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L’étau se resserre : entrée en vigueur imminente du droit privé d’action

La majeure partie des dispositions de la Loi canadienne anti-pourriel, communément appelée la « LCAP », est entrée en vigueur le 1er juillet 2014. Cette loi, qui établit des règles strictes concernant un large éventail de comportements en ligne et qui est considérée comme l’une des lois anti-pourriel les plus sévères au monde, prévoit des sanctions administratives pécuniaires pouvant atteindre 1 million de dollars dans le cas d’une personne physique et 10 millions de dollars dans le cas de toute autre personne. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le Bureau de la concurrence et le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada veillent conjointement à l’application de la LCAP. Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, les poursuites intentées par les autorités de réglementation et les engagements (une sorte de règlement volontaire permettant d’empêcher d’autres poursuites éventuelles) contractés par les défendeurs ont mené à des sanctions administratives pécuniaires ou à des règlements d’un montant variant entre 15 mille dollars et 1,1 million de dollars. Le 1er juillet 2017, les enjeux seront haussés d’un cran si, tel que prévu, les articles 47 à 51, de même que l’article 55, de la LCAP entrent en vigueur. L’article 47(1) prévoit un droit privé d’action pour toute personne touchée par les actes suivants :

  • l’envoi de messages électroniques commerciaux non sollicités (article 6, LCAP);
  • la modification non autorisée des données de transmission d’un message électronique (article 7, LCAP);
  • l’installation non autorisée d’un programme d’ordinateur dans l’ordinateur d’une autre personne (article 8, LCAP);
  • le fait de demander à quelqu’un d’accomplir, même indirectement, les actes mentionnés ci-dessus, ou d’aider ou d’encourager quiconque à accomplir de tels actes (section 9, LCAP);
  • l’accomplissement d’un acte qui constitue une contravention à l’interdiction de collecter des adresses électroniques à l’aide de programmes informatiques prévue dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (la « LPRPDE »);
  • la collecte de renseignements personnels par suite d’un accès non autorisé à des systèmes informatiques, de l’utilisation non autorisée de tels systèmes ou d’une entrave à de tels systèmes en vertu de la LPRPDE;
  • l’envoi ou le fait de demander à quelqu’un d’envoyer des indications fausses ou trompeuses dans un message électronique (article 74.011 de la Loi sur la concurrence). (Voir « Ouvrez l’œil (sur ce courriel) : nouveau droit privé d’action pour indications trompeuses ».)

En vertu de l’article 52 de la LCAP, les dirigeants et les administrateurs d’une personne morale peuvent être tenus personnellement responsables des actes contraires à la LCAP mentionnés ci-dessus s’ils les ont ordonnés ou autorisés, ou y ont consenti ou participé. De plus, en vertu de l’article 53 de la LCAP, les employeurs sont responsables des actes de leurs employés posés dans le cadre de leur emploi. La nouveauté ne réside pas dans les infractions prévues par la LCAP ni dans les sanctions administratives pécuniaires qui peuvent en découler puisque celles-ci sont en vigueur depuis 2014 (ou depuis le 1er janvier 2015, dans certains cas), mais bien dans le droit privé d’action qui, à compter du 1er juillet 2017, permettra aux personnes physiques qui estiment avoir été touchées par un comportement contraire à la LCAP d’intenter une poursuite à l’encontre de la personne morale fautive et de ses administrateurs, droit de poursuite qui était auparavant réservé aux autorités de réglementation, ainsi que dans l’entrée en vigueur de l’article 55, qui prévoit qu’en cas de pluralité de défendeurs, la responsabilité qui découle du comportement contraire à la LCAP est solidaire.

En vertu du droit privé d’action, le demandeur pourrait avoir droit à des dommages-intérêts compensatoires correspondant à une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’il a subis ou des dépenses qu’il a engagées, ainsi qu’à des dommages-intérêts non compensatoires ou à des dommages-intérêts prévus par la loi. Ainsi, en vertu de la LCAP, le demandeur pourrait avoir droit à une somme de 200 dollars à l’égard de chaque contravention ayant trait à un message électronique commercial, jusqu’à concurrence de 1 million de dollars par jour, et à une somme de 1 million de dollars par jour à l’égard de chaque contravention ayant trait à l’interdiction de modifier les données de transmission d’un message (piratage des données de transmission), à l’installation d’un programme informatique dans l’ordinateur d’une autre personne, aux téléchargements non autorisés de données informatiques, à la collecte d’adresses courriel et à la collecte non autorisée de renseignements personnels, ainsi qu’à l’égard de comportements susceptibles d’examen en vertu de la Loi sur la concurrence qui découlent d’indications fausses ou trompeuses contenues dans des messages électroniques. Cette possibilité d’obtenir des dommages-intérêts prévus par la loi, qu’elles aient ou non réellement subi une perte, incitera vraisemblablement certaines personnes physiques à se prévaloir, à titre personnel ou à titre de membre d’un recours collectif (ce qui est plus probable), du droit privé d’action que confère la LCAP lorsqu’elles estiment avoir été touchées par une contravention à la LCAP qui donne ouverture à l’octroi de dommages-intérêts. Selon l’article 51(2) de la LCAP, l’octroi de dommages-intérêts prévus par la loi vise non pas à punir, mais plutôt à favoriser le respect de cette loi. Il sera donc intéressant de voir si le droit privé d’action et les dommages-intérêts prévus par la loi favoriseront le respect de la LCAP en incitant les défendeurs à contracter des engagements auprès de l’autorité de réglementation compétente ou s’ils ouvriront grand la voie à une pléthore de recours collectifs qui allégeront d’autant le fardeau réglementaire des autorités de réglementation. Il est toutefois utile de noter l’interaction entre les dispositions de la LCAP portant sur le règlement volontaire et les engagements, et celles portant sur le droit privé d’action. En effet, si un défendeur contracte un engagement auprès de l’autorité de réglementation chargée de l’application de la LCAP, il ne peut être assujetti aux dommages-intérêts prévus par la loi. Il peut cependant faire l’objet d’une poursuite intentée par des personnes souhaitant être indemnisées pour les pertes ou les dommages qu’elles ont réellement subis.

Les défendeurs qui font l’objet d’une poursuite découlant d’une contravention alléguée à la LCAP disposent de certains moyens de défense et peuvent invoquer certains arguments prévus par la LCAP pour atténuer le montant des dommages-intérêts qu’ils pourraient être tenus de verser. Le meilleur moyen de se protéger pour les entreprises qui pourraient faire l’objet d’une poursuite par une autorité de réglementation ou par une personne physique en vertu du droit privé d’action que confère la LCAP est de ne pas attendre que les tribunaux déterminent la portée des dispositions visées par la LCAP, mais plutôt de revoir leurs pratiques et de s’assurer que celles-ci sont conformes à la LCAP et aux dispositions connexes de la LPRPDE et de la Loi sur la concurrence.

Parmi les commentaires qu’elles ont transmis au gouvernement, l’Association du Barreau canadien et d’autres associations professionnelles ont suggéré d’attendre la fin du processus d’examen législatif de la LCAP avant de mettre en vigueur les dispositions relatives au droit privé d’action. Jusqu’à présent, rien n’indique si le gouvernement est disposé ou non à envisager le report de l’entrée en vigueur de ces dispositions.

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