Bulletin

Le gouvernement du Canada mène des consultations sur les outils de lutte contre les actes répréhensibles des entreprises

Auteurs : John Bodrug, Alysha Manji-Knight et Stéphane Eljarrat

De nombreux pays ont mis en œuvre des régimes visant à prévenir et à corriger les conséquences associées aux pratiques criminelles ou quasi-criminelles des entreprises. Dans le but de doter le Canada d’outils adéquats pour remédier à la criminalité d’entreprise, le gouvernement canadien a lancé, le 25 septembre 2017, une consultation publique sur l’adoption éventuelle d’un régime d’accords de poursuite suspendue (l'« APS ») et la possible modification du Régime canadien d’intégrité (le « Régime d’intégrité »), aux termes duquel un fournisseur peut être déclaré inadmissible à obtenir des contrats du gouvernement. La période de consultation prendra fin le 17 novembre 2017.

Le gouvernement a établi, pour chacune de ces initiatives, des guides de discussion qui présentent des renseignements contextuels sur les régimes, décrivent l’utilisation de ces outils d’application de la loi dans d’autres pays et exposent les questions et considérations principales sur lesquelles il sollicite des commentaires.

Le régime APS

L’APS est un accord volontaire entre une entreprise accusée et l’autorité responsable des poursuites qui suspend les poursuites criminelles pendant une période déterminée. Aux termes d’un APS, la poursuite consent une amnistie à l’entreprise, en échange de quoi cette dernière accepte de se conformer à certaines conditions. Si les conditions sont respectées, les accusations sont retirées à l'échéance de l’APS et il n'en résulte aucune déclaration de culpabilité au criminel. Certaines exigences parmi les plus courantes de l’APS sont l’aveu de culpabilité, le paiement de sanctions pécuniaires ou la prise de mesures correctives, la réforme des politiques et pratiques de l’entreprise et la pleine coopération avec l’enquête du gouvernement. Si l’entreprise ne se conforme pas aux conditions de l’APS, les accusations peuvent être rétablies et l’entreprise peut être poursuivie et, en fin de compte, déclarée coupable.

L’APS vise non seulement à sanctionner une conduite criminelle et à décourager les comportements répréhensibles, mais aussi à inciter les entreprises à divulguer volontairement les actes d’inconduite et à encourager la prise de mesures correctives et le respect de la loi. Compte tenu du fait que les enquêtes sur la criminalité d’entreprise sont souvent longues et nécessitent des ressources considérables, l’APS offre la possibilité de corriger une telle conduite d’une façon efficace et rapide. Il peut aussi contribuer à réduire les conséquences indésirables pour les parties innocentes, comme les employés, les clients, les fournisseurs, les investisseurs et les autres intervenants sans reproche. De plus, il permet d’éviter la disqualification dans les pays qui interdisent aux personnes morales et aux sociétés membres de leur groupe de participer à l’adjudication de contrats publics si elles ont été déclarées coupables, voire même, dans certains cas, simplement accusées de certains types d’infractions.

S’appuyant en partie sur les différences constatées dans l’utilisation des APS selon les pays, les guides de discussion du gouvernement fédéral comprennent à la fois des questions de haut niveau sur le bien-fondé de ce mécanisme au Canada, mais aussi des questions plus détaillées concernant les éléments à prendre en compte au moment de proposer un APS à une entreprise, les mesures correctives possibles en cas de non-conformité à l’APS et l’opportunité de rendre l’APS public ou non. Voici certains des enjeux notables à propos desquels le gouvernement souhaite obtenir des commentaires :

  • À quelles infractions les APS devraient-ils s’appliquer? Aux États-Unis, le recours aux APS est permis pour toutes les infractions fédérales, tandis qu’au Royaume-Uni leur utilisation est limitée à certains crimes économiques. Le guide de discussion mentionne certaines infractions de fraude, de corruption et de blanchiment d’argent, mais plusieurs autres infractions à la Loi sur la concurrence et à certaines lois fiscales, par exemple, peuvent rendre une entreprise inadmissible en vertu du Régime d’intégrité canadien.
  • Quel rôle les tribunaux devraient-ils jouer dans un régime d’APS? Une participation accrue des tribunaux dans un régime d’APS pourrait favoriser la transparence et la confiance du public, mais elle pourrait aussi créer de l’incertitude autour de l’approbation de l’APS. Aux États-Unis, le régime d’APS accorde un rôle limité aux tribunaux (par exemple, les APS doivent être enregistrés auprès d’un tribunal, mais ne requièrent pas d’approbation judiciaire), alors qu’au Royaume-Uni l’assentiment de la cour est requis.
  • Quelles conditions faut-il inclure dans un APS? Tel que mentionné plus haut, certaines conditions sont communes à tous les APS, mais d’autres pourraient devoir être adaptées selon les situations. De plus, les conséquences juridiques doivent être précisées, y compris l’utilisation possible de l’APS dans d’autres types de procédures.
  • Dans quelles circonstances l’indemnisation des victimes devrait-elle faire partie des conditions d’un APS? Dans certains pays, l’APS exige parfois que l’entreprise indemnise les victimes de ses actes ou donne de l’argent à un organisme caritatif ou à un tiers. Le guide de discussion sollicite des commentaires sur la nécessité de prévoir une indemnisation des victimes dans les APS et sur les circonstances dans lesquelles celle-ci devrait être envisagée. Ce type de mécanisme existe déjà au Canada en cas d’absolution conditionnelle en vertu du Code criminel pour certains délits mineurs.

Cliquer ici pour lire le texte complet du DPA Regime discussion paper.

Régime d’intégrité

Le Régime d’intégrité canadien établit les conditions d’admissibilité selon lesquelles les fournisseurs peuvent conclure des contrats d’approvisionnement et des transactions immobilières avec Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et certains autres ministères et organismes fédéraux. Le Régime d’intégrité est en place depuis à peine plus de cinq ans, mais il a déjà subi plusieurs modifications depuis sa mise en vigueur en juillet 2012 (voir nos bulletins sur les révisions de juillet 2015 et mai 2016 du Régime d’intégrité).

Dans son guide de discussion, le gouvernement sollicite des commentaires sur un certain nombre d’améliorations et de modifications possibles au Régime d’intégrité :

  • La durée d’inadmissibilité ou de suspension devrait-elle être modifiée? Au cours des dernières années, de nombreux intervenants ont critiqué le caractère non discrétionnaire de la période d’inadmissibilité de 10 ans imposée aux fournisseurs déclarés coupables d’infractions, qu’ils considèrent comme étant punitive, disproportionnée et non harmonisée avec les pratiques exemplaires internationales. Le gouvernement souhaite obtenir les commentaires des intervenants sur la possibilité de diminuer les périodes de radiation ou de rendre celles-ci discrétionnaires, selon les circonstances de l’infraction.
  • Des infractions supplémentaires devraient-elles être ajoutées au Régime d’intégrité Un autre changement possible serait une expansion du régime afin qu’y soient intégrés de nouveaux types d’infractions, comme des infractions provinciales, des infractions civiles commises à l’étranger, des violations aux droits des travailleurs et des infractions environnementales. Certains pays classent certains comportements dans les délits de nature civile; par conséquent, les contrevenants ne font pas l’objet de poursuites pénales. Par exemple, dans certains pays d’Europe, le truquage d’offres est considéré comme un délit civil (au Canada un fournisseur pourrait faire l’objet de poursuites pénales pour de tels actes). Le gouvernement étudie aussi la possibilité d’étendre l’application du Régime d’intégrité afin d’inclure des infractions relatives à des questions sociales telles que les dérogations aux droits du travail et de l’environnement. Un tel élargissement du Régime soulèverait des enjeux considérables, particulièrement si la période obligatoire de radiation n’est pas modifiée simultanément.
  • À quel moment le gouvernement devrait-il envisager de suspendre une entreprise pour des actes répréhensibles allégués? Mais le plus important reste sans doute le fait que le gouvernement envisage la possibilité de permettre la radiation en l'absence d'accusation ou de condamnation formelle. Au soutien de cette suggestion, le gouvernement cite les pratiques adoptées par d’autres pays, mais une telle approche ferait fi des principes de justice naturelle et sa constitutionnalité pourrait faire l’objet de contestations judiciaires au Canada. Par exemple, le fournisseur visé par une enquête criminelle jouit du droit constitutionnel de refuser d’aider les enquêteurs et les poursuivants. Or, une entreprise qui dépend grandement des contrats gouvernementaux pourrait devoir renoncer à ce droit si, afin d’éviter la radiation, elle est forcée de répondre à des allégations criminelles avant que la poursuite n’ait présenté sa preuve devant une cour pénale.

Cliquer ici pour lire le texte complet du Guide de discussion du volet du Régime d'intégrité.

Implications

Il ressort clairement des guides de discussion que l’adoption éventuelle d’un régime d’APS et la modification possible du Régime d’intégrité sont étroitement liées. Plus particulièrement, la portée plus large et la flexibilité limitée du Régime d’intégrité pourraient amener un nombre considérablement plus important d’entreprises à divulguer volontairement des actes répréhensibles dans le but de conclure un APS et d’ainsi éviter une radiation. Toutefois, les guides de discussion ne permettent pas d’affirmer avec certitude que le fait de conclure un APS soustrairait nécessairement l’entreprise à la radiation.

Les personnes intéressées ont jusqu’au 17 novembre pour transmettre leurs commentaires et tenter d’influer sur l’adoption ou la révision des politiques encadrant les APS et le Régime d’intégrité.

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