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Avis aux émetteurs étrangers : la Cour supérieure du Québec rejette une action collective en matière de valeurs mobilières pour absence de compétence

Auteurs : Nick Rodrigo, Julie Girard et Faiz Lalani

Dans l’affaire Chandler c. Volkswagen Aktiengesellschaft, la Cour supérieure du Québec a récemment rejeté une action collective en matière de valeurs mobilières intentée contre Volkswagen Aktiengesellschaft (« VW »). La Cour a rendu cette décision alors même qu’elle avait précédemment rejeté les arguments en matière de compétence de VW au stade de l'autorisation et avait permis au recours de procéder au stade du mérite.

Dans cette décision, qui offre des éclaircissements pour les défendeurs étrangers et particulièrement les sociétés ouvertes étrangères émettrices aux prises avec des réclamations pour déclarations fausses ou trompeuses en matière de valeurs mobilières au Québec, il est précisé ce qui suit :

  • les défendeurs sont en droit de contester la compétence du tribunal même une fois l’action collective autorisée, droit dont ils ne sont pas privés à un stade ultérieur;
  • les tribunaux du Québec, comme ceux du reste du Canada, seront peu enclins à affirmer leur compétence à l’égard de réclamations pour déclarations fausses ou trompeuses en matière de valeurs mobilières visant les titres d'un émetteur étranger dont les titres sont cotés sur des bourses étrangères.

Contexte

Le demandeur a intenté une action collective au nom de tous les résidents du Québec ayant acheté des titres de VW entre le 12 mars 2009 et le 18 septembre 2015. Il affirme avoir subi, ainsi que les autres membres du groupe, des pertes pécuniaires lorsque le cours des titres de VW a baissé suivant la divulgation des déclarations prétendument fausses ou trompeuses de VW concernant la conformité de ses véhicules à moteur diesel à des normes d'émission.

Le 28 mai 2018, la Cour supérieure du Québec a accueilli la demande d'autorisation de l'action collective du demandeur, permettant ainsi l’examen au mérite de l'action collective. La Cour supérieure a rejeté les arguments en matière de compétence de VW au stade de l'autorisation, jugeant que VW avait renoncé à son droit de contester la compétence du tribunal (VW ayant indiqué plus tôt qu'elle n’en contesterait pas la compétence) et que le demandeur avait, à première vue, subi un préjudice au Québec. Pour ces motifs et d'autres encore, l’action collective a été autorisée.

La décision

Malgré l’échec subi au stade de l’autorisation, VW a réitéré ses arguments en matière de compétence au stade du mérite et, nouvelles preuves à l’appui, a présenté une demande de contestation de compétence en bonne et due forme.

En réponse, le demandeur a avancé les arguments suivants : i) VW a reconnu la compétence des tribunaux du Québec (qui est un motif à l’appui de la compétence conformément au paragraphe 5) de l’article 3148 du Code civil du Québec (« CCQ »); ii) VW avait un établissement au Québec, c’est-à-dire une filiale (paragraphe 2) de l’article 3148 du CCQ; iii) une faute a été commise au Québec (paragraphe 3) de l’article 3148 du CCQ; et iv) un préjudice a été subi au Québec. N’importe lequel de ces motifs aurait suffi à confirmer la compétence du tribunal.

Toutefois, au stade du mérite, la Cour supérieure est revenue sur sa position antérieure et a jugé qu'elle n'était pas compétente pour entendre l’action collective, pour les motifs suivants :

  • VW n’a ni reconnu la compétence de la Cour ni renoncé à son droit de la contester. Même si VW n'en avait pas contesté la compétence en bonne et due forme au stade de l'autorisation, une fois l'action passée au stade du mérite, VW a indiqué [traduction] « systématiquement et à de nombreuses reprises » qu'elle contestait la compétence de la Cour. La Cour a estimé qu'une demande introductive d'instance (c'est-à-dire une déclaration) présentée après l'autorisation constitue une nouvelle action, en réponse à laquelle des moyens préliminaires peuvent être présentés.
  • La présence au Québec d'une filiale indirecte est insuffisante pour soutenir l’affirmation de compétence de la Cour. Plus précisément, le fait que les titres aient été émis au Québec par une telle filiale indirecte (« VCCI »), qui y avait à cette fin bénéficié de dispenses de prospectus, n'est pas suffisant pour soutenir l’affirmation de compétence. De plus, la Cour a signalé qu’il ne fallait pas amalgamer VW et sa filiale indirecte.
  • Aucune faute n'a été commise au Québec. La Cour a conclu que les déclarations mises en cause avaient été préparées en Allemagne et qu’il n'y avait aucune preuve d'une faute ou d'une omission précise commise au Québec. Le fait que VCCI ait déposé des prospectus dans lesquels elle avait intégré par renvoi les états financiers de VW auprès de l'autorité des marchés financiers du Québec ne permet pas d’affirmer que VW a commis une faute au Québec.
  • Aucun préjudice n'a été subi au Québec. La Cour a conclu que le lieu du préjudice était l’endroit où les membres du groupe ont acheté et vendu les titres, c'est-à-dire l'Europe dans le cas des actions de VW et les États-Unis dans le cas des titres négociés de gré à gré – et non le Québec. Il a jugé que l'article 236.1 de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec, qui prévoit que l’« action […] peut être portée devant le tribunal de la résidence du demandeur », ne pouvait être invoqué à l’appui de sa compétence. La Cour a jugé que l’action collective n'était pas [traduction] « liée au placement d'un titre », mais constituait plutôt une action en responsabilité civile (le demandeur n’a pas invoqué les dispositions relatives au marché secondaire de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec).
  • Toutefois, la Cour a soutenu que si elle avait eu compétence, elle n'aurait pas suspendu l'action au Québec en faveur d'une autre autorité juridictionnelle, estimant que les critères du forum non conveniens, c’est-à-dire la résidence et l’emplacement des parties, des témoins, des experts et des preuves importantes, ne penchaient pas en faveur du tribunal étranger. De plus, la Cour a exprimé des préoccupations concernant les avis et le processus de réclamation d’un règlement d’actions connexes aux États-Unis.

Principaux points à retenir

Cette décision rappelle aux défendeurs étrangers qui sont l’objet d’une action collective au Québec qu’ils devraient évaluer et envisager la possibilité de présenter une contestation de compétence tant au stade de l'autorisation qu’au stade du mérite. Un résultat défavorable au stade de l'autorisation n'empêche pas – et ne devrait pas décourager – la présentation par le défendeur d’une contestation de compétence à un stade ultérieur.

De plus, il importe que les émetteurs étrangers qui sont aux prises avec une action pour déclarations fausses ou trompeuses en matière de valeurs mobilières au Québec déterminent si les opérations sur leurs titres ont effectivement eu lieu au Québec et présentent des preuves à l’appui du déroulement de ces opérations.

Enfin, cette décision indique que les tribunaux du Québec suivent la tendance de ceux du reste du Canada, où des actions collectives semblables en matière de valeurs mobilières contre des émetteurs étrangers ont été rejetées. En effet, en août 2018, une action collective connexe intentée en Ontario (Leon c. Volkswagen AG) a été rejetée pour des motifs de compétence. Le tribunal ontarien a estimé qu'il n'y avait [traduction] « rien d'injuste à attendre des résidents de l'Ontario qui achètent les actions d'une société étrangère sur une bourse étrangère [...] qu'ils intentent leurs actions contre le défendeur étranger dans le territoire de la bourse étrangère ».

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