Bulletin

Les fusions de petite envergure dans la mire du Bureau de la concurrence du Canada

Auteur : Charles Tingley

Le Bureau de la concurrence du Canada s’affaire à repérer et à passer en revue les acquisitions dont la taille fait en sorte qu’elles n’atteignent pas les seuils relatifs aux transactions devant faire l’objet d’un préavis de fusion fixés par la Loi sur la concurrence, mais qui peuvent néanmoins soulever des enjeux importants du point de vue de la concurrence. L’intérêt que montre le Bureau pour l’évaluation des fusions de petite envergure (y compris les transactions n’ayant pas à faire l’objet d’un préavis) s’inscrit dans la ligne de ses pratiques antérieures en matière d’application de la loi et des tendances actuelles en droit de la concurrence. De plus, certains commentateurs au pays et à l’étranger se sont montrés préoccupés par l’acquisition de sociétés innovantes en démarrage par des grandes entreprises technologiques et par la possibilité que de telles transactions puissent empêcher toute concurrence perturbatrice future.

De la parole…

Le Bureau a clairement fait connaître sa nouvelle approche plus rigoureuse en ce qui concerne l’application de la loi aux fusions de petite envergure et/ou n’ayant pas à faire l’objet d’un préavis :

  • En mai de cette année, le commissaire de la concurrence a annoncé que le Bureau avait alloué plus de ressources à l’examen des fusions n’ayant pas à faire l’objet d’un préavis qui sont susceptibles d’être problématiques et qu’il avait mis sur pied pour ce faire l'Unité du renseignement et des avis de fusion (l’ « Unité »). Le commissaire a déclaré que l’Unité avait, après seulement deux mois d’existence, déjà repéré deux transactions qui pourraient soulever des enjeux du point de vue de la concurrence.
  • Plus tôt ce mois-ci, le Bureau a publié un communiqué officiel dans lequel il décrit les responsabilités élargies de l’Unité en matière de collecte d’information sur les transactions n’ayant pas à faire l’objet d’un préavis qui sont susceptibles de soulever des enjeux du point de vue de la concurrence et encourage les parties à de telles transactions à volontairement entrer en communication avec l’Unité bien avant la clôture. Le communiqué du Bureau renferme également un lien vers une page Web qui décrit les responsabilités de l’Unité, lesquelles comprennent aider les parties à interpréter les règles visant à savoir si une transaction doit ou non faire l’objet d’un préavis aux termes de la Loi sur la concurrence.

…aux actes

Le commissaire a rapidement joint le geste à la parole en ce qui concerne l’examen de fusions de petite envergure et la prise de mesures d’application de la loi à leur égard, comme l’illustrent les cas récents suivants :

  • Comme nous le mentionnions dans un bulletin précédent, le commissaire a contesté l’acquisition d’Aucerna par la société de capital-investissement Thoma Bravo réalisée plus tôt cette année au motif que l’acquisition mènerait à un monopole de fait pour la fourniture de logiciels commerciaux spécialisés utilisés par certains producteurs pétroliers et gaziers du Canada. Le commissaire et Thoma Bravo ont ensuite conclu un consentement aux termes duquel Thoma Bravo a convenu de séparer les deux entreprises de logiciels dont les activités se recoupent et de se dessaisir de l’une d’entre elles. Même si le commissaire a récemment clarifié dans un énoncé qu’un avis avait été transmis au Bureau concernant la transaction avant la clôture et que celle-ci avait fait l’objet d’un examen de trois mois (selon l’énoncé du commissaire, les parties ont réalisé la transaction malgré le fait que Bureau les avait informées qu’il avait de sérieuses préoccupations), il convient de noter que la taille du marché pour le logiciel pertinent au Canada est décrite dans les documents déposés par le commissaire comme étant « relativement modeste » compte tenu de ses revenus annuels dans les « dizaines de millions de dollars ».
  • De façon plus générale, le personnel du Bureau assure un suivi auprès des parties à des transactions n’ayant pas à faire l’objet d’un préavis afin de confirmer certains renseignements auprès de celles-ci, et le commissaire a récemment entrepris au moins une enquête formelle sur une fusion n’ayant pas fait l’objet d’un préavis à l’égard de laquelle il a obtenu des ordonnances judiciaires officielles qui obligent les parties à communiquer des documents pertinents.
  • En outre, le Bureau a publié plus tôt au cours du mois un énoncé dans lequel il demande au public de lui communiquer des renseignements concernant de potentiels comportements anticoncurrentiels dans l’économie numérique, dont des « prises de contrôle rampantes » de concurrents réels ou potentiels.

Principaux points à retenir

À la lumière de ce qui précède, les parties à des fusions projetées de toutes tailles doivent évaluer si celles-ci pourraient avoir des effets anticoncurrentiels, même sur de petits marchés ou des marchés de niche au Canada, qu’elles aient ou non à faire l’objet d’un préavis obligatoire. Les parties doivent également se demander s’il y a lieu de solliciter volontairement l’autorisation du commissaire ou se préparer à répondre aux éventuelles questions soulevées par le commissaire avant la clôture ou dans l’année suivant celle-ci ou à faire face à une contestation devant le Tribunal à cet égard.

Pour évaluer la voie à prendre, les parties devraient garder en tête ce qui suit :

  • Bien que disposant de ressources limitées, le Bureau est en mesure de réagir rapidement lorsqu’il s’agit de contester des transactions projetées ou réalisées et d’obtenir une mesure de redressement provisoire, comme l’illustre l’affaire Thoma Bravo/Aucerna, dans laquelle le commissaire a été en mesure de déposer une contestation dans les deux mois qui ont suivi la réponse des parties à une demande de renseignements supplémentaires (et dans les quatre mois suivant la réception d’un avis concernant la transaction).
  • La taille relativement modeste du marché concerné ne permet pas de conclure à un faible niveau de risque en matière de droit de la concurrence – à certains égards, la petite taille du marché peut au contraire entraîner des questions relatives aux seuils d’examen dans le cadre de certaines fusions horizontales, dans la mesure où elle pourrait décourager de futurs concurrents d’entrer sur le marché, ce qui pourrait mener à la conclusion que les barrières à l’entrée et à l’expansion sont relativement élevées. C’est ce qui s’est produit dans l’affaire Thoma Bravo/Aucerna dans laquelle le Bureau a signalé que la petite taille du marché en question avait pour effet de « limite[r] les possibilités pour les entreprises arrivant sur le marché de récupérer les coûts irrécupérables associés au développement et à la commercialisation d’un logiciel de gestion des réserves ».
  • Particulièrement dans le domaine numérique, les cibles d’acquisition exerçant des activités dans des marchés connexes (fusions verticales ou autres) pourraient être perçues par le Bureau comme des concurrents futurs potentiels de l’acheteur et l’on devrait tenir compte des plans d’expansion dans de nouveaux marchés de chacune des parties.
  • Dans le cadre de l’évaluation du risque lié à la concurrence, en plus des analyses habituelles portant sur les chevauchements de marché et les parts de marché, les documents internes qui exposent les raisons de procéder à l’acquisition (notamment les gains en efficience pouvant en découler, qui pourraient servir de fondement à une défense dans le cas d’une fusion qui aurait par ailleurs des effets anticoncurrentiels au Canada) et le positionnement des parties sur le marché devraient également être examinés attentivement.
  • Les coûts qu’entraîneraient une enquête enclenchée en vertu de la Loi sur la concurrence et/ou une contestation devant le Tribunal pourraient être importants.

L’accent accru mis sur l’examen des fusions de petite envergure pourrait par ailleurs inciter le Bureau à proposer des modifications au cadre régissant l’examen des fusions prévu par la Loi sur la concurrence en vue d’accroître sa capacité de détecter les transactions de moindre envergure qui soulèvent des enjeux du point de vue de la concurrence et d’obtenir en temps opportun des mesures de redressement à leur égard. Toutefois, la feuille de route bien garnie du commissaire en matière d’application de la loi à des fusions de petite envergure ou qui n’ont pas à faire l’objet d’un préavis de fusion et l’allocation renouvelée par le Bureau de ressources à ce volet de son mandat laissent entendre que le cadre législatif actuel du Canada ne l’empêche en rien d’examiner les fusions qui ne font pas l’objet d’un préavis et qui sont susceptibles de soulever des enjeux.

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