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Le fédéral obtient le feu vert pour la création d’un organisme national de réglementation des valeurs mobilières

Auteurs : Luis Sarabia et Alisa McMaster

La Cour suprême du Canada (la « CSC ») a rendu une décision unanime concernant deux renvois du gouvernement du Québec et a conclu que la deuxième tentative du gouvernement fédéral visant à créer un organisme national de réglementation des valeurs mobilières est constitutionnelle.

Points saillants

  1. Le régime coopératif pancanadien proposé n’entrave pas indûment la souveraineté législative des provinces en matière de réglementation des valeurs mobilières dans la province.
  2. Le régime coopératif pancanadien proposé ne comporte pas de délégation inacceptable du pouvoir de légiférer des provinces.
  3. L’ébauche de loi fédérale intitulée Loi sur la stabilité des marchés des capitaux est constitutionnelle puisqu’elle a pour caractère véritable d’endiguer le risque systémique touchant les marchés des capitaux partout au Canada, ce qui relève de la compétence fédérale en matière de trafic et de commerce conférée par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Organisme coopératif de réglementation des marchés des capitaux proposé

En 2011, la CSC a conclu que la Loi sur les valeurs mobilières proposée par le gouvernement fédéral constituait un exercice invalide du pouvoir du gouvernement fédéral de réglementer le trafic et le commerce au Canada. Toutefois, la Cour avait laissé entendre qu’un cadre réglementaire fédéral auquel les provinces seraient libres d’adhérer pourrait être constitutionnel.

Prenant bonne note du conseil de la CSC, le gouvernement fédéral et les gouvernements de l’Ontario, de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, du Nouveau-Brunswick, de l’Île-du-Prince-Édouard et du Yukon ont conclu un Protocole d’accord concernant le régime coopératif de réglementation des marchés des capitaux en vue de la création d’un organisme coopératif national de réglementation des valeurs mobilières (le « régime coopératif »). Le Québec et l’Alberta n’ont pas adhéré au régime coopératif.

Le régime coopératif comporte quatre éléments :

  1. un organisme national de réglementation des valeurs mobilières appelé l’Organisme de réglementation des marchés des capitaux (l’« ORMC »)
  2. la Loi sur les marchés des capitaux (la « loi provinciale type »), soit une loi uniforme pour chacune des administrations provinciales et territoriales dont l’application est confiée à l’ORMC. La loi provinciale type traiterait des aspects courants liés à la réglementation des valeurs mobilières. Chaque province participante adopterait une loi qui correspondrait à la loi provinciale type
  3. la Loi sur la stabilité des marchés des capitaux (l’« ébauche de loi fédérale »), soit une loi fédérale complémentaire qui vise à endiguer le risque systémique susceptible d’avoir une incidence sur l’économie canadienne
  4. le fonctionnement de l’ORMC et de son conseil d’administration est sous la supervision d’un conseil des ministres formés de membres issus du cabinet de chaque province participante et du ministre des Finances fédéral. Le conseil des ministres est chargé de proposer des modifications à la loi provinciale type.

Cour d’appel du Québec

Par renvoi, le gouvernement du Québec a posé deux questions à la Cour d’appel du Québec concernant la constitutionnalité du régime coopératif.

  1. La Constitution du Canada autorise-t-elle la mise en place d’une réglementation pancanadienne des valeurs mobilières sous la gouverne d’un organisme unique selon le modèle prévu par la plus récente publication du Protocole d’accord concernant le régime coopératif de réglementation des marchés des capitaux?
  2. La plus récente version de l’ébauche de la loi fédérale intitulée Loi sur la stabilité des marchés des capitaux excède-t-elle la compétence du Parlement du Canada sur le commerce selon le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867?

La majorité des juges de la Cour d’appel a répondu par la négative aux deux questions. La Cour a conclu que le régime coopératif était inconstitutionnel parce qu’il causait une entrave indue au pouvoir législatif des provinces. En ce qui concerne la deuxième question, la majorité a conclu que l’ébauche de loi fédérale relevait de la compétence du gouvernement fédéral qui lui est conférée en matière de trafic et de commerce, sauf en ce qui concerne les dispositions qui décrivent le rôle du Conseil des ministres pour ce qui est de l’élaboration de la réglementation fédérale.

Cour suprême du Canada

Le procureur général du Canada en a appelé de la décision de la Cour d’appel du Québec en ce qui concerne les deux questions; le procureur général de la Colombie-Britannique en a appelé de la décision en ce qui concerne la première question; et le procureur général du Québec a porté le jugement en appel en ce qui concerne la deuxième question.

Le régime coopératif n’entrave pas la souveraineté législative provinciale

Dans sa décision rendue le 9 novembre 2018, la CSC ne s’est pas rangée à l’avis de la Cour d’appel du Québec et a conclu que le régime coopératif n’entrave pas indûment la souveraineté des provinces pour les trois raisons suivantes :

  1. Le régime coopératif prévoit clairement que le Conseil des ministres n’a pas le pouvoir de modifier unilatéralement la législation relative aux valeurs mobilières des provinces et que les provinces conservent le pouvoir de modifier celle-ci.
  2. Même si le régime coopératif avait pour objectif d’entraver le droit des législatures provinciales d’adopter, de modifier et d’abroger leurs lois relatives aux valeurs mobilières, il serait tout simplement inopérant à cet égard en raison du principe de la souveraineté parlementaire. La souveraineté parlementaire rend inopérant (mais non anticonstitutionnel) un accord de l’exécutif qui lie une législature provinciale.
  3. Le régime coopératif ne comporte pas de délégation inacceptable du pouvoir de légiférer. Il ne permet pas au Conseil des ministres de court-circuiter les législatures provinciales en vue de mettre des lois en œuvre. Les législatures provinciales doivent approuver la mise en œuvre de la loi provinciale type, ainsi que toute modification apportée à celle-ci.

L’ébauche de loi fédérale relève de la compétence du fédéral

En ayant recours au cadre d’analyse en deux étapes applicable au contrôle d’une loi dans notre système fédéraliste, la CSC a conclu que l’ébauche de loi fédérale relève du volet général de la compétence du Parlement fédéral en matière de trafic et de commerce conférée par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.

  1. À la première étape, la Cour a déterminé que le caractère véritable de l’ébauche de loi fédérale consistait à endiguer le risque systémique susceptible d’avoir des conséquences négatives importantes sur l’économie canadienne et à promouvoir la stabilité des marchés des capitaux canadiens. L’ébauche de loi fédérale ne vise clairement pas à remplacer les lois provinciales et territoriales sur les valeurs mobilières. Elle a plutôt été conçue de manière à compléter ces lois en s’attaquant aux objectifs économiques considérés comme de nature nationale.
  2. À la deuxième étape, la Cour a conclu que, bien que les provinces aient le pouvoir de légiférer en matière de risque systémique pour leurs propres marchés des capitaux, elles ne peuvent le faire que d’un point de vue local, alors que l’ébauche de loi fédérale porte sur des enjeux économiques d’une importance et d’une portée véritablement nationales qui transcendent les frontières des provinces. La gestion du risque systémique dans les marchés de capitaux canadiens relève de la compétence du Parlement fédéral en matière de trafic et de commerce conférée par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.

En outre, la Cour s’est penchée précisément sur la constitutionnalité de certaines dispositions de l’ébauche de loi fédérale qui permettent au gouvernement fédéral de déléguer le pouvoir de prendre des règlements à l’ORMC, sous la supervision du Conseil des ministres. La Cour a statué que ces dispositions sont constitutionnelles puisqu’elles relèvent du large pouvoir dont jouissent les législatures de déléguer des pouvoirs administratifs.

Ce qui nous attend

Même si le Canada est le dernier pays du G20 à établir un organisme national de réglementation des valeurs mobilières, la décision de la CSC risque de susciter la controverse étant donné la résistance que certaines provinces affichent à cet égard.

Suivant l’adoption du régime coopératif, le défi sera certainement de parvenir à un consensus à l’égard du large éventail de questions qui se poseront. Nous pouvons nous attendre à une période d’adaptation alors que le régime coopératif élaborera les nouvelles règles visant à simplifier la réglementation en vigueur partout au Canada.

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