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La Cour suprême du Canada rend sa décision sur la tarification du carbone, ouvrant la voie aux règlements sur les crédits compensatoires

La Cour suprême du Canada (la « CSC ») a publié sa décision très attendue sur la validité constitutionnelle du cadre fédéral de tarification du carbone selon la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (la « Loi »), qui est entrée en vigueur en 2018. Dans une décision partagée rendue le 25 mars 2021, la majorité de la CSC a conclu que la Loi était une loi fédérale valide (autorisée en vertu du volet d’intérêt national du pouvoir fédéral en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement [le « pouvoir POBG »]) et a également confirmé la validité de la redevance sur les combustibles imposée par la Loi en tant que redevance réglementaire plutôt que taxation déguisée.

Le 6 mars 2021, le gouvernement fédéral a publié sans tambour ni trompette un projet de règlement visant la mise en œuvre du régime fédéral de crédits compensatoires prévu par le Système de tarification fondé sur le rendement (le « STFR ») créé en vertu de la Loi. Le 3 mars 2021, le gouvernement du Québec a, pour sa part, publié des projets de règlements visant principalement la simplification des crédits compensatoires existants du marché québécois du carbone.

Nous présentons ci-dessous un résumé de ces développements récents.

Le backstop fédéral sur la tarification du carbone : la CSC conclut à une nouvelle question d’intérêt national

Selon la Loi, les provinces ou territoires qui n’imposent pas de mécanismes de tarification du carbone suffisamment rigoureux sont assujettis au minimum règlementaire (backstop) du régime fédéral de tarification du carbone, lequel a deux composantes :

  • une redevance réglementaire applicable aux combustibles (la « redevance sur le carbone »)1;
  • le STFR, qui s’applique aux installations qui exercent des activités déterminées et dont les émissions de gaz à effet de serre (les « GES ») dépassent un seuil réglementaire (les « installations visées »), mais auquel peuvent participer volontairement les installations dont les émissions sont d’au moins 10 000 tonnes par année2.

Suivant l’approche établie pour déterminer si une loi constitue matière d’intérêt national relevant du pouvoir POBG, les juges majoritaires de la CSC ont déterminé la matière véritable ou le « caractère véritable » de la Loi; ils ont ainsi conclu qu’il s’agit de « l’établissement de normes nationales minimales de tarification rigoureuse des GES en vue de réduire les émissions de ces gaz »3.

Les juges majoritaires ont ensuite appliqué le critère de l’intérêt national, qui comprend trois parties, pour déterminer s’il s’agit d’une question d’intérêt national. Les juges majoritaires de la CSC se sont dits convaincus qu’il s’agit d’une question d’intérêt pour le Canada dans son ensemble, estimant que la réduction des émissions de GES au moyen de l’établissement de normes nationales minimales de tarification rigoureuse des GES constitue une réponse essentielle à la menace existentielle posée par les changements climatiques.

Les juges majoritaires ont conclu que la Loi était distincte des questions d’intérêt provincial, soutenant que les émissions de GES ont, de par leur nature et leurs répercussions, un caractère principalement extraprovincial et international, et que les provinces et territoires sont incapables sur le plan constitutionnel d’établir un « plancher de tarification » national contraignant quant aux émissions de GES. Le fait pour une province ou un territoire de ne pas agir, ou de refuser de coopérer, aurait de graves conséquences pour les autres provinces et territoires. Les juges majoritaires ont aussi conclu que la reconnaissance de la matière de la Loi en tant que matière d’intérêt national aurait une incidence minimale sur la compétence provinciale.

La CSC a également confirmé la validité de la redevance sur le carbone, au motif qu’elle sert à influencer les comportements en fournissant des incitatifs, un objectif réglementaire reconnu depuis longtemps. Même si le débat quant à la validité de la Loi en tant que loi fédérale a été tranché, nous nous attendons à ce que l’application, ou la non-application, du backstop fédéral soit contestée à l’avenir. Le degré de rigueur des régimes législatifs provinciaux ou territoriaux qui ont reçu l’approbation du gouvernement fédéral comme solutions de rechange à la Loi varie considérablement. Cette approche incohérente pourrait bien faire l’objet de futures demandes de requête en révision judiciaire.

Projet de règlement fédéral concernant les crédits compensatoires

La validité constitutionnelle de la Loi ayant été confirmée, l’attention va maintenant se porter sur un élément essentiel du STFR énoncé dans le récent projet de Règlement sur le régime canadien de crédits compensatoires concernant les gaz à effet de serre (le « Règlement sur les crédits compensatoires »), relativement auquel la période de consultation publique se poursuit jusqu’au 5 mai 2021.

Selon le STFR, si les émissions d’une installation assujettie dépassent la norme fondée sur le rendement applicable, l’installation doit payer une redevance pour émissions excédentaires soit (i) en effectuant un paiement au titre de cette redevance, soit (ii) en versant des unités de conformité, qui comprennent, notamment, des crédits compensatoires fédéraux. Les crédits compensatoires, en tant que source potentielle de revenus, constituent une incitation à prendre volontairement des mesures de réduction des GES.

Le Règlement sur les crédits compensatoires propose un cadre réglementaire selon lequel Environnement et Changement climatique Canada (« ECCC ») pourrait délivrer des crédits compensatoires fédéraux aux projets qui répondent aux critères d’admissibilité et qui sont mis en œuvre en conformité avec les protocoles fédéraux de crédits compensatoires. Voici certains de ces critères :

  • les promoteurs du projet, qui doivent être résidents du Canada, devront être en mesure de démontrer qu’ils possèdent un droit exclusif sur les réductions de GES découlant du projet ou la propriété exclusive de ces réductions de GES;
  • le projet devra être situé dans une seule province ou un seul territoire, inscrit auprès d’ECCC et pris en compte dans le système de suivi des crédits d’ECCC;
  • les réductions de GES réalisées dans le cadre du projet doivent être volontaires, c’est-à-dire non exigées par la loi. De plus, les activités du projet ne doivent être l’objet d’aucun autre système de tarification du carbone; les réductions d’émissions du projet ne peuvent pas être utilisées pour recevoir des crédits au titre d’un autre système de tarification du carbone;
  • les activités du projet doivent être « additionnelles » par rapport à un scénario de référence reflétant les activités courantes;
  • les promoteurs du projet seront tenus de verser dans un compte d’intégrité environnementale un pourcentage des crédits compensatoires émis; ce compte comprendra un ensemble de crédits servant d’assurance de l’intégrité environnementale du système fédéral de crédits compensatoires.

Les crédits compensatoires fédéraux ne seront délivrés que pour les activités à l’égard desquelles le gouvernement a établi un protocole de crédits compensatoires approuvé. Ces protocoles indiqueront les exigences spécifiques quant à la quantification, une évaluation du risque de fuite de GES, ainsi que les attentes devant être respectées en ce qui concerne la planification et la mise en œuvre d’un type de projet donné. Les protocoles de crédits compensatoires fédéraux s’appliqueront dans toutes les provinces et tous les territoires autres que ceux dans lesquels un protocole semblable existe déjà. Quatre protocoles prioritaires seront établis au début de 2021, soit :

  • les systèmes de réfrigération avancés
  • l’amélioration des pratiques d’aménagement forestier
  • la gestion du méthane des sites d’enfouissement
  • l’augmentation de la matière organique des sols.

Même si l’établissement de protocoles de crédits compensatoires ne garantit aucunement que des projets correspondants seront élaborés et mis en œuvre4, nous espérons que les protocoles fédéraux seront bien conçus, de manière à fournir aux promoteurs de projets des incitatifs efficaces à la création d’un marché de compensation vigoureux.

Modification des règlements du Québec concernant les crédits compensatoires

Le 3 mars 2021, trois projets de règlements (collectivement, les « projets de règlements ») concernant principalement les crédits compensatoires ont été publiés dans la Gazette officielle du Québec, soit :

  • le projet de Règlement modifiant le Règlement concernant le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre
  • le projet de Règlement relatif aux projets de valorisation et de destruction de méthane provenant d’un lieu d’enfouissement admissibles à la délivrance de crédits compensatoires
  • le projet de Règlement relatif aux projets de destruction d’halocarbures admissibles à la délivrance de crédits compensatoires.

La période de consultation publique des projets de règlements se poursuit jusqu’au 17 avril 2021.

Le système de plafonnement et d’échange du Québec a permis, presque depuis sa mise en place il y a près de dix ans, aux projets de crédits compensatoires de générer des crédits compensatoires à la condition de respecter les exigences énoncées dans le Règlement concernant le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre (le « Règlement concernant le système de plafonnement »). À l’heure actuelle, le Règlement concernant le système de plafonnement est le seul comportant des dispositions législatives régissant les crédits compensatoires, comprenant cinq protocoles s’appliquant aux projets admissibles dans les domaines suivants : (i) la destruction du méthane capté d’une fosse à lisier couverte; (ii) le traitement ou la destruction du méthane capté d’un lieu d’enfouissement (les « Projets visant les lieux d’enfouissement »); (iii) la destruction des substances appauvrissant la couche d’ozone contenues dans des mousses isolantes ou utilisées en tant que réfrigérant provenant d’appareils de réfrigération, de congélation et de climatisation (les « Projets visant les halocarbures »); et (iv) la destruction du méthane capté de systèmes déterminés de mines de charbon en exploitation.

Les projets de règlements concernant les Projets visant les lieux d’enfouissement et les Projets visant les halocarbures relèveraient du ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (le « Ministre »), de sorte que les modifications réglementaires s’en trouveraient simplifiées. Les projets de crédits compensatoires concernant les fosses à lisier et les mines de charbon continueraient d’être régis par le Règlement concernant le système de plafonnement jusqu’à ce que les protocoles soient remplacés par des règlements établis par le Ministre. Les exigences concernant la délivrance, le remplacement et l’annulation des crédits compensatoires sont toujours énoncées dans le Règlement concernant le système de plafonnement.

Les projets de règlements portant sur les Projets visant les lieux d’enfouissement et sur les Projets visant les halocarbures comportent certaines modifications par rapport aux règles actuelles; une fois adoptés, ils établiront les principales conditions s’appliquant aux projets de crédits compensatoires, dont l’admissibilité, la quantification, la surveillance, l’information sur le projet, les audits et les notifications à donner au Ministre. De plus, ces deux projets de règlements prévoient des dispositions transitoires pour certains projets déjà amorcés et les projets actuellement inscrits en vertu du Règlement concernant le système de plafonnement.

Conclusion

Au Canada, la tarification du carbone a fait l’objet d’un important débat au cours des dernières années, la CSC ayant eu le dernier mot sur le pouvoir constitutionnel du gouvernement fédéral d’imposer aux provinces des normes minimales de tarification du carbone. L’incertitude quant à la réglementation des GES en est grandement réduite. Toutefois, le chemin restant à accomplir pour la tarification du carbone et des crédits compensatoires demeure loin d’être clairement tracé.

1 La redevance sur le carbone est actuellement en vigueur en Ontario, au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, au Nunavut et au Yukon.

2 Le STFR est actuellement en vigueur en Ontario, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba, à l’Île-du-Prince-Édouard, en Saskatchewan, au Yukon et au Nunavut; bien que, le gouvernement fédéral a confirmé son intention de cesser de l’appliquer en Ontario et au Nouveau-Brunswick.

3 Cette interprétation contraste grandement avec la description générale de la matière de la Loi selon la Cour d’appel de l’Alberta : celle-ci a décrit l’objectif de la Loi comme étant la réglementation des émissions de GES et, par conséquent, a jugé que la redevance de carbone et le STFR étaient tous deux inconstitutionnels.

4 Par exemple, relativement peu de projets de crédits compensatoires ont été élaborés selon les protocoles de crédits compensatoires du Québec.

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