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Des propositions fiscales visent les propriétaires canadiens d’entreprises

Auteurs : Elie Roth, Marie-Emmanuelle Vaillancourt et Raj Juneja

Même si les particuliers canadiens comptent déjà parmi les contribuables les plus imposés au monde, le gouvernement fédéral du Canada a publié, le 18 juillet 2017, un document de consultation renfermant des propositions qui auraient pour effet d’augmenter de façon importante l’impôt payé par les Canadiens qui exploitent une entreprise au moyen d’une société. La proposition ayant la plus grande incidence vise à imposer, au taux combiné de 73 %, le revenu passif d’une société privée qui a été financé au moyen du revenu provenant d’une entreprise exploitée activement. D’autres propositions dans le document de consultation pourraient également avoir des conséquences importantes pour un grand nombre de propriétaires canadiens d’entreprises (un résumé de ces autres propositions peut être consulté ici).

Les Canadiens comptent déjà parmi les contribuables les plus imposés au monde

En Ontario, le taux d’imposition marginal pour la tranche de revenu qui est supérieure à 220 000 $ avoisine les 54 %. Il y a six ans, le taux d’imposition marginal le plus élevé en Ontario était de 46,41 %. En 2012, le gouvernement de l’Ontario a annoncé une nouvelle tranche d’imposition visant à imposer le revenu supérieur à 500 000 $ à un taux de 49,53 % dès 2014. Au moment de cette annonce, le gouvernement de l’Ontario a déclaré que la nouvelle tranche d’imposition était mise en place temporairement à titre de « tranche d'imposition pour les revenus élevés en vue de réduire le déficit » s’appliquant aux particuliers ayant un revenu supérieur à 500 000 $ annuellement et qu’elle serait éliminée au plus tard en 2017-2018.

Par la suite, le gouvernement de l’Ontario a abaissé ce seuil de 500 000 $, faisant ainsi en sorte que le taux d’imposition marginal le plus élevé de 49,53 % s’applique à la tranche de revenu qui est supérieure à 220 000 $, et il n’a plus été question d’impôt temporaire. Par ailleurs, le gouvernement fédéral canadien nouvellement élu a annoncé, en décembre 2015, que le taux d’imposition marginal le plus élevé visant la tranche de revenu supérieure à 200 000 $ augmenterait de 4 % à compter de 2016. En conséquence, un résident de l’Ontario dont le revenu dépasse 220 000 $ paie maintenant un impôt sur le revenu de 53,53 %. Des augmentations semblables ont également été vues dans d’autres provinces canadiennes. Au Québec, par exemple, le taux d’imposition marginal est passé de 48,22 % à 53,31 % au cours de la même période et, en Alberta, il est passé de 39 % à 48 % entre 2015 et 2016.

Quand on jette un coup d’œil aux taux d’imposition dans le reste du monde, on constate que seule une poignée de pays a des taux d’imposition comparables, notamment l’Autriche (dont le taux marginal est de 55 %) et la Finlande (dont le taux marginal est de 54 %). Les pays qui comptent parmi les partenaires commerciaux les plus importants du Canada ont des taux d’imposition beaucoup moins élevés. Dans un rapport de l’Institut Fraser publié en 2016 et intitulé Canada’s Rising Personal Tax Rates and Falling Tax Competitiveness, il est indiqué que même avant les hausses d’impôt récentes au Canada « [TRADUCTION] les taux d’imposition marginaux fédéraux et provinciaux les plus élevés du pays font piètre figure par rapport à ceux des États-Unis et d’autres pays industrialisés ». Le rapport indique également que « [TRADUCTION] le taux d’imposition du Canada en 2016 est 19 % plus élevé que le taux le plus élevé au Royaume-Uni en 2014 et 15,7 % plus élevé que le taux le plus élevé aux États-Unis ». En plus d’être comparativement excessifs, les taux d’imposition les plus élevés du Canada s’appliquent généralement à des seuils de revenu beaucoup plus faible que les taux d’imposition les plus élevés des autres juridictions et bon nombre de ces autres juridictions permettent aux conjoints de produire des déclarations de revenus conjointes ou haussent les seuils de revenu donnant lieu à l’application des taux d’imposition élevés dans le cas des personnes mariées.

Le rapport de l’Institut Fraser souligne également que les augmentations des taux d’imposition ne produisent, en règle générale, pas l’effet escompté par les gouvernements en termes d’augmentation des recettes fiscales. Il est fort possible que les augmentations récentes des taux d’imposition des particuliers annoncées par le gouvernement fédéral n’aient pas donné lieu à la hausse attendue de revenu (elles pourraient même avoir entraîné une baisse de revenu), ce qui pourrait bien expliquer les propositions fiscales récentes concernant les sociétés privées.

Proposition visant à faire passer à 73 % l’impôt sur le revenu passif

Le taux d’imposition des sociétés qui s’applique au revenu provenant d’une entreprise exploitée activement par une société est considérablement moins élevé que le taux d’imposition des particuliers. Lorsque la société distribue sous forme de dividendes ses gains à ses actionnaires qui sont des particuliers, les actionnaires paient l’impôt des particuliers, de sorte que l’impôt des sociétés et des particuliers combiné équivaut approximativement à l’impôt que l’actionnaire aurait payé s’il avait gagné le revenu directement.

Si la société réinvestit le revenu qu’elle tire d’une entreprise exploitée activement, le paiement de l’impôt des particuliers est retardé jusqu’au moment où le revenu en question est finalement distribué aux actionnaires qui sont des particuliers. Si le revenu est réinvesti dans des actifs passifs par la société, cette dernière paie un impôt additionnel remboursable sur les gains tirés des actifs passifs, de sorte que le total de l’impôt versé par la société est approximativement équivalent à l’impôt qui serait payé si les actionnaires qui sont des particuliers gagnaient le revenu passif directement. L’impôt additionnel remboursable est remboursé à la société au moment où celle-ci verse des dividendes imposables à ses actionnaires.

Une des propositions du gouvernement consiste à faire en sorte que l’impôt additionnel remboursable payé par une société ne soit plus remboursable, ce qui ferait passer l’impôt total payé par une société et les actionnaires qui sont des particuliers à 73 %. En présence d’un tel taux d’imposition punitif, il est clair que la proposition du gouvernement vise à faire en sorte que les Canadiens qui exploitent activement une entreprise au moyen d’une société privée n’utilisent plus le revenu qui en est tiré pour effectuer des placements passifs.

La politique fiscale qui sous-tend le système actuel vise à encourager le réinvestissement tandis que celle qui sous-tend la nouvelle proposition semble vouloir décourager la personne qui exploite une entreprise au moyen d’une société de réinvestir les gains tirés de son entreprise dans des actifs passifs (c'est-à-dire, une personne qui exploite une entreprise devrait être imposée au même taux que la personne qui est un salarié avant de pouvoir utiliser les gains tirés de cette entreprise pour les réinvestir dans des actifs passifs ― ce qui comprend des actions de sociétés qui exploitent la même entreprise que la société ou une entreprise semblable).

Or, la prémisse de la nouvelle proposition voulant qu’il ne soit pas nécessaire pour une société d’investir les bénéfices tirés d’une entreprise exploitée activement dans des actifs passifs de la société est fausse; il y a souvent une très bonne raison commerciale derrière une telle décision. Comme on peut le constater en se penchant sur les entreprises qui ont connu une forte croissance, un bas de laine peut être nécessaire pour protéger l’entreprise contre les fluctuations économiques, lui permettre de faire des acquisitions ou maintenir sa notation de crédit auprès des prêteurs.

En formulant les propositions qui font l’objet de la consultation, le gouvernement n’a également pas tenu compte du fait que les propriétaires d’entreprises risquent, en règle générale, d’importantes sommes en capital dans leur entreprise. Le fait d’avoir à payer un impôt des particuliers excessif sur le revenu tiré d’une entreprise exploitée activement par une société avant de pouvoir réinvestir celui-ci réduira considérablement le capital dont les propriétaires d’entreprises disposeront pour réinvestir et limitera vraisemblablement les risques qu’ils seront prêts à prendre à l’égard de leurs placements, étant donné les risques auxquels leur capital est déjà exposé et les sommes considérablement moindres dont ils disposeront pour réinvestir.

Bon nombre de salariés ont des options sur actions, des droits à la plus-value d’actions, des unités d’actions fictives, des régimes de retraite ou des régimes complémentaires qui leur procurent une rémunération différée et qui, dans certains cas, bénéficient de taux d’imposition préférentiels. Les propriétaires d’entreprises ne peuvent pas profiter de ce type de rémunération différée et n’ont habituellement pas payé d’assurance ou d’autres avantages, comme l’assurance médicale et invalidité. Au fil des ans, les gouvernements provinciaux ont modifié la législation et la réglementation précisément aux fins de permettre aux médecins et aux autres professionnels d’exercer leurs activités au moyen d’une société. Cette décision a vraisemblablement été prise au motif que ces professionnels sont des propriétaires de petites entreprises qui, de façon générale, assument des risques considérables à l’égard du capital qu’ils ont investi dans leur entreprise et n’ont pas droit à d’autres formes de rémunération différée ou d’avantages.

Le système actuel a pour but d’encourager les entrepreneurs à prendre des risques et à réinvestir dans l’économie, ce qui stimule l’innovation et la croissance de l’économie au profit de l’ensemble des Canadiens. La proposition du gouvernement constitue un changement fondamental en matière de politique fiscale qui nuit aux propriétaires canadiens d’entreprises et possiblement à l’ensemble de l’économie canadienne puisqu’elle pourrait être un frein au réinvestissement et inciter les propriétaires d’entreprises à quitter le Canada.

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