Bulletin

Engouement pour le cannabis

Auteurs : Patricia L. Olasker et Mindy B. Gilbert

Alors que les marchés financiers canadiens ont été volatils en 2017, l’activité entourant le secteur du cannabis canadien a atteint des sommets jusqu’ici inégalés. À l’automne 2017, l’investissement de 245 millions de dollars de Constellation Brands, producteur de bières, de vins et de spiritueux, inscrit à la cote de la NYSE, dans Canopy Growth, société inscrite à la cote de la TSX, a suscité de l’intérêt partout en Amérique de Nord pour le secteur du cannabis canadien.

Depuis l’investissement de Constellation Brands, l’activité des marchés financiers dans le domaine du cannabis est en plein essor. Au cours du premier trimestre de 2018 seulement, les sociétés du secteur du cannabis inscrites à la cote de bourses canadiennes ont levé plus de 1,4 milliard de dollars en capitaux.

Dans un tel contexte, nous avons résumé ci-après certains des faits saillants et des tendances prévues en 2018 dans le secteur du cannabis.

Adoption en deuxième lecture

Après beaucoup de conjectures et de controverses, la loi fédérale intitulée Loi sur le cannabis, qui légalisera l’usage du cannabis à des fins récréatives et en réglementera la culture, la production et la distribution au Canada, a été adoptée à l’issue d’un vote de 44 contre 29, le 22 mars 2018, en deuxième lecture par le Sénat du Canada. Il s’agit d’une étape importante pour le secteur du cannabis canadien puisque plusieurs craignaient que le projet de loi ne déraille devant le Sénat.

À l’heure actuelle, la Loi sur le cannabis est étudiée par cinq comités du Sénat (Peuples autochtones; Affaires juridiques et constitutionnelles; Sécurité nationale et défense; Affaires étrangères et commerce international; et Affaires sociales, sciences et technologie), dans le but qu’elle reçoive la sanction royale d’ici juillet 2018.

La Loi sur le cannabis accorde aux provinces et aux territoires des responsabilités importantes en ce qui concerne le cadre juridique entourant le cannabis récréatif. En conséquence, les provinces et territoires ont demandé qu’il s’écoule un laps de temps suffisant entre le moment de la sanction royale et l’entrée en vigueur de la nouvelle loi pour qu’ils puissent prévoir le transfert ordonné des produits du cannabis qui se trouvent présentement entre les mains de producteurs autorisés par le fédéral à des distributeurs et des détaillants autorisés par les provinces et les territoires. Le gouvernement du Canada a indiqué qu’il était disposé à se plier à cette demande et à prévoir une période de transition de 8 à 12 semaines.

Santé Canada présente un projet de règlement d’application de la Loi sur le cannabis

Un règlement d’application devra être pris pour la mise en œuvre de la Loi sur le cannabis. Le 21 novembre 2017, Santé Canada a publié un document de consultation et a lancé une consultation publique de 60 jours afin de recueillir des commentaires quant à la réglementation à adopter. Santé Canada a reçu 3 218 mémoires en ligne et 450 mémoires sur papier concernant le document de consultation. La plupart des commentaires portaient sur l’emballage et l’étiquetage, les habilitations de sécurité et l’accès des « microcultivateurs » au secteur.

Santé Canada n’a pas l’intention de publier de projet de règlement à l’avance en vue de recueillir les commentaires du public. Une version définitive du règlement sera publiée dès que possible suivant la sanction royale de la loi.

L’« effet Sessions »

En janvier 2018, le secrétaire à la Justice des États-Unis, Jeff Sessions, a révoqué trois notes de service, collectivement appelées les « notes de service Cole », qui avaient été adoptées en août 2013 sous l’administration Obama. Les notes de service Cole marquaient un changement de cap : la priorité du gouvernement ne serait plus accordée à l’application stricte des lois fédérales régissant le cannabis, mais viserait plutôt une approche plus souple face aux États qui avaient adopté des lois visant la légalisation du cannabis, qui avaient élaboré un cadre réglementaire rigoureux et efficace et qui veillaient à son application en ce qui concerne la culture, la distribution, la vente et la possession de cannabis.

Dans les jours qui ont suivi la révocation des notes de service Cole par le secrétaire Sessions, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») ont avisé les participants au marché qu’elles s’interrogeaient quant à savoir si l’approche fondée sur la communication, par les émetteurs, de leurs activités liées au cannabis aux États-Unis, telle qu’énoncée dans un avis des ACVM daté d’octobre 2017, demeurait appropriée dans les circonstances. En février 2018, les ACVM ont donné davantage d’indications quant aux attentes du personnel concernant les émetteurs ayant des activités liées au cannabis aux États-Unis. Dans l’avis de février, les ACVM ont réitéré les directives données en octobre 2017, mais ont posé d’autres obligations de communication, dont l’obligation de quantifier l’exposition du bilan et du compte de résultat opérationnel de l’émetteur à ses activités liées à la marijuana aux États-Unis et l’obligation de l’émetteur d’indiquer s’il a reçu des conseils juridiques relativement au respect des cadres réglementaires étatiques américains.

Ouverture des marchés des capitaux américains

L’effet Sessions n’a pas refroidi l’intérêt des investisseurs américains pour des actions de sociétés du secteur du cannabis. Le 27 février 2018, les actions de Cronos Group ont fait leur entrée au Nasdaq, Cronos Group devenant ainsi la première société canadienne du secteur du cannabis à être inscrite à la cote d’une bourse américaine. Peu après son inscription au Nasdaq, Cronos a annoncé un placement par acquisition ferme transfrontalier de 100 millions de dollars codirigé par GMP Valeurs Mobilières et BMO Marché des capitaux. Il s’agit du tout premier placement transfrontalier d’une société du secteur du cannabis effectué dans le cadre du système d’information multinational adopté par les États-Unis et le Canada et seulement du deuxième appel public à l’épargne dirigé par un courtier appartenant à une banque canadienne.

Compte tenu de l’incertitude réglementaire qui règne aux États-Unis et des obstacles juridiques auxquels font face les sociétés américaines du secteur du cannabis, nous nous attendons à ce qu’un grand nombre d’investisseurs américains continuent de rechercher les occasions de placement que présentent les sociétés canadiennes du secteur du cannabis. En conséquence, nous prévoyons que d’autres sociétés canadiennes du secteur du cannabis inscriront leurs titres à la cote de bourses américaines afin d’avoir facilement accès à des capitaux aux États-Unis.

BMO entre dans la mêlée

De façon générale, le financement du secteur du cannabis canadien a été dominé par les maisons de courtage indépendantes. BMO Marché des capitaux a changé la donne en 2018 en codirigeant les placements par acquisition ferme de Canopy Growth et de Cronos Group. Les autres courtiers appartenant à des banques du Canada, des États-Unis et d’autres pays semblent passer leur tour – pour l’instant. Nous nous attendons à ce que d’autres courtiers appartenant à des banques du Canada, même celles ayant des activités aux États-Unis, entrent dans la mêlée une fois le cannabis récréatif légalisé.

Migration vers le nord?

Compte tenu du flou juridique qui règne aux États-Unis, plusieurs sociétés du secteur du cannabis ayant des activités aux États-Unis ont inscrit leurs titres à la cote de la Bourse des valeurs canadiennes (la « CSE »). Contrairement à la TSX et à la Bourse de croissance TSX, la CSE n’interdit pas aux émetteurs qui exercent des activités liées au cannabis aux États-Unis d’inscrire leurs titres à sa cote aux fins de négociation. En mars 2018, les actions de Cannex Capital Holdings Inc., société du secteur du cannabis située dans l’État de Washington qui déclare être la plus importante de cet État, a été inscrite à la cote de la CSE. Cannex est l’une des 63 sociétés du secteur du cannabis inscrites à la cote de la CSE, parmi lesquelles 14 sociétés exercent des activités aux États-Unis.

Le secteur pharmaceutique veut sa part du gâteau

La course pour obtenir l’autorisation de distribuer des produits du cannabis avant l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis bat son plein. Bon nombre de pharmacies, dont Pharmaprix et Pharmasave, ont déposé une demande en vue d’obtenir une telle autorisation et ont conclu des conventions d’approvisionnement en prévision de la légalisation du marché récréatif. Même si la plupart des cadres de distribution provinciaux prévoient la mise en place de filiales détenues par le gouvernement, des provinces comme l’Alberta et la Colombie-Britannique ont proposé un cadre de vente au détail par le secteur privé, ce qui pourrait être lucratif pour les pharmacies qui exercent des activités dans ces provinces.

La présence de la grande industrie pharmaceutique est aussi une autre tendance de plus en plus marquée. Depuis 2016, CannTrust Holdings Inc. s’est jointe à Apotex Inc. pour mettre au point de nouveaux produits qui rendront l’usage du cannabis à des fins médicales plus convivial pour les patients. En mars 2018, Tilray Inc., société détenue par des intérêts privés, a annoncé une alliance stratégique avec Sandoz Canada Inc., fabricant de médicaments génériques, visant la mise au point et la vente de produits du cannabis thérapeutique portant leurs deux logos.

Nous prévoyons la création d’autres partenariats entre de grandes sociétés pharmaceutiques nationales et internationales et le secteur du cannabis en 2018, alors que les sociétés canadiennes du secteur du cannabis en pleine croissance chercheront à tirer parti de la taille, de la crédibilité et de l’expérience dont disposent les sociétés du secteur pharmaceutique.

Toujours pas sorti du bois

Une bonne dose de scepticisme entoure toujours le secteur du cannabis. Le fait que trois sociétés canadiennes du secteur du cannabis ont été récemment critiquées en raison de la conduite douteuse de leurs initiés n’aide en rien.

En février 2018, Maricann Group Inc., société inscrite à la cote de la CSE, a annoncé, au beau milieu d’un placement public, qu’elle faisait l’objet d’une enquête de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario relativement au moment et à la déclaration d’opérations sur les titres de la société par certains de ses initiés et qu’un comité spécial avait été constitué pour examiner la question. Les preneurs fermes se sont retirés du placement public.

En mars 2018, les commissions des valeurs mobilières de l’Ontario et de la Saskatchewan, dans les motifs publiés en lien avec l’offre publique d’achat hostile d’Aurora Cannabis Inc. visant CanniMed Therapeutics Inc., ont critiqué la divulgation de renseignements importants qui n’étaient pas connus du public à l’initiateur de l’offre hostile par certains administrateurs de CanniMed. La divulgation en question a donné lieu à un recours de droit privé. Toutefois, celui-ci a été abandonné quand Aurora et CanniMed en sont venues à une entente amicale.

Également en mars 2018, un fonds spéculatif des États-Unis a exprimé ses préoccupations face à l’acquisition alors projetée de Nuuvera Inc. par Aphria Inc. Il a ensuite été rapporté dans les médias que ni l’une ni l’autre des deux sociétés n’avait informé les actionnaires appelés à voter sur l’opération proposée que certains initiés d’Aphria détenaient des actions de la société cible. La communication de cette information aurait été obligatoire si l’opération avait été réalisée au moyen d’une offre publique d’achat, mais elle ne faisait pas partie de l’information à communiquer dans le type de circulaire de sollicitation de procurations utilisé dans le cadre de l’acquisition. Cette omission en a laissé plusieurs perplexes, qui se sont demandés si l’information n’aurait pas tout de même dû être communiquée.

Pétard mouillé?

En mars 2018, un tribunal allemand a mis fin au processus d’appel d’offres lancé par le gouvernement concernant 10 licences de culture liées à des contrats d’approvisionnement à long terme visant 6 600 kilogrammes de marijuana thérapeutique au motif que le délai accordé pour y répondre était trop court. Un certain nombre de sociétés canadiennes avaient été présélectionnées dans le cadre du processus, dont Aphria, MedReleaf Corp. et Canopy Growth. Même si les producteurs peuvent entre-temps continuer d’exporter du cannabis thérapeutique vers le marché allemand, l’incidence prévue de ce retard dans le processus de sélection des soumissionnaires a entraîné la chute des cibles de prix pour un certain nombre de sociétés canadiennes du secteur du cannabis.

L’article-vedette du magazine Barron’s du 30 mars 2018 a aussi porté un autre coup au marché du cannabis canadien. Barron’s a lancé un avertissement sérieux voulant que les actions des sociétés canadiennes du secteur du cannabis étaient surévaluées, notant au passage que « les personnes qui investissent en ce moment paient, de fait, 15 fois les flux de trésorerie que le secteur générera dans cinq ans. » L’article a également soulevé des préoccupations en ce qui concerne les prévisions de prix, émettant l’hypothèse que la croissance rapide de la capacité de production des 94 producteurs autorisés du Canada pouvait entraîner une offre excédentaire et, ce faisant, une chute des prix. En outre, l’article laisse entendre que les utilisateurs de cannabis récréatifs ne seront pas prêts à payer des prix plus élevés pour les grandes marques. Cette nouvelle et la décision récente du tribunal allemand nous font nous demander si l’engouement pour le cannabis ne s’étiolera pas en 2018 et ne sera pas remplacé par des attentes plus réalistes.

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