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La Cour suprême du Canada appelée à se prononcer sur des réclamations d’un nouveau genre contre des multinationales canadiennes exerçant des activités à l’étranger

Auteurs : Luis Sarabia et Steven G. Frankel

La Cour suprême du Canada entendra le 23 janvier 2019 l’appel interjeté dans l’affaire Araya c. Nevsun Resources Ltd. Cette affaire concerne une mine située en Érythrée qui appartient majoritairement à une filiale d’une société canadienne et dont l’exploitation est assurée par cette filiale. La question en litige consiste à savoir si des ressortissants de l’Érythrée qui soutiennent avoir été contraints au travail forcé pour la construction de la mine ont le droit de faire valoir des réclamations au Canada contre la société mère canadienne.

Fait à noter, la Cour suprême devra décider si des personnes privées peuvent poursuivre d’autres personnes privées pour la violation alléguée des normes du droit international coutumier (le « DIC »). Le DIC tire sa source des actes des États souverains et des relations qui existent entre ces États. Les tribunaux canadiens ont jusqu’à présent étudié et appliqué le DIC dans un contexte de droit public, et non dans un contexte de droit privé.

La reconnaissance d’un nouveau droit d’action privé fondé sur la violation alléguée du DIC pourrait être une source de préoccupations pour les entreprises canadiennes qui exercent des activités à l’étranger. De par sa nature, le DIC est changeant et quelque peu incertain. Si la Cour suprême décide que les réclamations fondées sur le DIC peuvent aller de l’avant, les multinationales ayant des activités importantes au Canada seront exposées à un risque de responsabilité juridique au regard de normes pouvant être difficiles à cerner et à évaluer. Cette situation pourrait amener des sociétés à quitter le Canada ou sinon à maintenir leur présence au pays mais à quitter les territoires à haut risque où le contexte (notamment politique) pourrait donner lieu à des réclamations de cette nature.

Contexte

En 2014, un groupe de ressortissants de l’Érythrée a introduit une action en Colombie-Britannique contre Nevsun Resources. Les demandeurs y soutiennent qu’en engageant les forces militaires et des sociétés de construction d’État érythréennes pour construire la mine Bisha en Érythrée, Nevsun a facilité, aidé et encouragé le recours au travail forcé, à des crimes contre l’humanité et à d’autres violations des droits de la personne, y a contribué et s’en est fait le complice. Les causes d’action sont notamment fondées sur la violation alléguée du DIC.

Nevsun a présenté une série de requêtes préliminaires, dont une visant à faire rejeter les réclamations pour les motifs suivants :

  • les tribunaux canadiens ne peuvent se prononcer sur la légalité d’actes souverains d’un État étranger commis sur le territoire de cet État, conformément à la doctrine des « actes de gouvernement »;
  • le droit canadien ne reconnaît pas ni ne devrait reconnaître les demandes fondées sur les manquements allégués au DIC.

Historique judiciaire

La Cour suprême de la Colombie-Britannique a refusé de rejeter les réclamations. Reconnaissant que la doctrine des actes de gouvernement fait partie de la common law du Canada, elle a néanmoins jugé qu’il n’y avait pas lieu de l’appliquer au stade d’une requête préliminaire. La Cour est arrivée à cette conclusion pour plusieurs raisons, dont le fait que l’état du droit relatif à cette doctrine est incertain et qu’une « exception d’ordre public » pourrait s’appliquer dans les cas de possible violation grave des droits de la personne. La Cour considérait également que le droit était incertain quant à la possibilité, pour une personne privée, d’intenter des actions en dommages-intérêts fondées sur des manquements allégués au DIC. Pour ces raisons, la Cour n’était pas disposée à déclarer que les réclamations fondées sur le DIC n’avaient aucune chance raisonnable de succès.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé la décision de première instance, mais a conclu que la doctrine des actes de gouvernement ne s’applique pas dans cette affaire. Selon la Cour, pour rendre une décision sur les réclamations, un tribunal canadien n’aurait pas à se prononcer sur la validité ou la légalité d’actes souverains ou de lois de l’Érythrée, car le comportement reproché (s’il est prouvé) serait par nature illégal en vertu tant du droit national que du droit international. La Cour s’est dite d’avis que, quoi qu’il en soit, l’exception d’ordre public s’applique clairement en l’espèce. Pour ce qui est de la question touchant le DIC, la Cour a indiqué que les réclamations des demandeurs risquent de se heurter à des « obstacles juridiques importants », mais qu’ils ne sont pas nécessairement voués à l’échec au procès.

Appel devant la Cour suprême du Canada

Nevsun a demandé et obtenu l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada à l’égard des questions relatives à la doctrine des actes de gouvernement et du DIC. Certains groupes ont été autorisés à intervenir dans le cadre de l’appel. Au nombre des intervenants, on compte l’Association minière du Canada, dont le mémoire porte essentiellement sur la question du DIC.

Davies représente l’Association minière du Canada dans le cadre de ce pourvoi.

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