseur actif plutôt que de demeurer un investisseur passif (par exemple, parce qu’il a décidé de proposer un candidat à un poste d’administrateur ou du simple fait qu’il ait l’intention ou la capacité d’exercer une influence sur le contrôle de la société). TRAITEMENT DES DÉRIVÉS Les dérivés sur actions réglés en espèces ne doivent pas obligatoirement être pris en compte pour déterminer si l’obligation de déclaration selon le système d’alerte est déclenchée. Toutefois, le déposant dont la participation est de 10 % ou plus doit donner une description des dérivés sur actions qu’il détient dans la déclaration selon le système d’alerte, y compris une description des modalités importantes des dérivés et de leur incidence sur les titres détenus par le déposant. Pour répondre à la crainte que des dérivés puissent être utilisés pour effectuer des ventes fictives (stock parking) ou dissimuler la propriété d’actions, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») ont publié des lignes directrices concernant les circonstances dans lesquelles un investisseur sera réputé être propriétaire véritable des actions sous-jacentes à un dérivé sur actions. Par exemple, un investisseur pourrait être réputé avoir la propriété véritable des actions sous-jacentes à un dérivé (que celui-ci soit réglé en espèces ou non) s’il peut, de façon officielle ou non, obtenir les titres détenus par une contrepartie au dérivé ou donner des directives quant à l’exercice des droits de vote qui y sont rattachés. En 2022, les ACVM ont annoncé qu’elles entendaient examiner le régime de déclaration selon le système d’alerte pour étudier la portée actuelle des obligations d’information visant les dérivés sur actions. Cette décision a été motivée, en partie, par une décision rendue en 2021 par l’Alberta Securities Commission (l’« ASC ») dans l’affaire Re Bison Acquisition Corp.11 (l’« affaire Re Bison », en anglais seulement), dans laquelle l’ASC a estimé que l’utilisation et la non-divulgation de swaps sur rendement total réglés en espèces par un initiateur hostile dans une situation d’offre concurrente étaient « contraires à l’intérêt public » dans les circonstances de cette affaire. 10 Règlement 62-103, art. 4.2. 11 2021 ABASC 188.

8 Davies | dwpv.com 04. Lois sur la concurrence et lois antitrust Le régime antitrust du Canada ne prévoit pas l’obligation, pour l’activiste, de transmettre un avis quelconque ou d’obtenir une autorisation gouvernementale dès que son pourcentage de participation augmente et, contrairement à la loi des États-Unis intitulée Hart-Scott-Rodino Antitrust Improvements Act of 1976 (la « loi HSR »), il ne fait aucune distinction entre les actionnaires dont l’intention est passive et ceux qui ont l’intention de provoquer un changement dans les politiques de la société visée. Au Canada, aux termes de la Loi sur la concurrence, l’actionnaire est tenu de transmettre un avis uniquement lorsqu’il a acquis plus de 20 % des actions comportant droit de vote de la société visée, et il sera tenu de le faire aux termes de la Loi sur Investissement Canada uniquement s’il acquiert un tiers ou plus des actions comportant droit de vote d’une entreprise canadienne. Aux États-Unis, en revanche, la loi HSR peut, dans les faits, servir de système d’alerte, puisqu’elle prévoit l’obligation pour l’actionnaire d’aviser la société visée et d’obtenir une autorisation gouvernementale dès que sa participation augmente ainsi qu’une longue période d’interdiction d’achats d’actions après le dépôt de la déclaration auprès de l’autorité de réglementation, et ce, même si la société visée est une société canadienne. Le régime d’avis prévu par la loi HSR repose en grande partie sur (i) la valeur des titres comportant droit de vote de la société visée qui seront détenus à la suite de l’opération, (ii) la taille des parties et (iii) la question de savoir si la société visée est considérée comme un émetteur étranger ou un émetteur américain. Selon les circonstances, une société canadienne peut être considérée soit comme un émetteur étranger soit comme un émetteur américain. Elle est considérée comme un émetteur étranger si elle n’est pas constituée aux États-Unis et n’y a pas son siège social. L’expression « siège social » (principal offices) n’est pas définie, mais des directives établies depuis longtemps indiquent que le siège social doit correspondre à l’endroit unique que la personne considère comme le siège social de l’entité mère ultime. Ce lieu peut ou non coïncider avec le lieu de ses activités principales. Pour 2023, un avis peut être exigé pour l’acquisition de titres comportant droit de vote d’un émetteur américain lorsque (i) l’acquéreur détiendra des titres comportant droit de vote de la société visée d’une valeur supérieure à 445,5 millions de dollars américains ou (ii) l’acquéreur détiendra des titres comportant droit de vote de la société visée d’une valeur supérieure à 111,4 millions de dollars américains et qu’une partie à l’opération a des actifs totaux ou un chiffre d’affaires annuel net supérieurs à 222,7 millions de dollars américains et que l’autre partie a des actifs totaux ou un chiffre d’affaires annuel net supérieurs à 22,3 millions de dollars américains. Ces seuils sont ajustés chaque année. L’acquisition de titres comportant droit de vote d’un émetteur étranger est soumise aux mêmes seuils. Toutefois, des seuils relatifs à la valeur des actifs ou du chiffre d’affaires de la société visée aux États-Unis s’appliquent également. Pour 2023, ce seuil exige que l’émetteur étranger ait des actifs ou un chiffre d’affaires annuel aux États-Unis d’au moins 111,4 millions de dollars américains. En outre, si l’acheteur est également une personne étrangère, aucun avis n’est requis à moins que l’opération ne confère le contrôle de l’émetteur étranger visé. Si les seuils applicables sont atteints, l’investisseur est tenu de déposer un avis auprès des agences antitrust américaines (la Federal Trade Commission et la division antitrust du département de la Justice) et de ne pas acquérir le contrôle de la société visée ou de titres comportant droit de vote de la société visée au-delà du seuil de 111,4 millions de dollars américains jusqu’à l’expiration de la période d’attente applicable (généralement 30 jours après le dépôt de l’avis).

9 Guide de l’activisme actionnarial et des courses aux procurations au Canada Une dispense de l’obligation de déposer un avis aux termes de la loi HSR s’applique si l’investisseur acquiert moins de 10 % des titres comportant droit de vote de la société et a une intention passive. En outre, certains investisseurs utilisent des dérivés sur actions réglés en espèces afin d’obtenir une exposition économique aux sociétés assujetties à la loi HSR, étant donné que ces instruments ne sont pas pris en compte dans le calcul des seuils applicables aux fins de la communication d’un avis aux termes de la loi HSR. 05. Formation d’un groupe : opérations d’initiés et qualification d’allié L’évaluation et l’organisation du soutien des principaux investisseurs institutionnels canadiens font partie des défis auxquels sont confrontés les activistes au Canada. Les investisseurs institutionnels canadiens hésitent à s’associer publiquement à un actionnaire dissident, du moins au début d’une course aux procurations, principalement par souci de préserver la liberté de négocier les titres de l’émetteur visé. Leur hésitation est motivée par deux enjeux : les opérations d’initiés et la qualification d’allié. OPÉRATIONS D’INITIÉS Aux termes des règles canadiennes régissant les opérations d’initiés, la personne ayant des rapports particuliers avec une société ouverte (ce qui inclut, outre les sociétés publiques canadiennes, tout émetteur, où qu’il soit situé, dont les titres sont cotés en bourse) qui a connaissance d’information importante non connue du public est soumise à une interdiction d’opérations. Cette interdiction s’applique à quiconque prend connaissance d’une information importante auprès d’une personne ayant de tels rapports particuliers. Les règles canadiennes sont codifiées et ne reposent pas sur la notion de « devoir » et la notion d’« appropriation illicite ». La catégorie de personnes ayant des « rapports particuliers » est vaste et englobe tout initié et toute personne qui est propriétaire véritable de plus de 10 % des titres comportant droit de vote de la société visée. Par conséquent, l’activiste qui détient plus de 10 % des actions d’une société est une personne ayant des rapports particuliers avec cette société. L’information dont peut prendre connaissance l’activiste au cours de ses discussions avec la société visée au sujet, par exemple, des plans d’affaires de celle-ci ou de sa réponse aux propositions de l’activiste, peut constituer de l’information importante non connue du public qui, si elle était communiquée par l’activiste à l’actionnaire institutionnel, limiterait la capacité de cet actionnaire à effectuer des opérations. Dans ces circonstances, il est même possible que l’information concernant les propres plans de l’activiste en ce qui a trait à la société visée constitue de l’information importante non connue du public qui, si elle était communiquée à l’actionnaire institutionnel, limiterait de manière similaire la capacité de cet actionnaire à effectuer des opérations. Même si l’activiste n’est pas une personne ayant des relations particulières, les autorités en valeurs mobilières peuvent néanmoins considérer que la divulgation a injustement avantagé le destinataire de l’information d’une manière « contraire à l’intérêt public », comme elles l’ont fait au Canada dans d’autres contextes. ALLIÉS La deuxième préoccupation pour les investisseurs institutionnels canadiens concerne la qualification d’« allié » qui, conformément à la législation canadienne en valeurs mobilières, est pertinente tant pour l’application des exigences relatives au système d’alerte que pour le respect des exigences relatives au régime des offres publiques d’achat du Canada.

10 Davies | dwpv.com Aux termes de la législation canadienne en valeurs mobilières, si l’activiste a conclu une convention, un engagement ou une entente avec un autre actionnaire aux termes duquel l’activiste et l’actionnaire entendent exercer des droits de vote de concert l’un avec l’autre, ces derniers seront présumés être des alliés. Si la convention, l’engagement ou l’entente concerne l’acquisition d’actions de la société visée, l’activiste et l’actionnaire seront réputés être des alliés. Par conséquent, les titres qu’ils détiennent seront regroupés afin de déterminer si le seuil de 10 % déclenchant l’obligation de produire une déclaration selon le système d’alerte a été atteint, et le nom de l’allié devra être indiqué dans la déclaration selon le système d’alerte produite par l’actionnaire activiste. La simple formation d’un groupe détenant plus de 10 % des titres ne déclenchera pas l’obligation de produire une déclaration selon le système d’alerte, sauf s’il s’agit d’un changement touchant un fait important énoncé dans une déclaration produite antérieurement. Peut-être plus important encore, les titres qu’ils détiennent seront aussi regroupés afin de déterminer si l’application des règles obligatoires sur les offres publiques d’achat a été déclenchée. Sous réserve de certaines exceptions limitées, la législation canadienne en valeurs mobilières prévoit que l’acquisition de plus de 20 % des titres comportant droit de vote ou des titres de capitaux propres en circulation d’un émetteur doit obligatoirement être réalisée au moyen d’une offre publique d’achat officielle présentée à tous les actionnaires. La simple formation d’un groupe détenant plus de 20 % des titres ne déclenchera pas l’application des règles, mais le premier achat, ne serait-ce que d’une seule action par un membre du groupe, devra se faire conformément au régime des offres publiques d’achat, à moins que l’achat ne soit fait aux termes d’une des dispenses limitées prévues par la loi. Par conséquent, l’activiste et l’actionnaire institutionnel devront veiller à ce que leurs achats et leurs ventes soient coordonnés de manière à assurer la conformité au régime des offres publiques d’achat et au régime de déclaration selon le système d’alerte du Canada. Par conséquent, l’activiste et l’actionnaire ne pourront pas effectuer d’opérations à l’insu de l’un et de l’autre et, vraisemblablement, sans commun accord. La jurisprudence canadienne confirme que la question n’est pas simplement théorique. Dans un jugement rendu en août 2013 dans l’affaire Genesis Land Development Corp. c. Smoothwater Capital Corporation12 (en anglais seulement), la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a conclu que l’actionnaire activiste Smoothwater Capital agissait de concert avec d’autres actionnaires de la société visée depuis la date à laquelle les parties avaient participé à une conférence téléphonique avec une agence de sollicitation de procurations, puisqu’il était possible de déduire de la conduite des parties que celles-ci avaient convenu de voter en faveur de la nouvelle liste de candidats à un poste d’administrateur devant être proposée. 06. Communication sélective Au Canada, la question de savoir dans quelle mesure un activiste peut communiquer de l’information à d’autres actionnaires n’est pas entièrement résolue et doit donc être traitée avec prudence. La communication d’information importante non connue du public par une personne ayant des rapports particuliers (comme un actionnaire détenant une participation d’au moins 10 % ou une personne qui reçoit de l’information importante non connue du public de la société) à une autre personne constitue une « communication d’information privilégiée » au sens de la législation canadienne en valeurs mobilières. De plus, contrairement à ce qui est le cas aux États Unis, la communication d’information privilégiée est interdite au Canada, peu importe la façon dont le bénéficiaire a obtenu l’information importante non connue du public et peu importe que le bénéficiaire ait conclu ou non une entente de confidentialité afin de préserver la confidentialité de l’information importante non connue du public. 12 2013 ABQB 3793.

11 Guide de l’activisme actionnarial et des courses aux procurations au Canada Il existe toutefois une exception particulière qui permet à une personne qui envisage, évalue ou propose une offre publique d’achat, un regroupement d’entreprises ou une acquisition d’une partie importante des actifs d’un émetteur assujetti de communiquer de l’information importante non connue du public dans le cours normal de ses activités afin de réaliser cette opération. Toutefois, la loi ne prévoit pas d’exception similaire en ce qui concerne la communication d’information par une personne proposant un changement au conseil ou une course aux procurations. Dans le cas de l’actionnaire activiste qui détient plus de 10 % des actions d’une société ou qui entretient par ailleurs des rapports particuliers avec une société, la question est de savoir si le fait, pour l’activiste, d’informer d’autres personnes de son intention de demander un changement au conseil ou de lancer une course aux procurations constitue une communication d’information privilégiée. Si les plans de l’activiste constituent un « fait important », c’est-à-dire un fait « dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait un effet appréciable sur le cours ou la valeur des valeurs mobilières », la communication de ces plans à une autre personne ne constituera pas une communication d’information privilégiée seulement si elle est faite dans le cours normal des activités. Il existe très peu de lignes directrices sur la signification de l’expression « cours normal des activités » et, jusqu’en octobre 2023, nous ne disposions d’aucune décision de fond concernant l’interprétation de l’exception. La décision rendue en octobre 2023 par le Tribunal des marchés financiers de l’Ontario (le « Tribunal ») dans l’affaire Kraft (Re)13 (l’« affaire Kraft », en anglais seulement) portait sur la communication par le président du conseil d’une société ouverte à un ami de longue date d’un projet de document quasi définitif concernant une opération importante pour l’émetteur. Le président du conseil a transmis les documents dans le but d’obtenir l’avis de son ami sur l’opération et a été reconnu coupable d’avoir enfreint l’interdiction de communiquer de l’information privilégiée. La décision établit quatre règles d’interprétation : il incombe à l’informateur de démontrer que la divulgation a été faite dans le cours normal des activités; la norme applicable est objective – la conviction subjective de l’informateur quant à la nécessité de la divulgation n’est pas suffisante; l’exception doit être interprétée de manière restrictive en tenant compte de la raison d’être de l’interdiction, à savoir garantir que tous les participants du marché ont une chance égale de recevoir de l’information importante et d’agir à la lumière de celle-ci; et, dans ce contexte, l’expression « cours normal des activités » (necessary course of business) ne sous-entend pas un simple objectif commercial, mais suggère plutôt un niveau d’importance, y compris quelque chose qui est « essentiel », « indispensable » ou « requis » pour l’entreprise. Il est intéressant de noter que, bien que le Tribunal ait jugé que, à la lumière des faits précis de l’affaire Kraft, l’exception de nécessité devait être comprise comme portant sur les activités de l’émetteur, il a souligné qu’il ne concluait pas que [TRADUCTION] « dans toutes les situations de fait… l’exception est limitée à la prise en compte de ce qui peut être dans le cours normal des activités de l’émetteur ». Autrement dit, le Tribunal n’exclut pas que la communication sélective d’information puisse être justifiée lorsqu’elle est effectuée dans le cours normal des activités de l’informateur. Néanmoins, étant donné l’absence de lignes directrices concernant l’application de l’exception de nécessité aux communications faites par des activistes au cours d’une campagne, les activistes entretenant des rapports particuliers avec une société doivent faire preuve de prudence, et il pourrait être pratiquement impossible pour eux de communiquer de l’information à d’autres actionnaires dont ils cherchent à obtenir l’appui. La prudence est également de mise du fait que les autorités canadiennes en valeurs mobilières ont démontré leur volonté d’utiliser leur compétence en matière d’« intérêt public » pour sanctionner des comportements qui, techniquement, n’enfreignent pas la loi, mais qui confèrent un avantage injuste à la personne qui effectue des opérations sur des titres ou à la personne qui reçoit l’information14. 13 2023 ONCMT 36. 14 Cormark Securities Inc. (Re) (2023), ONCMT 23; Finkelstein v. Ontario Securities Commission (2018), ONCA 61; Re Suman (2012), 38 OSCB 2809; Re Paul Donald (2012), 35 OSCB 7383; et Re Hariharan (2015), 38 OSCB 3356, 3373 (décisions en anglais seulement).

12 Davies | dwpv.com 07. Pilules empoisonnées De nombreuses sociétés ouvertes canadiennes et américaines ont mis en place un mécanisme de pilules empoisonnées (aussi appelé plan de droits des actionnaires) qui prévoit que si un « acquéreur » dépasse un seuil de propriété déterminé (généralement 20 %), tous les actionnaires autres que l’acquéreur peuvent acheter des actions en profitant d’un escompte considérable par rapport au cours des actions, ce qui aura pour effet de diluer sensiblement la participation de l’acquéreur. Selon les mécanismes de pilules empoisonnées canadiens et américains, un acquéreur est considéré comme le propriétaire véritable des actions qui lui appartiennent et qui appartiennent à ses alliés. Toutefois, les mécanismes de pilules empoisonnées canadiens ont évolué différemment de ceux des États-Unis du fait que la TSX exige qu’ils soient approuvés par un vote des actionnaires, ce qui a conféré à ces derniers et, en fin de compte, à ISS, une influence considérable sur les modalités de ces mécanismes. L’une des différences entre les mécanismes de pilules empoisonnées canadiens et américains réside dans la définition d’« allié » qui, au Canada, n’inclut pas les personnes avec qui l’acquéreur s’est entendu pour exercer de concert les droits de vote rattachés à leurs actions, mais plutôt uniquement les personnes avec qui l’acquéreur a conclu une entente visant l’acquisition d’actions. Les tentatives visant à inclure des dispositions, similaires à celles parfois présentes dans les mécanismes de pilules empoisonnés américains, pour élargir les notions de « propriété véritable » ou d’« agir de concert » afin d’englober les ententes que des actionnaires concluent entre eux en vue d’exercer leurs droits de vote de concert ou de militer ensemble afin de provoquer un changement de contrôle d’un émetteur ou d’influer sur ce contrôle ne sont pas encore populaires au Canada. Les autorités canadiennes en valeurs mobilières ont publié des observations qui reflètent les lignes directrices en matière de vote des agences de conseil en vote canadiennes et qui indiquent clairement que les plans de droits ne devraient pouvoir être utilisés que pour contrer les offres publiques d’achat et ne devraient pas s’appliquer aux opérations ou aux situations qui doivent être soumises au vote des actionnaires, comme les élections contestées d’administrateurs. Les commissions des valeurs mobilières du Canada sont divisées sur la question de savoir si les pilules empoisonnées peuvent imposer aux actionnaires des restrictions plus sévères que celles prévues par les règles sur les offres publiques d’achat établies par la loi. Dans l’affaire Aurora Cannabis Inc.15 (en anglais seulement), la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO ») a envoyé un message clair au marché : elle ne tolérera pas les pilules empoisonnées assorties de modalités inhabituelles qui vont à l’encontre des caractéristiques établies des règles sur les offres publiques d’achat. Dans sa décision portant que le plan de droits en question devait faire l’objet d’une interdiction d’opérations pour des raisons d’intérêt public, la CVMO a déclaré que les pilules empoisonnées qui modifient les exigences du régime des offres publiques d’achat sèmeraient la confusion sur le marché et ne serviraient « aucun objectif utile ». Dans sa décision rendue en 2021 dans l’affaire Re Bison, l’ASC a implicitement rejeté ce principe. L’ASC a validé la modification par la société visée, qui faisait l’objet d’offres concurrentes, de sa pilule empoisonnée afin de tenir compte de l’exposition financière d’un actionnaire à des swaps réglés en espèces pour déterminer la « propriété véritable » de l’actionnaire aux fins de l’application de la pilule empoisonnée. L’ASC a conclu que la modification de la pilule préservait le « droit des actionnaires de faire un choix » dans le contexte d’offres concurrentes en empêchant un initiateur d’acquérir un « contrôle négatif » en augmentant sa participation et facilitait ainsi un processus d’offres ouvert et équitable pour la société visée. La décision de l’ASC semble avoir été motivée par l’hypothèse que l’initiateur aurait la capacité d’acquérir des actions sous-jacentes aux swaps réglés en espèces ou d’influencer l’exercice des droits de vote rattachés à celles-ci et par la crainte que les swaps, que les droits de vote rattachés aux actions sousjacentes aient été exercés contre une autre opération ou qu’ils n’aient pas été exercés du tout, puissent fausser le résultat du processus d’offres. 15 2018 ONSEC 10.

13 Guide de l’activisme actionnarial et des courses aux procurations au Canada Cette décision a créé un flou juridique en ce qui concerne l’utilisation de dérivés réglés en espèces dans le cadre de fusions et d’acquisitions. La manière dont le droit dans ce domaine pourrait être appliqué aux courses aux procurations reste incertaine, mais comme la décision rendue dans l’affaire Re Bison concernait l’exercice de droits de vote rattachés à des actions, et non le dépôt d’actions, il n’est pas difficile de prévoir les arguments qui pourraient être avancés pour étendre l’application de la décision aux courses aux procurations. Entre-temps, d’autres émetteurs (comme Elemental Royalties en réponse à une offre hostile de Gold Royalty) ont déjà emboîté le pas en incluant dans leurs pilules empoisonnées une définition élargie de la propriété véritable qui inclut les intérêts économiques dans les dérivés réglés en espèces et d’autres dispositions qui ne reposent pas sur les règles canadiennes en matière d’offres publiques d’achat. 08. A ctions comportant droit de vote acquises après la date de clôture des registres La loi constitutive de la société visée détermine qui est habile à voter à une assemblée des actionnaires. La LCSA prévoit que seul un actionnaire inscrit sur la liste des actionnaires à la date de clôture des registres aux fins de l’assemblée a le droit de voter à l’assemblée. Toutefois, la législation sur les sociétés par actions dans plusieurs provinces et territoires du Canada permet à l’acheteur qui acquiert des actions après la date de clôture des registres de voter à l’assemblée s’il produit des certificats d’actions dûment endossés ou démontre par ailleurs qu’il est propriétaire des actions et demande à la société (généralement au plus tard 10 jours avant l’assemblée) de faire inscrire son nom sur la liste des actionnaires habiles à voter. 09. Règlements administratifs sur les préavis Les règlements (ou politiques) sur les préavis établissent les exigences conformément auxquelles les actionnaires doivent donner un préavis à une société lorsqu’ils ont l’intention de proposer des candidats à l’élection des administrateurs à l’occasion d’une assemblée des actionnaires. Le non-respect d’un règlement sur les préavis peut priver l’actionnaire du droit de proposer un candidat à un poste d’administrateur. Les règlements administratifs sur les préavis existent depuis longtemps aux États-Unis, mais ils étaient extrêmement rares au Canada avant 2012. En 2012, les tribunaux canadiens ont approuvé le recours à ce type de règlements administratifs au motif que le fait d’informer les actionnaires de la tenue d’une élection des administrateurs contestée et de leur transmettre de l’information à ce sujet avant la tenue de l’assemblée favorise un processus de mise en candidature ordonné et une prise de décisions éclairées. La majorité des émetteurs canadiens ont depuis adopté des règlements administratifs sur les préavis. Les règlements administratifs et leurs modifications peuvent entrer en vigueur immédiatement après l’approbation du conseil, mais ils doivent être approuvés par les actionnaires à la prochaine assemblée des actionnaires pour demeurer en vigueur. L’obligation de soumettre les règlements administratifs et leurs modifications à un vote des actionnaires a donné à ISS et à Glass Lewis une influence considérable sur les dispositions des règlements administratifs sur les préavis au Canada. À la fin de 2014 et au début de 2015, ISS et Glass Lewis ont reformulé leurs politiques d’évaluation des règlements administratifs sur les préavis au Canada. Les politiques ont été reformulées

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