Bulletin

L’importance du délai (et du processus) : la Cour supérieure de justice de l’Ontario raccourcit le délai pour la tenue d’une assemblée demandée par des activistes

Une récente décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, qui a annulé le calendrier proposé par le conseil d’une société visée par une demande d’assemblée, représente une rare victoire pour les activistes. Le Canada est généralement considéré comme un territoire favorable aux activistes, notamment en raison de la relative facilité avec laquelle un actionnaire peut demander la convocation d’une assemblée générale extraordinaire, mais la date de cette assemblée est laissée à l’appréciation du conseil de la société concernée. Les tribunaux canadiens se sont rarement immiscés dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire par le conseil, même lorsque la date de l’assemblée avait été fixée plusieurs mois après la demande. La décision contient des orientations importantes pour les conseils ainsi que pour les actionnaires qui souhaitent faire valoir leurs arguments en faveur d’un changement de date aux autres actionnaires, en particulier s’ils peuvent démontrer que l’assemblée demandée est urgente. La décision souligne que le droit de demander une assemblée est « fondamental » et que la démarche observée par un conseil pour fixer la date d’une assemblée mérite un examen minutieux, tant en ce qui concerne le processus décisionnel que les raisons de fond avancées par le conseil pour justifier sa décision.

Contexte

Dans l’affaire Sandpiper Real Estate Fund 4 Limited Partnership v First Capital Real Estate Investment Trust, 2023 ONSC 794 (l’« affaire Sandpiper »), deux investisseurs activistes, Sandpiper Group et Artis Real Estate Investment Trust (ensemble, le « Groupe d’actionnaires »), ont demandé la tenue d’une assemblée dans le but de remplacer quatre des neuf fiduciaires de l’émetteur afin de superviser la mise en œuvre du plan d’affectation du capital (le « Plan ») qu’avait récemment annoncé ce dernier et qui prévoyait la vente de certains actifs par le fonds de placement immobilier. Dans sa requête, le Groupe d’actionnaires demandait au conseil de convoquer une assemblée des porteurs de parts au plus tard le 1er mars 2023, soit environ deux mois et demi après le dépôt de la requête. Le 30 décembre 2022, l’émetteur a annoncé la tenue d’une assemblée annuelle et extraordinaire des porteurs de parts le 16 mai 2023, soit cinq mois après le dépôt de la requête.

Le Groupe d’actionnaires a demandé à la Cour supérieure de justice de l’Ontario (rôle commercial) d’obliger l’émetteur à tenir une assemblée extraordinaire le 1er mars 2023, ou dès que possible après cette date, en faisant valoir qu’il craignait que des actifs soient vendus dans le cadre du Plan avant la tenue de l’assemblée.

La décision

La Cour a souligné que, bien qu’il n’y ait pas de délai précis pour la tenue d’une assemblée dont on a fait la demande, les porteurs de parts disposent du « droit fondamental » de voir l’assemblée être tenue sans tarder. Bien que cela ne suppose pas un droit à ce que l’assemblée se tienne immédiatement, ou même le plus rapidement possible, cela suppose une obligation de tenir l’assemblée « sans retard déraisonnable ou injustifiable ». Toutefois, les conseils bénéficient généralement d’une marge de manœuvre, conformément à la règle de l’appréciation commerciale, pour déterminer le moment approprié pour la tenue d’une assemblée.

La Cour a examiné la procédure observée par le conseil et évalué si ce dernier avait fait preuve d’un niveau approprié de prudence et de diligence lorsqu’il a fixé la date de l’assemblée. La Cour a critiqué cette procédure, notamment le fait que le conseil n’avait tenu qu’une seule réunion de deux heures au cours de laquelle la demande n’était qu’un point parmi d’autres à l’ordre du jour et que les fiduciaires visés par le Groupe d’actionnaires avaient participé aux délibérations. La Cour a conclu que la procédure ne faisait pas état de l’indépendance et de l’objectivité requises pour justifier qu’on fasse preuve de retenue à l’égard de celle-ci selon la règle de l’appréciation commerciale. En conséquence, la Cour a examiné si l’assemblée extraordinaire avait été convoquée dans un délai raisonnable.

Les facteurs mentionnés par le conseil incluaient : i) les coûts et les distractions liés à la tenue de deux assemblées; ii) la volonté de laisser suffisamment de temps s’écouler afin de permettre la mise en œuvre de la stratégie de l’émetteur et de disposer de résultats financiers qui permettraient aux porteurs de parts et aux agences de conseil en vote d’évaluer la stratégie de manière appropriée; et iii) la volonté de laisser plus de temps aux porteurs de parts pour examiner les questions devant être soulevées à l’assemblée extraordinaire.

La Cour a reconnu que les conseils des sociétés cibles s’inquiètent souvent des coûts et des distractions liés à la tenue de deux assemblées, mais elle a souligné que ces inquiétudes étaient plus pertinentes pour une petite société confrontée à des difficultés financières. Elle a par ailleurs constaté que les coûts étaient relativement peu élevés compte tenu de la taille de l’émetteur et que l’émetteur avait dans le passé tenu des assemblées des porteurs de parts à des dates rapprochées.

En outre, l’objectif de l’assemblée extraordinaire était, en partie, de remplacer des membres du conseil afin de superviser l’exécution du Plan de l’émetteur. Retarder l’assemblée pour permettre le déroulement du Plan irait à l’encontre de l’objectif même de l’assemblée, qui était de permettre aux porteurs de parts de décider s’ils souhaitaient que le conseil d’administration en place poursuive la mise en œuvre de ses plans. De plus, le conseil a mentionné des événements non précisés qui, s’ils devaient se produire, auraient une incidence sur les résultats du premier trimestre et devraient donc être pris en compte par les actionnaires. La Cour a conclu qu’il s’agissait d’une raison trop vague et spéculative, étant donné que l’émetteur était incapable d’indiquer une opération ou un événement justifiant la décision du conseil de retarder l’assemblée. Par ailleurs, le Groupe d’actionnaires était disposé à accepter que l’assemblée soit tenue en mai, à la condition que le conseil s’engage à ne pas céder d’autres actifs aux termes du Plan dans l’intervalle.

En fin de compte, la Cour a ordonné à l’émetteur de tenir l’assemblée demandée dès que possible après le 1er mars 2023.

Principaux points à retenir

  1. Le processus décisionnel d’un conseil dans une situation contestée sera examiné de près, et plus particulièrement la gestion des conflits. Dans son évaluation du processus décisionnel du conseil, la Cour a mentionné des cas similaires dans lesquels les conseils avaient eu recours à des comités spéciaux et s’étaient réunis fréquemment avant de prendre des décisions clés qui justifiaient la protection de la règle de l’appréciation commerciale dans le contexte de courses aux procurations. La décision laisse entendre que les conseils devraient évaluer soigneusement si les administrateurs visés par la procédure de destitution peuvent être considérés par un tribunal comme étant en conflit d’intérêts et, si nécessaire, envisager de délibérer en l’absence de ces administrateurs. En outre, le fait que le conseil n’ait examiné formellement la demande d’assemblée qu’une seule fois et à l’occasion d’une réunion du conseil incluant des points à l’ordre du jour sans lien avec la demande a été considéré comme insuffisant. Cette constatation met en évidence la nécessité pour les conseils de démontrer qu’ils ont consacré suffisamment de temps et d’attention à leurs décisions, en particulier lorsqu’elles concernent l’exercice d’un droit fondamental des actionnaires.
  2. La réponse d’un conseil doit être adaptée aux circonstances particulières de l’entreprise. Le Groupe d’actionnaires cherchait principalement à empêcher l’émetteur de mettre en œuvre son Plan, qui prévoyait la vente d’actifs et l’augmentation des distributions. Parmi les raisons invoquées pour fixer l’assemblée en mai, le conseil a souligné les coûts et les distractions engendrés par la tenue de deux assemblées distinctes et qu’il était préférable d’attendre un trimestre afin de laisser plus de temps à la mise en œuvre du Plan. L’argument voulant que le fait de regrouper des assemblées permette de réduire les coûts est souvent avancé, mais il semble que, désormais, il ne justifiera plus le report d’une assemblée demandée lorsque les économies sont minimes par rapport aux ressources de la société. Les conseils devraient plutôt tenir compte des circonstances particulières de la société, dont sa taille et les faits nouveaux importants susceptibles de survenir à court terme, pour fixer la date d’une assemblée. En ce qui concerne la deuxième raison mentionnée par le conseil, la Cour a estimé qu’en retardant l’assemblée de cinq mois, l’objectif du Groupe d’actionnaires, qui était de surveiller la supervision du Plan par le conseil, avait été compromis.
  3. Dans une situation contestée, les parties pourraient avoir avantage à faire preuve de souplesse. Les activistes ont tout intérêt à essayer de démontrer qu’ils tiennent compte des préoccupations du conseil. Le Groupe d’actionnaires était disposé à accepter que l’assemblée soit tenue en mai, à la condition que le conseil s’engage à ne pas céder d’autres actifs aux termes du Plan dans l’intervalle. La Cour a examiné cette décision et a tenu compte de l’affaire Wells v Bioniche, dans laquelle la société en cause avait elle aussi décidé de tenir une assemblée plus tard que ce qui avait été demandé par l’activiste, mais, contrairement à l’émetteur dans l’affaire Sandpiper, elle s’était également engagée à ne pas prendre certaines mesures avant la tenue de l’assemblée demandée. L’engagement pris dans l’affaire Wells v Bioniche a apaisé les inquiétudes concernant la date de l’assemblée. Dans l’affaire Sandpiper, la Cour a estimé que l’objectif même de la demande était contrecarré par le report de l’assemblée pour permettre le déroulement du Plan de l’émetteur.

Personnes-ressources

Connexe

Dommages-intérêts « Con Ed » dans le cadre de fusions et acquisitions de sociétés ouvertes canadiennes : réinterpréter l’affaire Cineplex c. Cineworld à la lumière de la jurisprudence récente du Delaware

10 janv. 2024 - Quelles sont les voies de droit d’un vendeur se faisant éconduire par un acheteur qui choisit de tourner le dos à une opération et contrevient par le fait même à la convention d’achat? Dans le cas de fusions et d’acquisitions de sociétés à capital fermé, la réponse est relativement simple : il...