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La ruée vers l’herbe : le secteur du cannabis poursuit sa lancée

Auteurs : Patricia L. Olasker et Mindy B. Gilbert

Le 17 octobre 2018 marquera l’ouverture du marché du cannabis récréatif canadien, qui sera régi par un ensemble hétérogène de règles fédérales et provinciales. À peine plus de deux mois avant la légalisation, le secteur du cannabis canadien continue d’évoluer et de croître à un rythme sans précédent.

Nous passons en revue les faits récents importants qui se sont produits dans ce secteur depuis notre dernier texte, Engouement pour le cannabis, publié en avril 2018.

L’Ontario lorgne du côté du privé

Sous l’ancien gouvernement libéral de l’Ontario, le cannabis devait être vendu par l’intermédiaire de la Société ontarienne du cannabis, filiale de la Régie des alcools de l'Ontario. Même si 40 magasins devaient être ouverts en 2018, à ce jour, seuls quatre locaux ont été choisis. Les médias rapportent que le nouveau gouvernement progressiste conservateur de l’Ontario pourrait plutôt envisager un modèle de vente au détail privé similaire à celui de l’Alberta. Autre source de confusion : contrairement aux autres provinces, l’Ontario n’a toujours pas annoncé la conclusion d’ententes d’approvisionnement avec des producteurs autorisés. L’approche imminente du 17 octobre et l’absence d’annonce officielle du gouvernement de l’Ontario en laissent plus d’un se demander si le marché du cannabis récréatif en Ontario sera prêt à temps.

Fusions et acquisitions récentes

La vague de consolidation se poursuit dans le secteur du cannabis alors que les producteurs se pressent pour obtenir un avantage concurrentiel avant octobre. En juillet 2018, suivant les efforts de certains actionnaires de MedReleaf Corp. pour assurer la vente de la société, Aurora Cannabis Inc. a acquis celle-ci dans le cadre d’une opération d’une valeur d’environ 3,2 milliards de dollars prévoyant une contrepartie entièrement en actions, ce qui a fait en sorte de regrouper deux des plus grandes sociétés du secteur du cannabis du Canada. Davies a représenté les actionnaires de MedReleaf dans le cadre de cette opération.

Bien que les fusions et acquisitions dans le secteur du cannabis soient principalement motivées par l’accroissement de la capacité de production, les sociétés se sont également concentrées sur l’intégration verticale, cherchant ainsi à étendre leur présence dans le domaine de la vente au détail dans les provinces permettant celle-ci par des détaillants privés. En février 2018, Aurora a acquis une participation de 19,9 % dans Liquor Stores N.A., exploitant de magasins d’alcool de l’Ouest canadien comptant 231 établissements de vente au détail. Adoptant une stratégie semblable, Canopy Growth a annoncé, en juillet 2018, l’acquisition, pour environ 250 millions de dollars, de Hiku Brands Ltd., dont les activités sont concentrées sur la vente au détail et les stratégies de marques. L’acquisition vise à étendre la présence de Canopy dans le domaine de la vente au détail en Alberta, au Manitoba et, éventuellement, en Ontario.

Expansion internationale

Une autre tendance en matière de fusions et acquisitions en 2018 est l’expansion internationale des sociétés du secteur canadien du cannabis qui misent sur la légalisation éventuelle du cannabis à l’échelle mondiale. En 2018, Canopy Growth a étendu ses activités à l’Afrique du Sud, grâce à l’acquisition de Daddy Cann Lesotho, et à l’Amérique latine, grâce à l’acquisition d’une société du secteur colombien du cannabis dont le nom a été changé pour Spectrum Cannabis Colombia. Aphria Inc. a également annoncé son intention d’étendre ses activités à l’Amérique latine et aux Caraïbes au moyen de l’acquisition de sociétés-chefs de file du secteur en Colombie, en Argentine, en Jamaïque et d’un droit de première offre et de premier refus à l’égard du Brésil. Nous nous attendons à ce que les sociétés canadiennes continuent d’accroître leur présence sur les marchés internationaux, plus particulièrement dans des endroits où le climat est plus propice à la culture du cannabis en plein champ, dans l’optique de réduire les coûts de production et d’étendre leurs réseaux de distribution.

Les sociétés spécialisées dans la vente d’alcool entrent dans la danse

Suivant le placement de Constellation Brands dans Canopy Growth en 2017, bon nombre d’observateurs ont émis l’hypothèse que d’autres brasseurs et sociétés spécialisées dans les boissons alcoolisées chercheraient des occasions semblables. Le 1er août 2018, Molson Coors Canada, la division commerciale canadienne de la société du Colorado Molson Coors Brewing Company, a annoncé la formation d’une coentreprise avec The Hydropothecary Corporation visant l’élaboration de boissons non alcoolisées à base de cannabis destinées au marché canadien. Des partenariats de cette nature tombent sous le sens : les brasseurs et sociétés spécialisées dans les boissons alcoolisées disposent d’une expertise en matière de réglementation, d’image de marque et de commercialisation utile aux sociétés du secteur du cannabis qui souhaitent mettre en marché des produits innovateurs. Même si les boissons à base de cannabis ne seront pas initialement licites, nous nous attendons à voir plus de ces partenariats émerger compte tenu des attentes des participants au marché concernant un changement de la loi en 2019 qui permettrait la vente de boissons, de produits comestibles ou d’autres produits dérivés du cannabis.

(Certaines) banques font le saut

Alors que bon nombre de courtiers détenus par des banques continuent de regarder passer la caravane du secteur canadien du cannabis, BMO Marchés des capitaux et Marchés des capitaux CIBC sont entrées dans la mêlée. En 2018, BMO a codirigé cinq financements, dont le récent placement d’obligations de 500 millions de dollars de Canopy Growth et le premier appel public à l’épargne de 153 millions de dollars américains de Tilray Inc. BMO a également conseillé Aurora dans le cadre de l’achat par celle-ci de MedReLeaf et a conseillé Hiku dans le cadre de la vente de celle-ci à Canopy Growth. La Banque de Montréal a également consenti un prêt garanti de 250 millions de dollars à Aurora. En juillet 2018, Marchés des capitaux CIBC a codirigé un financement pour le compte de Canopy Rivers, filiale de Canopy Growth, relativement à la prise de contrôle inversée par Canopy Rivers d’une société inscrite à la cote de la Bourse de croissance TSX. Les banques canadiennes les plus réticentes seront vraisemblablement amenées à participer au secteur au fur et à mesure que leurs clients traditionnels, comme les chaînes d’épiceries, les pharmacies et les sociétés spécialisées dans la vente de boissons, feront leur entrée dans le marché du cannabis en pleine évolution et croissance.

Les émetteurs américains regardent au nord de la frontière, alors que les canadiens regardent au sud

Les sociétés américaines du secteur du cannabis qui exercent des activités dans les États qui ont légalisé le cannabis continuent de faire face à des défis en matière de financement, ce qui a amené plusieurs d’entre elles à s’inscrire à la cote de la Bourse des valeurs canadiennes (la « CSE »). Contrairement à la Bourse de Toronto (la « TSX ») et à la TSXV, la CSE n’empêche pas les émetteurs exerçant des activités dans le secteur du cannabis aux États-Unis d’inscrire et de négocier leurs titres à la bourse. À ce jour, environ 18 émetteurs inscrits à la cote de la CSE exercent des activités dans le secteur du cannabis aux États-Unis, la moitié de ceux-ci s’étant inscrits à la cote de la bourse au cours de 2018. Plus particulièrement, en mai 2018, MedMen Enterprises Inc., cultivateur, producteur et détaillant de cannabis américain exerçant des activités en Californie, au Nevada, en Floride et dans l’État de New York, a commencé à négocier ses titres à la CSE. MedMen a une capitalisation boursière d’environ 125 millions de dollars, ce qui en fait l’une des plus importantes sociétés du secteur du cannabis inscrites à la cote de la CSE.

Bon nombre d’investisseurs américains sont encore réticents à investir dans des sociétés américaines du secteur du cannabis puisque la substance figure toujours sur la liste des narcotiques de l’annexe I (Schedule I Narcotic) de la loi fédérale des États-Unis intitulée Controlled Substances Act. Les occasions de placement étant limitées dans leur propre pays, les investisseurs américains se sont donc tournés vers des placements dans des sociétés canadiennes du secteur du cannabis. En réponse à cette demande élevée, nous avons vu un certain nombre de sociétés canadiennes du secteur du cannabis s’inscrire à la cote de bourses de valeurs américaines. En avril, Cronos Group est devenue la première société canadienne du secteur du cannabis à être inscrite à la cote à la fois de la TSXV et du Nasdaq. Peu après, Canopy Growth, qui est inscrite à la cote de la TSX, est devenue la première société canadienne du secteur du cannabis à inscrire ses titres à la cote de la New York Stock Exchange. Plus récemment, Tilray, producteur autorisé canadien, a réalisé un premier appel public à l’épargne sur le Nasdaq, sans inscrire ses titres à la cote d’une bourse canadienne. Sans doute le choix de ne pas inscrire les titres à la cote d’une bourse canadienne était-il motivé par la demande importante à laquelle on s’attendait de la part d’investisseurs américains.

Frais de réglementation imposés par le fédéral

En juillet 2018, Santé Canada a publié un document de consultation concernant l’approche proposée en matière de recouvrement des coûts liés à la réglementation du cannabis. Le régime de recouvrement des coûts est fondé sur le principe selon lequel le public ne devrait pas avoir à assumer les coûts liés aux activités du gouvernement lorsque ce sont principalement des parties privées qui en tirent profit.

Les frais proposés s'appliqueraient aux cultivateurs, aux transformateurs, aux exploitants de pépinière ainsi qu'aux vendeurs de cannabis autorisés, notamment des frais d’examen des demandes de 3 277 $ par demande et des frais de réglementation annuels équivalents à 2,3 % du revenu tiré du cannabis.

Ces frais supplémentaires seront principalement à la charge des producteurs les plus importants et sont susceptibles d’avoir une incidence sur les marges ou les prix de vente au détail. Ils s’ajoutent à la taxe d’accise qui sera perçue par le gouvernement fédéral au moment de la vente au détail et pourraient nuire à la capacité des producteurs d’offrir des prix concurrentiels par rapport au marché noir.

Stratégies de différenciation des marques

La Loi sur le cannabis limitera de façon importante le recours des producteurs autorisés aux techniques de marketing traditionnelles pour faire connaître leur marque. Des règles concernant les emballages neutres et l’interdiction de présenter des témoignages d’appui restreindront la possibilité pour les producteurs de différencier leurs produits.

Bon nombre de producteurs autorisés ont répondu à l’imposition imminente de règles plus strictes en cherchant à faire connaître leurs marques avant l’entrée en vigueur du cadre réglementaire. Par exemple, en mars 2018, Canopy Growth a commandité un défilé de mode tenu pendant la Semaine de la mode masculine de Toronto au cours duquel des couturiers ont accepté de présenter des pièces confectionnée dans le tissu portant le nom de sa marque. En juin 2018, Aurora a commandité le festival de musique North By Northeast, de Toronto, faisant figurer la marque d’Aurora sur la documentation liée au festival ainsi que dans les principaux lieux où étaient tenus des événements. Certains producteurs autorisés ont également changé leur stratégie afin de respecter les limites imposées par la loi, tout en misant toujours sur une association avec des célébrités. Newstrike Resources Ltd. compte maintenant parmi ses investisseurs les membres du groupe Tragically Hip, alors qu’Invictus MD Strategies a annoncé que le bassiste de KISS, Gene Simmons, s’est joint à la société à titre d’investisseur et de « chef de l’évangélisation ». Les producteurs autorisés font valoir que de tels partenariats ne peuvent être assimilés à des témoignages d’appui pour les produits puisque les célébrités se concentrent sur la promotion des actions de la société à titre de placement et ne font aucune publicité liée aux produits du cannabis.

Exigences liées aux habilitations de sécurité dans le cas des actionnaires de sociétés ouvertes

Aux termes de la législation fédérale sur le cannabis, un plus grand nombre de participants au marché devront obtenir des habilitations de sécurité. Plus particulièrement, les personnes en mesure d’exercer un contrôle direct sur un détenteur de licence seront tenues d’obtenir une telle habilitation, même si le détenteur est une société ouverte. Les lignes directrices de Santé Canada prévoient que la détention de plus de 50 % des droits de vote rattachés à un détenteur de licence sera considérée comme un contrôle direct. De même, si une personne exerce le contrôle sur un détenteur de licence au moyen de la détention d’une « importante quantité d’actions avec droit de vote » ou aux termes des modalités d’une convention de société, elle devra détenir une habilitation de sécurité. Ces exigences pourraient poser quelques difficultés aux investisseurs qui cherchent à acquérir le contrôle d’une société ouverte du secteur du cannabis par voie d’offre publique d’achat hostile.

Information concernant les investisseurs-clés des sociétés fermées

Les sociétés fermées du secteur du cannabis seront tenues de fournir à Santé Canada des renseignements concernant leurs investisseurs-clés. Elles doivent également déposer annuellement auprès du ministre un rapport indiquant (i) la façon dont l’investisseur exerce le contrôle et une description de l’opération par laquelle l’investisseur a investi dans l’entreprise; (ii) une description de chaque circonstance dans laquelle l’investisseur a fourni un apport en argent, en biens ou en services au détenteur de licence, y compris le montant ou la juste valeur marchande d’un tel apport, selon le cas, la date de l’opération, le taux d’intérêt dans le cas d’un prêt et toute autre modalité applicable; et (iii) une description des avantages reçus par l’investisseur-clé.

Un « investisseur-clé » est une personne qui exerce ou qui est en mesure d’exercer, directement ou indirectement, le contrôle sur un détenteur de licence qui est une société fermée pour l’une des raisons suivantes :

  • il lui a fourni, directement ou indirectement, de l’argent, des biens ou des services
  • il détient un titre de participation ou un autre intérêt ou droit dans ou à l’égard de l’entreprise du détenteur de licence.

Les lignes directrices de Santé Canada prévoient que pour évaluer si un investisseur détient le contrôle indirect, les facteurs à prendre en considération comprennent le pourcentage de la participation détenue, la propriété d’une lourde dette qui peut devenir payable sur demande, les modalités d’une convention d’actionnaires, les relations commerciales ou contractuelles de l’organisation, comme la dépendance économique envers un fournisseur ou client unique.

Le cannabis fait son entrée à la faculté de droit

La Osgoode Hall Law School offrira, dès cet automne, un cours sur le droit du cannabis afin de permettre aux étudiants de se familiariser avec ce domaine du droit commercial national et international vaste et en plein essor. Le cours a été bâti par Mindy Gilbert et Patricia Olasker de chez Davies et sera offert par celles-ci.

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