Bulletin

La Cour supérieure de l’Ontario refuse d’appliquer la clause de déchéance « draconienne et vexatoire » visant les attributions d’actions non acquises d’un employé licencié

Auteur : Mark Firman

La Cour supérieure de justice de l’Ontario a publié les motifs de sa décision (en anglais) dans l’affaire Battiston c Microsoft Canada Inc. (l’« affaire Battiston »), qui portait sur le licenciement « sans motif » d’un employé aux longs états de service. Au nombre des autres questions en litige, il y avait celle de savoir ce qu’il devait advenir des attributions d’actions non acquises qui avaient été accordées à M. Battiston, lorsqu’il était employé, aux termes de conventions d’attribution d’actions annuelles. À l’instar de la majorité des plans incitatifs fondés sur des titres de capitaux propres et des attributions accordées aux termes de ceux-ci, les conventions d’attribution d’actions qui liaient M. Battiston stipulaient l’annulation pure et simple des attributions non acquises en cas de cessation d’emploi. Cependant, dans un revirement inattendu, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a refusé d’appliquer la clause de déchéance, jugée draconienne et vexatoire (harsh and oppressive), au motif qu’elle n’avait pas été suffisamment portée à la connaissance de l’employé pendant la durée de son emploi.

Les clauses de déchéance sont courantes dans les plans incitatifs fondés sur des titres de capitaux propres et les attributions connexes, et l’on s’entendait généralement pour dire que, compte tenu de la nature « à long terme » de l’intéressement qu’ils prévoient, le participant ne devrait pas être autorisé à continuer d’en bénéficier après la fin de son emploi. En deux mots, il n’y a alors plus de services d’emploi à encourager ou à récompenser. Or, l’affaire Battiston, en l’absence d’un éventuel appel fructueux, vient servir une nouvelle mise en garde aux employeurs de l’Ontario.

Les faits

M. Battiston est entré au service de Microsoft Canada en décembre 1995 en tant que consultant principal. Au fil des ans, il a obtenu plusieurs promotions. Après quelque 23 ans de service, il a été remercié pour des raisons liées à son rendement (mais sans « motif ») en août 2018 – licenciement qui, selon ses dires, l’a pris par surprise.

Outre son salaire de base, M. Battiston s’était vu accorder, chaque année, des avantages comprenant des augmentations salariales au mérite, des primes en espèces et, fait déterminant dans cette affaire, des attributions d’actions en vertu de la politique de récompense de Microsoft – primes et attributions d’actions qui représentaient une tranche importante de sa rémunération totale. Les attributions d’actions étaient attestées par une convention d’attribution d’actions et les droits à celles-ci devenaient acquis après l’écoulement d’une certaine période. Il se peut que les attributions d’actions aient pris la forme « d’unités d’actions incessibles » (ou « UAI »), à la manière de plans similaires administrés par d’autres employeurs, mais ces termes ne sont pas repris dans la décision.

L’une des dispositions principales de chaque convention d’attribution d’actions prévoyait que, sous réserve de certaines exceptions non applicables en l’espèce, la fin de l’emploi du bénéficiaire entraînait l’annulation de ses attributions non acquises. Chaque année, lors de l’octroi des actions, une convention d’attribution d’actions était remise à M. Battiston qui devait également signer une attestation par laquelle il reconnaissait avoir lu et compris les dispositions de la convention. Lors de son témoignage, M. Battiston a déclaré qu’il se contentait de signer l’attestation sans lire la convention parce que celle-ci était trop longue. À la date de son licenciement, ses attributions non acquises visaient 1 057 actions de Microsoft.

Au moment de son licenciement, M. Battiston a été informé qu’il ne recevrait pas d’augmentation salariale au mérite ni aucune prime en espèces pour l’exercice 2018 et que, de plus et conformément aux conventions d’attribution d’actions, la cessation de son emploi entraînait la déchéance de toute attribution d’actions non acquise à cette date.

Décision de la Cour concernant les attributions d’actions

Malgré le libellé explicitement contraire des dispositions pertinentes des conventions d’attribution d’actions, M. Battiston a soutenu qu’il croyait qu’il aurait la faculté de liquider ses attributions d’actions non acquises à la cessation de son emploi. Cette option aurait été bien inhabituelle en vertu d’un plan incitatif fondé sur des titres de capitaux propres, lequel, ainsi qu’il est mentionné ci-dessus, constitue généralement un mécanisme de rétention à long terme ayant pour objet de lier la rémunération à long terme de l’employé à la valeur des actions de l’entreprise. Avec la fin de l’emploi, le lien que le plan contribuait à maintenir disparaît, et l’employé cesse de fournir des services qui contribueraient par ailleurs à la valeur des actions.

La Cour a souscrit à la position de l’employeur selon laquelle chaque convention d’attribution d’actions excluait sans ambiguïté le droit [de M. Battiston] d’acquérir les droits à ses attributions d’actions advenant la fin de son emploi « sans motif » (l’affaire Battiston, au parag. 64). Néanmoins, la Cour est arrivée à la conclusion que les dispositions relatives à la cessation d’emploi des conventions d’attribution d’actions étaient inapplicables en raison de leur nature « draconienne et vexatoire » et qu’il eût fallu, pour cette raison, les porter spécifiquement à la connaissance de M. Battiston pendant son emploi, ce qui n’avait pas été fait.

La Cour a donc accordé à M. Battiston des dommages-intérêts représentant la valeur des 1 057 actions visées par les attributions non acquises et précisé que cette valeur devait être calculée à la date de la cessation d’emploi (plutôt qu’à l’issue du procès, comme le demandait M. Battiston, date à laquelle le cours de l’action de Microsoft était supérieur).

On ignore si Microsoft Canada a l’intention d’interjeter appel de la décision de la Cour.

Questions soulevées par cette décision

L’issue de l’affaire Battiston donne à réfléchir, compte tenu surtout de l’utilisation répandue d’incitatifs fondés sur des titres de capitaux propres destinés aux employés, y compris des UAI et d’autres types d’attributions dont les droits s’acquièrent en fonction de l’écoulement du temps ou en fonction de la performance.

Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, la fin de l’emploi entraîne souvent la déchéance de ces incitatifs. D’ailleurs, la décision rendue dans l’affaire Battiston ne remet pas en question la validité des clauses de déchéance en tant que telles, mais exhorte les employeurs à prendre le temps de s’assurer que les employés ont été avertis des principales dispositions défavorables d’un plan ou d’une attribution, par exemple de l’incidence de la cessation de l’emploi sur les attributions non acquises.

Cela dit, le résultat auquel arrive l’affaire Battiston est intimement lié aux faits propres à cette affaire, y compris à l’analyse de la rémunération globale de M. Battiston, dont de grands pans ne sont pas abordés dans le présent bulletin. L’application des clauses d’autres plans incitatifs à la suite d’éventuelles cessations d’emploi pourrait déboucher sur des résultats bien différents pour les employeurs appelés à défendre celles-ci devant les tribunaux de l’Ontario.

Que doivent faire les employeurs dorénavant?

Que faut-il donc faire pour correctement mettre les employés au courant des dispositions défavorables? En 1956, l’éminent juriste anglais Lord Denning a tenu ces propos : [traduction] « Avant que je ne puisse les juger suffisantes, certaines des clauses qu’il m’a été donné de voir auraient besoin d’être imprimées à l’encre rouge et une main tout aussi rouge devrait pointer vers elles afin qu’elles sautent aux yeux1. » La décision rendue dans l’affaire Battiston ne va pas jusqu’à recommander aux employeurs d’imprimer à l’encre rouge les dispositions relatives à la cessation d’emploi, mais l’adoption de quelques mesures simples pourrait largement contribuer à prévenir un résultat similaire aux termes d’autres plans. Il pourrait y avoir lieu, par exemple, d’insister sur les dispositions relatives à la cessation d’emploi dans les ateliers et les webinaires destinés aux employés (même s’il est souvent délicat d’aborder ce sujet avec des employés qui sont toujours en poste). De plus, en ce qui concerne les employés qui reconnaissent électroniquement les modalités et conditions des attributions, les employeurs devraient envisager de faire équipe avec les administrateurs externes des plans et registres pour s’assurer que les employés prennent connaissance des dispositions pertinentes avant d’être autorisés à cliquer sur la case ou le bouton « J’accepte ». Dans certains cas, il pourrait également être prudent de préparer une FAQ ou un bulletin rédigé en langage clair à remettre avec la convention ou le document d’attribution fourni à l’employé.

Outre la rédaction soignée de dispositions claires et non ambiguës, les employeurs devraient adopter des procédures conçues de manière à informer efficacement les employés de leurs droits et obligations, mais aussi des modalités et conditions particulières d’une attribution donnée. Après la décision dans l’affaire Battiston, les employeurs ne pourront peut-être plus s’en remettre simplement à des attestations signées.

L’auteur adresse ses remerciements à Janice Perri, étudiante en droit de la cohorte d’été, pour l’aide précieuse qu’elle lui a apportée dans le cadre de la rédaction du présent bulletin.

1 J. Spurling Ltd v Bradshaw, [1956] EWCA Civ 3.

Connexe