Bulletin

Ignorez à vos risques et périls : la CVMO accuse la plateforme de négociation de cryptoactifs Poloniex de faire fi de la législation en valeurs mobilières

Auteurs : Zain Rizvi, Shane Freedman et Geoffrey L. Rawle

La Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (la « CVMO ») n’a pas manqué à sa promesse de tenir responsables les plateformes de négociation de cryptoactifs (les « plateformes ») exerçant des activités en Ontario de non-respect de la législation en valeurs mobilières provinciale. En publiant, le 25 mai 2021, un exposé (en anglais) des allégations percutant, la CVMO a entamé une procédure contre Polo Digital Assets, Ltd. (exerçant ses activités sous le nom de Poloniex) [TRADUCTION] « pour avoir faire fi de la législation en valeurs mobilières de l’Ontario et pour signaler que les plateformes de négociation de cryptoactifs qui passent outre à cette législation feront l’objet de mesures réglementaires ».

Contexte

La procédure de la CVMO fait suite à la publication, le 29 mars 2021, de directives des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») et de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (l’« OCRCVM ») (l’« avis de 2021 »). Comme nous l’avions indiqué dans notre bulletin du 15 avril 2021, les autorités de réglementation ont réaffirmé dans l’avis de 2021 leur position : les plateformes qui détiennent des cryptoactifs qui ne sont pas des valeurs mobilières pour le compte de leurs utilisateurs (et qui sont ainsi considérées comme des plateformes de « garde » d’actifs) pourraient être assujetties aux exigences réglementaires s’appliquant aux courtiers en valeurs mobilières ou aux marchés ou aux bourses de valeurs mobilières classiques, car le droit contractuel d’un utilisateur sur le cryptoactif peut être en soi considéré comme une valeur mobilière ou un dérivé.

L’avis de 2021 précisait que les autorités de réglementation envisageaient d’offrir aux plateformes une période intermédiaire afin qu’elles bénéficient du temps et de la souplesse nécessaires pour se conformer à la législation en valeurs mobilières. La CVMO a publié à cette fin une déclaration afin d’informer les plateformes offrant des services de négociation de valeurs mobilières ou de dérivés fondés sur des cryptoactifs à des personnes en Ontario qu’elles devaient communiquer avec elle avant le 19 avril 2021 pour discuter des dispositions à prendre pour que leurs activités soient conformes à la réglementation, faute de quoi elles risquaient de se voir imposer des mesures d’exécution. Durant la période intermédiaire, dont la durée prévue est de deux ans, les plateformes pourront demander d’être inscrites à titre de courtier sur le marché dispensé ou de courtier d’exercice restreint, à la condition de ne pas offrir de prêt ni de marge à leurs utilisateurs et de ne pas être considérées comme une bourse de valeurs mobilières.

Qu’est-ce que Poloniex?

Selon l’exposé des allégations de la CVMO, Poloniex est une plateforme inscrite dans la République des Seychelles qui permet à ses utilisateurs, y compris les résidents de l’Ontario, d’ouvrir des comptes et de déposer, d’acheter et de négocier des cryptoactifs. De plus, la plateforme de Poloniex facilite les opérations sur marge (permettant aux utilisateurs d’effectuer entre eux des opérations de prêt pour vendre à découvert des cryptoactifs) et les opérations à terme (permettant aux utilisateurs d’acheter ou de vendre des contrats à terme sur cryptoactifs à effet de levier allant jusqu’à 100x). Poloniex facture aux utilisateurs des frais par opération en fonction du volume de leurs opérations.

Poloniex n’offre pas ses services aux personnes qui sont des citoyens des États-Unis, qui sont constituées aux États-Unis ou qui résident aux États-Unis, mais elle n’exclut pas de la même manière les résidents du Canada.

Une approche novatrice

Poloniex fonctionne comme une plateforme de garde, car ses utilisateurs ne possèdent pas et ne contrôlent pas les cryptoactifs qu’ils déposent, achètent, détiennent ou négocient sur la plateforme. Plutôt, les cryptoactifs sont enregistrés dans le compte des utilisateurs sous forme de solde, et ceux-ci ont le droit contractuel d’en prendre possession en demandant à Poloniex de les leur livrer. Comme il est indiqué ci-dessus, les autorités de réglementation ont réaffirmé dans l’avis de 2021 leur position selon laquelle ce type de droit contractuel sur un cryptoactif peut être en soi une valeur mobilière ou un dérivé, même si le cryptoactif sous-jacent ne l’est pas. Les utilisateurs de la plateforme peuvent être exposés, en raison de tels accords de garde, aux risques d’insolvabilité, de fraude et de défaut d’exécution de la part de la plateforme. Selon la position adoptée par les ACVM, les relations comme celles qu’entretient Poloniex sont en général assujetties à la législation en valeurs mobilières.

L’exemple

Dans son exposé des allégations, la CVMO affirme que Poloniex ne se conforme pas aux exigences de l’Ontario en matière d’inscription et de prospectus et n’a obtenu aucune dispense à l’égard de ces exigences. La CVMO indique également que Poloniex n’a pas communiqué avec elle avant la date limite du 19 avril 2021 pour demander des mesures provisoires. Poloniex aurait continué entre-temps de permettre aux résidents de l’Ontario d’acheter et de négocier sur sa plateforme des cryptoactifs et des dérivés sur cryptoactifs.

Même si de nombreuses autres plateformes fonctionnent également comme plateformes de garde, les opérations sur marge et les offres de contrats à terme à fort effet de levier de Poloniex ont vraisemblablement contribué à amener la CVMO à prendre des mesures contre cette plateforme, de tels produits présentant un risque accru pour les investisseurs. Dans leur réponse aux commentaires reçus à la suite de la publication de l’avis de 2021, les ACVM ont déclaré que les plateformes ne seraient pas autorisées à offrir des opérations sur marge ou des contrats à terme à leurs participants tant que les autorités de réglementation poursuivent leur évaluation des risques que posent les plateformes pour le marché.

Que Poloniex ait été peu préoccupée par la situation ou en soit simplement inconsciente, il est probable qu’elle y réfléchisse maintenant. La CVMO a fait connaître ses intentions et semble déterminée à faire de Poloniex un exemple pour les autres plateformes qui pourraient choisir de « faire fi » de la nouvelle procédure de conformité.

Déploiement de l’arsenal complet de la CVMO

Le personnel de la CVMO recommande que celle-ci impose toute une série de mesures correctives et punitives contre Poloniex et qu’elle donne en même temps un avertissement aux autres plateformes qui choisissent [TRADUCTION] « d’exposer les investisseurs de l’Ontario à des risques inacceptables et de créer une situation inéquitable parmi les plateformes de négociation de cryptoactifs ». Le personnel de la CVMO a demandé notamment que les sanctions suivantes soient imposées à Poloniex :

  • une interdiction permanente de réaliser des opérations sur toutes valeurs mobilières et tous dérivés;
  • une interdiction permanente d’acquérir des valeurs mobilières;
  • une ordonnance l’empêchant de façon permanente d’obtenir les dispenses prévues par la législation en valeurs mobilières de l’Ontario;
  • une réprimande;
  • une interdiction permanente d’agir comme personne inscrite, gestionnaire de fonds d’investissement ou promoteur au sens de la législation en valeurs mobilières;
  • des sanctions administratives pécuniaires allant jusqu’à 1 million de dollars pour chaque manquement à la législation en valeurs mobilières de l’Ontario;
  • la restitution à la CVMO de toutes sommes provenant d’activités non conformes à la législation en valeurs mobilières de l’Ontario;
  • le paiement des frais des enquêtes et des audiences de la CVMO;
  • toute autre ordonnance que la CVMO juge appropriée.

Les sanctions administratives pécuniaires demandées par le personnel de la CVMO pourraient devenir importantes. L’exposé des allégations ne donne pas de précisions sur la façon dont « chaque manquement » sera déterminé, mais il est possible que chaque achat, vente ou négociation effectué sur la plateforme de Poloniex par un résident de l’Ontario constitue un manquement à la législation en valeurs mobilières de l’Ontario.

De par leur ampleur, les sanctions proposées laissent supposer que la CVMO tente d’empêcher Poloniex d’exercer ses activités en Ontario à l’avenir.

Regard vers le passé et vers l’avenir

En juin 2019, les autorités de réglementation des valeurs mobilières du Canada ont indiqué dans des directives que les droits contractuels accordés par les plateformes conservant la garde des cryptoactifs de leurs utilisateurs pourraient constituer des valeurs mobilières. Au cours de la période de deux ans écoulée depuis, les cryptoactifs ont acquis une popularité de plus en plus grande parmi les particuliers, mais les plateformes, dans l’ensemble, ont continué de fonctionner dans une zone grise réglementaire. Les ACVM se sont efforcées de trouver un équilibre entre la protection des investisseurs et le soutien de l’innovation, notamment en permettant aux plateformes, au cours d’une période intermédiaire de deux ans, de poursuivre leurs activités tout en cherchant à s’inscrire en bonne et due forme. En lançant sa procédure contre Poloniex, la CVMO semble en même temps adresser un message catégorique aux plateformes : si vous souhaitez jouer sur le terrain de la CVMO, vous devrez respecter ses règles.

Personnes-ressources

Connexe