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La Cour d’appel de l’Ontario clarifie la compétence des tribunaux à l’égard des actions en responsabilité pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire

Auteurs : Matthew Milne-Smith, Christie Campbell et Galen Lambert

La Cour d’appel de l’Ontario a rendu une importante décision concernant la compétence des tribunaux de l’Ontario à l’égard des actions en responsabilité pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières de cette province. Dans un jugement unanime prononcé le 11 juillet 2018 dans Yip v HSBC Holdings plc, la Cour a suspendu un recours collectif au motif qu’il n’existait aucun lien réel et substantiel avec l’Ontario malgré la présence dans cette province du demandeur proposé. Cette décision est importante, car elle restreint la compétence des tribunaux de l’Ontario à l’égard des défendeurs étrangers dont les actions sont négociées par des Canadiens.

Les deux principales conclusions de la Cour d’appel sont les suivantes :

  • L’Ontario n’est pas un « ressort universel » en matière d’actions en responsabilité pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire. Au contraire, la Cour fermera la porte aux actions dont le seul lien avec l’Ontario se résume à l’achat d’un titre par un résident de cette province ou au fait que de l’information sur l’émetteur destinée aux investisseurs est disponible au Canada.
  • Le ressort le plus approprié pour les actions en responsabilité pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire correspond le plus souvent à celui où se trouvent la ou les bourses de valeurs où sont négociés les titres.

Contexte

M. Yip, un actionnaire résidant en Ontario, a intenté une action collective en responsabilité pour présentation inexacte des faits fondée sur la législation et la common law contre HSBC Holdings plc. M. Yip soutenait que HSBC Holdings avait manqué à ses obligations d’information en ne faisant pas état de son non-respect des lois contre le blanchiment d’argent et le financement d’activités terroristes, ainsi que de sa participation alléguée à un stratagème illicite visant à manipuler les taux d’intérêt de référence internationaux. M. Yip soutenait également que lui-même et d’autres actionnaires avaient été trompés par l’information communiquée par HSBC Holdings dans ses documents publics et avaient subi un préjudice d’environ 7 milliards de dollars américains.

HSBC Holdings est la société de portefeuille britannique qui est à la tête d’un conglomérat international d’institutions bancaires. HSBC Holdings (par l’intermédiaire de filiales) a des bureaux dans 67 pays et des actionnaires dans 129 pays, dont le Canada dans les deux cas. Cependant, les actions de HSBC Holdings n’ont jamais été négociées ni inscrites à une bourse canadienne, de sorte que M. Yip a utilisé l’ordinateur se trouvant à sa résidence de Markham, en Ontario, pour acheter des actions de HSBC Holdings à la bourse de Hong Kong, au moyen d’un compte de banque de Hong Kong. M. Yip a également eu accès aux documents d’information publics de HSBC Holdings par l’intermédiaire du site web de cette dernière et non en consultant le site web de sa filiale canadienne.

Les requêtes relatives à la compétence

En première instance, HSBC Holdings a présenté une requête en irrecevabilité ou en suspension de l’action intentée par M. Yip au motif que le tribunal de l’Ontario n’avait pas compétence pour instruire l’affaire ou, subsidiairement, que l’Ontario n’était pas le forum qui convenait à l’instruction de cette action. M. Yip a quant à lui présenté au même moment une requête demandant que HSBC Holdings soit déclarée émetteur responsable en application de l’article 138.1 de la Loi sur les valeurs mobilières.

M. le juge Perell a donné raison à HSBC Holdings et déclaré la suspension de l’action. Il est également arrivé à la conclusion que HSBC Holdings n’était pas un « émetteur responsable » au sens de l’article 138.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario, pour cause d’absence de « lien réel et substantiel. »

L'appel

Les prétentions de M. Yip en appel étaient les suivantes :

  1. Un critère de compétence distinct du critère du lien réel et substantiel doit être établi pour les actions en responsabilité pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières.
  2. M. le juge Perell a commis une erreur en déclarant que HSBC Holdings n’avait pas de lien réel et substantiel avec l’Ontario.
  3. M. le juge Perell a commis une erreur en déclarant que l’Ontario était forum non conveniens, car il a accordé trop d’importance au lieu de l’opération sur titre.

La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté chacun de ces arguments et confirmé la suspension de l’action déclarée par le juge Perell.

La définition d’émetteur responsable

La Cour a déclaré que le critère du lien réel et substantiel de la common law s’applique aux fins de déterminer si un émetteur non assujetti est un « émetteur responsable » aux termes de la Loi sur les valeurs mobilières.

Après avoir rappelé l’historique législatif et judiciaire de la Loi sur les valeurs mobilières, la Cour est arrivée à la conclusion que le législateur avait fait le choix délibéré d’utiliser le critère du lien réel et substantiel de la common law dans la définition « d’émetteur responsable » non assujetti applicable aux dispositions relatives à la présentation inexacte des faits de la Loi sur les valeurs mobilières et qu’il ne cherchait pas à introduire dans celle-ci un critère différent du critère de common law. En conséquence, la Cour a rejeté l’argument de M. Yip voulant qu’un émetteur responsable « sait ou devrait savoir que de l’information destinée aux investisseurs est mise à la disposition des investisseurs canadiens. »

Par ailleurs, la Cour a noté que le législateur ne souhaitait pas faire de l’Ontario un ressort universel pour les actions en responsabilité pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire, ce que sous-entendait le critère proposé par M. Yip, et a rejeté la définition d’émetteur responsable que proposait ce dernier aux fins de l’article 138.1 de la Loi sur les valeurs mobilières.

L’application adéquate du critère de common law

La Cour d’appel a confirmé la décision du juge Perell selon laquelle HSBC Holdings n’avait pas de lien réel et substantiel avec l’Ontario et ne constituait donc pas un émetteur responsable aux fins de l’article 138.1 de la Loi sur les valeurs mobilières.

En appel, M. Yip a soutenu que HSBC Holdings exerçait des activités au Canada puisqu’elle devait se conformer à la réglementation bancaire du Canada prise en application de la Loi sur les banques et que sa filiale, HSBC Canada, exerçait des activités en Ontario.

La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté ces arguments et a plutôt fait siennes les conclusions du juge Perell voulant que l’entreprise de HSBC Holdings est distincte de celle de ses filiales et comporte la gestion d’une « entreprise mondiale regroupant un ensemble de banques exerçant sous une bannière commune ». Par conséquent, il a été décidé que HSBC Holdings n’exerce pas d’activités en Ontario.

Enfin, la Cour s’est ralliée à l’avis du juge Perell voulant que l’Ontario ne constituait pas le forum le plus adéquat et qu’il serait préférable d’instruire l’affaire en Angleterre (lieu du siège de HSBC Holdings) ou à Hong Kong (lieu de la bourse de valeurs où les titres sont négociés).

Conclusion

La décision de la Cour dans l’affaire Yip contribuera à mieux définir les circonstances dans lesquelles une action en responsabilité pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire peut être intentée contre un émetteur étranger non assujetti en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières. Elle marque un tournant favorable dans l’évolution du droit et devrait freiner l’introduction d’actions qui n’ont qu’un lien ténu avec cette province. Le fait d’avoir un actionnaire en Ontario et de donner accès à de l’information publique par voie électronique ne suffit pas à fonder une action en responsabilité pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire contre un émetteur lorsqu’il n’existe aucun autre lien avec l’Ontario.

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