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Les ACVM se penchent sur les ententes avec des courtiers démarcheurs dans le contexte de courses aux procurations et d’opérations structurelles et sollicitent des commentaires à leur égard

Auteurs : Gilles R. Comeau, Steven M. Harris et Jennifer F. Longhurst

Le 12 avril 2018, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») ont publié l’Avis de consultation 61-303 du personnel des ACVM – Ententes avec des courtiers démarcheurs (l’ « avis ») dans lequel le personnel décrit les questions que suscite le recours à des ententes avec des courtiers démarcheurs dans le contexte de courses aux procurations et d’opérations structurelles. Les ACVM sollicitent des commentaires généraux et posent également des questions précises dans l’avis afin de mieux comprendre ces ententes et d’évaluer si des orientations ou des règles supplémentaires à l’égard de celles-ci seraient appropriées.

Contexte des ententes avec des courtiers démarcheurs

Une entente avec des courtiers démarcheurs s’entend généralement d’une entente conclue avec un ou plusieurs courtiers en placement inscrits aux termes de laquelle les courtiers reçoivent une rémunération pour chaque titre à l’égard duquel ils ont sollicité avec succès des porteurs aux fins suivantes : i) le vote relativement à une question nécessitant l’approbation des porteurs de titres; ou ii) le dépôt de titres dans le cadre d’une offre publique d’achat. Ces ententes peuvent également être utilisées pour inciter les courtiers à communiquer avec les porteurs de titres pour les encourager à participer à un placement de droits ou à exercer des droits de rachat ou de conversion de titres, ou autrement dans le cadre d’opérations structurelles afin que soit atteint le quorum requis pour la modification de documents touchant les droits des porteurs.

Le recours aux ententes avec des courtiers démarcheurs est passablement répandu, et a créé peu de remous par le passé, dans le cadre d’opérations de fusions et d’acquisitions effectuées au moyen d’offres publiques d’achat ou de plans d’arrangement. Dans de tels cas, les courtiers démarcheurs se voient habituellement verser une commission par l’acquéreur pour les titres déposés en réponse à l’offre ou dont les droits de vote sont exercés en faveur de l’arrangement

Les ententes avec des courtiers démarcheurs ont toutefois été mises sous les feux de la rampe en 2013 lorsque, pour contrer une course aux procurations menée par JANA Partners LLC, Agrium Inc. a eu recours à la stratégie controversée de payer des courtiers afin que ceux-ci lui apportent leur concours pour faire élire sa liste de candidats au poste d’administrateur. Dans le cadre de cette course, Agrium a convenu de verser une commission à des courtiers démarcheurs pour chaque action dont les droits de vote étaient exercés en faveur de l’élection de ses candidats, sous réserve de certains montants minimaux et maximaux, et à condition que tous les candidats proposés par Agrium soient élus. Les actionnaires institutionnels, les organismes de surveillance de la gouvernance et les médias ont sévèrement critiqué Agrium pour avoir eu recours à cette tactique.

Après la levée de boucliers entourant la course aux procurations visant Agrium, on s’attendait à ce que la pratique consistant à payer des courtiers démarcheurs pour obtenir des votes « en faveur » des candidats de la direction dans le cadre d’élections contestées soit abandonnée. Toutefois, en 2017, Liquor Stores N.A. Ltd. y a eu recours elle aussi dans le cadre de la course aux procurations menée par PointNorth Capital Inc. Comme l’actionnariat de Liquor Stores était composé de nombreux actionnaires individuels étant des propriétaires véritables opposés, les agents de sollicitation de procurations ne pouvaient pas communiquer avec eux. Soi-disant dans le but de joindre ces actionnaires sous prétexte de la « démocratie actionnariale » ainsi que pour convaincre les investisseurs de soutenir les candidats proposés par la direction de Liquor Stores, cette dernière a convenu de verser à des courtiers démarcheurs une commission pour chaque action dont les droits de vote seraient exercés en faveur de ses candidats, à condition que l’ensemble de ceux-ci soient élus. PointNorth a porté la question devant l’Alberta Securities Commission (l’ « ASC ») et lui a demandé de rendre une ordonnance mettant fin à une telle entente, en faisant valoir, entre autres, que le fait pour le conseil de Liquor Stores d’utiliser des fonds de la société pour acheter des votes en vue de la réélection de candidats déjà en poste constituait une violation de ses obligations fiduciaires. Suivant une audience, l’ASC a refusé d’intervenir au motif que les ententes avec des courtiers démarcheurs ne sont pas expressément proscrites par les lois applicables et que la pratique n’est pas clairement abusive pour les marchés financiers. Malgré cette conclusion, l’opposition qu’a soulevé l’entente de Liquor Stores avec des courtiers démarcheurs a eu pour effet d’effriter le soutien des agences de conseil en vote et des investisseurs institutionnels pour les candidats de Liquor Stores, et PointNorth a, en fin de compte, réussi à faire élire ses six candidats au conseil de Liquor Stores.

Avis des ACVM et les enjeux et questions soulevés par celui-ci

Dans l’avis, le personnel des ACVM indique que les ententes avec des courtiers démarcheurs soulèvent des questions en matière de réglementation des valeurs mobilières tant pour les émetteurs qui mettent en œuvre ces ententes que pour les courtiers qui y participent. Plus précisément, les ententes avec des courtiers démarcheurs soulèvent des questions d’intérêt public concernant l’intégrité du processus de dépôt et de l’exercice du droit de vote des porteurs de titres, notamment en ce qu’elles pourraient être utilisées par un émetteur pour maintenir en place son conseil ou sa direction.

En outre, les ententes avec des courtiers démarcheurs soulèvent des questions aux termes des règles de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (l’ « OCRCVM ») qui concernent la capacité des courtiers de gérer efficacement les conflits d’intérêts éventuels qui peuvent découler de la réception de commissions pour avoir sollicité des votes ou des dépôts. Les courtiers qui participent à des ententes avec des courtiers démarcheurs doivent également s’assurer de ne pas contrevenir aux règles en matière de sollicitation de procurations de la législation en valeurs mobilières qui, de façon générale, interdisent à toute personne de solliciter des procurations sans avoir envoyé aux porteurs une circulaire de sollicitation de procurations, sous réserve de certaines dispenses assorties d’exigences rigoureuses qui doivent être respectées si on souhaite s’en prévaloir.

En plus de solliciter des commentaires généraux sur les ententes avec des courtiers démarcheurs, le personnel des ACVM souhaite également obtenir des commentaires sur des questions précises qui figurent dans l’avis, notamment en ce qui concerne les sujets suivants :

  • les circonstances dans lesquelles les ententes avec des courtiers démarcheurs sont les plus souvent utilisées et les principales raisons d’en conclure;
  • les opérations particulières qui suscitent plus ou moins de préoccupations en ce qui concerne le recours à des ententes avec des courtiers démarcheurs (par exemple, les offres publiques d’achat, les autres opérations de fusions et d’acquisitions, les courses aux procurations, etc.);
  • le caractère approprié de verser une rémunération dans le cadre d’ententes avec des courtiers démarcheurs uniquement pour les voix exprimées « en faveur » des recommandations de la direction et l’opportunité de distinguer les courses aux procurations des autres opérations à cet égard;
  • la possibilité de gérer efficacement les conflits d’intérêts éventuels des courtiers en placement qui découlent de telles ententes, et les mesures devant être prises pour assurer leur gestion efficace;
  • la façon dont les courtiers qui participent à des ententes avec des courtiers démarcheurs doivent s’y prendre pour assurer le respect des règles en matière de sollicitation de procurations;
  • les circonstances dans lesquelles il serait contraire à l’intérêt public ou incompatible avec les obligations fiduciaires des administrateurs de conclure une entente avec des courtiers démarcheurs ou de retenir les services d’une entreprise de sollicitation de procurations;
  • les communications et l’information devant être envoyées aux porteurs de titres à l’égard des ententes avec des courtiers démarcheurs.

Les commentaires concernant l’avis doivent parvenir aux ACVM au plus tard le 11 juin 2018.

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