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Prolongation temporaire des délais applicables à l’examen relatif à la sécurité nationale d’investissements étrangers au Canada en raison de la pandémie de COVID-19

Auteurs : John Bodrug et Anita Banicevic

Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie a publié, en vertu de la loi fédérale sur les délais récemment adoptée, un arrêté ministériel prolongeant plusieurs délais applicables à l’examen relatif à la sécurité nationale prévu par la Loi sur Investissement Canada (la « LIC »). Toute acquisition d’une entreprise canadienne par un non-Canadien, tout investissement par un non-Canadien dans une entreprise canadienne ou la constitution d’une nouvelle entreprise canadienne par un non-Canadien peut être assujetti à un examen relatif à la sécurité nationale susceptible de déboucher, entre autres, sur une interdiction de réaliser l’investissement, une obligation de se départir de l’investissement ou l’imposition d’autres conditions.

Ainsi :

  • Le ministre dispose maintenant de 60 jours (plutôt que de 45) suivant la réception d’un avis d’acquisition du contrôle d’une entreprise canadienne pour donner un avis relatif à l’ouverture possible d’un examen relatif à la sécurité nationale. (S’il s’agit d’une acquisition projetée, la remise de cet avis a pour effet d’interdire aux parties de conclure l’opération jusqu’à ce que le ministre ait décidé de ne pas recommander que soit pris un décret d’examen, ou jusqu’à ce que l’examen ait pris fin ou soit effectué selon des modalités qui permettent aux parties de procéder à la clôture.)
  • Lorsqu’il a donné un tel avis, le ministre dispose maintenant de 90 jours (plutôt que de 45) pour déterminer s’il y a lieu de recommander un examen relatif à la sécurité nationale complet.
  • En ce qui concerne les investissements visant une prise de participation ne donnant pas le contrôle d’une entreprise canadienne, lesquels n’ont pas à faire l’objet d’un avis aux termes de la LIC, le ministre dispose maintenant de 180 jours (plutôt que de 45) suivant la clôture pour déterminer s’il y a lieu de recommander un examen relatif à la sécurité nationale.

Cependant, l’arrêté ministériel ne prolonge aucune des périodes précitées au-delà du 31 décembre 2020.

Contexte

Conformément à la LIC, l’acquisition, par un non-Canadien, du contrôle d’une entreprise canadienne est assujettie soit à un examen selon le critère de « l’avantage net » avant la clôture (si certains seuils financiers sont franchis), soit à une obligation de remise d’un avis d’investissement (devant être déposé avant la clôture ou dans les 30 jours qui suivent). Outre l’examen selon le critère de l’avantage net, la LIC prévoit qu’un investissement (y compris un investissement minoritaire) ou la constitution d’une nouvelle entreprise au Canada peut être assujetti à un processus d’examen relatif à la sécurité nationale distinct lorsque l’investissement ou la nouvelle entreprise est susceptible de « porter atteinte à la sécurité nationale ».

Bien que la notion de « sécurité nationale » ne soit pas définie dans la LIC, on trouve dans les lignes directrices gouvernementales une liste de facteurs dont il peut être tenu compte au moment d’évaluer si un examen relatif à la sécurité nationale est susceptible d’être amorcé (par exemple, la mesure dans laquelle l’investissement risque de permettre l’espionnage ou d’avoir des effets sur les capacités en matière de défense, sur la sécurité des infrastructures essentielles ou sur l’approvisionnement en biens et services essentiels aux Canadiens). Ainsi qu’il ressort d’un énoncé de politique d’avril 2020, la pandémie de COVID-19 a poussé le gouvernement à examiner avec une attention particulière les investissements étrangers dans des entreprises qui sont liées à la santé publique, voire à la sécurité économique du Canada, et notamment les acquisitions effectuées par des entreprises d’État ou des entités influencées par un État (des « entreprises d’État »). (Pour en savoir plus sur l’examen approfondi des investissements étrangers pendant la pandémie de COVID-19, consulter le bulletin de Davies.) Cette intensification de l’examen des investissements étrangers concorde avec l’évolution de la situation aux États-Unis et en Europe.

Lorsque le ministre, après avoir été informé d’un investissement par un non-Canadien dans une entreprise canadienne, a des motifs raisonnables de croire que l’investissement pourrait porter atteinte à la sécurité nationale, il peut aviser l’investisseur étranger de la possibilité que l’investissement fasse l’objet d’un décret d’examen. Le ministre peut également recommander au gouverneur en conseil (à savoir, le Cabinet) de prendre un décret soumettant l’investissement à l’examen relatif à la sécurité nationale.

En ce concerne l’acquisition du contrôle d’une entreprise canadienne, le ministre peut maintenant transmettre un avis de l’ouverture possible d’un examen relatif à la sécurité nationale dans les 60 jours qui suivent la réception d’un dossier d’avis complet ou, lorsque la valeur de l’opération excède les seuils déclencheurs d’examen préalable à la clôture, une demande d’examen selon le critère de l’avantage net. De plus, le ministre dispose maintenant de 90 jours suivant l’envoi de cet avis pour déterminer s’il y a lieu de recommander au Cabinet de prendre un décret soumettant l’investissement à un examen relatif à la sécurité nationale.

Les parties à un investissement qui n’a pas à faire l’objet d’un avis ou d’un examen peuvent choisir de communiquer l’existence de celui-ci au ministre. L’arrêté ministériel publié le 31 juillet 2020 prévoit que le ministre dispose maintenant d’un délai pouvant aller jusqu’à 180 jours après la clôture pour informer un investisseur étranger de la possibilité qu’un investissement fasse l’objet d’un décret d’examen relatif à la sécurité nationale.

Dans le cas où le Cabinet prend un décret d’examen relatif à la sécurité nationale, les délais à l’intérieur desquels l’examen doit être effectué ne sont pas modifiés par l’arrêté ministériel, et la réalisation d’un examen complet peut prendre jusqu’à 110 jours supplémentaires (voire plus, si l’investisseur non canadien consent à la prolongation).

Le gouvernement a publié un diagramme, reproduit ci-après, illustrant la prolongation temporaire des délais associés au processus d’examen relatif à la sécurité nationale.

Prolongation temporaire de certains délais applicables au processus d’examen relatif à la sécurité nationale prévu à la Partie IV.1 de la LIC

Prolongation temporaire de certains délais applicables au processus d’examen relatif à la sécurité nationale prévu à la Partie IV.1 de la LIC

Application des délais prolongés aux investissements effectués avant le 31 juillet 2020

Bien que la loi habilitante permette la prolongation rétroactive de certains délais avec effet à une date aussi lointaine que le 13 mars 2020, et que le ministre ait jusqu’au 30 septembre 2020 pour publier d’autres arrêtés, les notes explicatives qui accompagnent l’arrêté du 31 juillet indiquent que les prolongations de délais ne s’appliquent pas aux investissements à l’égard desquels le ministre a reçu un dossier d’avis complet ou une demande d’examen selon le critère de l’avantage net avant le 31 juillet 2020.

La position du gouvernement est moins nette en ce qui concerne l’application des prolongations de délais aux investissements antérieurs au 31 juillet 2020 qui n’ont pas à faire l’objet d’un avis aux termes de la LIC. Il faudra voir si le ministre jugera que les investissements n’ayant pas à faire l’objet d’un avis effectués avant la date de l’arrêté sont malgré tout assujettis au délai prolongé de 180 jours à l’intérieur duquel le ministre peut décider d’amorcer le processus d’examen relatif à la sécurité nationale.

Répercussions

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, le ministre applique les dispositions relatives à l’examen relatif à la sécurité nationale de la LIC de manière plus générale qu’auparavant. Par exemple, au début de mai 2020, le ministre a publié un avis d’examen possible à l’égard de la fusion projetée de deux sociétés aurifères dont les actions étaient inscrites à la cote d’une bourse canadienne, mais dont les mines étaient entièrement situées en Afrique. Bien que le ministre ait par la suite décidé de ne pas recommander au Cabinet de prendre un décret d’examen, l’avis initial a retardé la clôture de l’opération qui n’a pu avoir lieu qu’après la décision ultérieure.

Compte tenu, tout particulièrement, de la prolongation temporaire des délais applicables aux examens relatifs à la sécurité nationale et de l’approche récemment adoptée par le gouvernement à l’égard de ceux-ci, les investisseurs étrangers devront examiner avec soin s’il est possible qu’un investissement proposé soit considéré comme susceptible de soulever des préoccupations liées à la sécurité nationale. Les autorités gouvernementales fédérales responsables des examens relatifs à la sécurité nationale pourraient être tentées de reporter les analyses d’opérations proposées ou les décisions s’y rapportant qui sont considérées comme moins pressantes que d’autres priorités concurrentes dans le contexte de la COVID-19. Ainsi, les notes explicatives qui accompagnent l’arrêté ministériel indiquent que le processus d’examen relatif à la sécurité nationale a été rendu plus difficile en raison des restrictions opérationnelles résultant de la COVID-19, aussi bien pour le gouvernement que les investisseurs.

Par conséquent, au moment de répartir le risque et de négocier des droits de résiliation, par exemple, les parties à une opération proposée susceptible d’être visée par les dispositions relatives à l’examen relatif à la sécurité nationale devraient tenir compte, entre autres, (i) de l’allongement possible du délai précédant la clôture de l’opération proposée si le ministre juge qu’un examen relatif à la sécurité nationale pourrait être justifié, (ii) de l’allongement possible de la période d’incertitude postérieure à la clôture au cours de laquelle un examen relatif à la sécurité nationale pourrait être demandé si le délai à l’intérieur duquel le processus d’examen peut être amorcé n’a pas expiré avant la clôture et (iii) des sanctions possibles que le gouvernement pourrait imposer à la suite d’un décret d’examen.

Le ministre encourage les parties qui envisagent d’effectuer un investissement étranger dans une entreprise canadienne à communiquer avec les autorités rapidement. Or, la LIC ne prévoit pas de processus officiel ou contraignant d’examen relatif à la sécurité nationale préalable à la clôture pour les investissements qui n’entraînent pas l’acquisition du contrôle, et, en ce qui concerne les investissements à l’égard desquels on examine en ce moment la possibilité de les soumettre à un examen relatif à la sécurité nationale, l’arrêté ministériel permettrait maintenant au ministre de lancer le processus d’examen à tout moment d’ici le 31 décembre 2020. Cependant, selon notre expérience, il est possible dans certains cas d’obtenir des recommandations dignes d’intérêt dans le cadre de consultations officieuses avec le gouvernement.

Quoi qu’il en soit, en raison de la prolongation des délais associés à l’examen relatif à la sécurité nationale, les investisseurs étrangers qui envisagent la possibilité de faire un investissement au Canada pendant la pandémie de COVID-19 (et d’ici au redressement de l’économie canadienne) doivent plus que jamais évaluer, aussitôt que possible, l’incidence que pourrait avoir sur leur opération l’examen approfondi auquel le gouvernement entend soumettre les investissements étrangers, et prendre contact avec le gouvernement au besoin.

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