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Placements dans le secteur du cannabis : considérations importantes

Auteurs : Patricia L. Olasker, Mindy B. Gilbert et Russell Hall

Depuis l’investissement de 245 millions de dollars du producteur de bières, de vins et de spiritueux Constellation Brands, inscrit à la cote de la NYSE, dans Canopy Growth, inscrite à la cote de la TSX, l’industrie canadienne du cannabis retient l’attention un peu partout en Amérique du Nord. Le 30 octobre 2017, l’annonce de cette prise de participation d’environ 9,9 % a fait bondir le cours de l’action de Canopy Growth de 23 %. Cette envolée du cours a eu des retombées positives pour les quatre autres sociétés de ce secteur inscrites à la cote de la TSX et stimulé l’activité sur les marchés des capitaux :

  • Aphria Inc. a déposé un prospectus en vue d’un placement de titres de 92 millions de dollars le 1er novembre.
  • MedReleaf Corp. a annoncé un placement initial et un reclassement par voie de prise ferme d’un montant maximal de 110 millions de dollars le 14 novembre.
  • Aurora Cannabis a annoncé, le 14 novembre, une offre non sollicitée sur CanniMed Therapeutics représentant une prime déclarée de 74,7 % par rapport au cours moyen pondéré en fonction du volume pour une période de 20 jours.
  • CanniMed Therapeutics Inc. a annoncé, le 17 novembre, l’acquisition projetée de Newstrike Resources Ltd., qui est la société mère d’un producteur de cannabis autorisé et dont les actions sont inscrites à la cote de la TSX-V.

Compte tenu de ces événements et de la légalisation prévue de l’usage du cannabis à des fins récréatives au Canada en juillet 2018, les investisseurs, preneurs fermes et prêteurs qui se tenaient jadis à l’écart de ce secteur d’activité en raison des risques liés à la réputation et des risques d’ordre juridique auxquels celui-ci les exposait tendent maintenant à réexaminer leur position. Ce faisant, ils devraient s’attarder aux points suivants :

Activités ou placements aux États-Unis : Risque lié à la radiation de la cote de la TSX 
Le 16 octobre 2017, le personnel de la TSX a publié un avis dans lequel il mettait les émetteurs de l’industrie du cannabis en garde contre le risque d’être radiés de la cote de la TSX si leurs activités commerciales courantes violaient la loi fédérale des États-Unis concernant la culture, la distribution ou la possession de cannabis. En bref, un contrôle diligent doit être mené pour confirmer qu’aucune partie des activités de l’émetteur liées au cannabis ne touchent les États-Unis, même dans les États où ces activités sont légales.

Sources de financement limitées
Puisqu’il s’agit d’un secteur qui, de par sa nature, exige un apport important en capitaux, l’accès à du financement est crucial pour les producteurs de cannabis. À ce jour, les entreprises de ce secteur ont eu un accès limité au financement bancaire traditionnel et ont plutôt misé sur des formes alternatives de financement, comme les ententes de vente à terme et des appels publics à l’épargne et placements privés de moindre envergure effectués sans le soutien de maisons de courtage mondiales.

Rappels de produits et actions collectives fondées sur la responsabilité du fait du produit
Les producteurs de cannabis ont été visés par des rappels de produits pour diverses raisons, notamment un défaut du produit, comme la contamination, des effets secondaires nuisibles non intentionnels ou des interactions avec d’autres substances, comme les pesticides, la sécurité offerte par l’emballage et l’information inadéquate ou inexacte sur l’emballage. Les rappels peuvent entraîner des actions collectives fondées sur la responsabilité du fait du produit et nuire considérablement à la réputation ou à la situation financière d’un producteur. Selon Santé Canada, il y a eu 9 rappels liés au cannabis à des fins médicales en 2017. À ce jour, deux actions collectives liées à ces rappels de produit ont fait l’objet d’une annonce publique.

Saisie d’actifs par le gouvernement
La Loi sur le cannabis que le gouvernement fédéral se propose d’adopter accorde d’importants pouvoirs de perquisition et de saisie en ce qui concerne les biens dont il est raisonnable de croire qu’ils sont liés à une contravention à la loi; dans certains cas, la loi accorde même un pouvoir de confiscation de biens, notamment des terrains et des immeubles, où sont menées des activités illégales. Le créancier qui détient une sûreté sur le bien saisi ou confisqué pourrait conserver celle-ci s’il peut prouver qu’il n’était pas complice et qu’il avait pris toutes les mesures raisonnables pour s’assurer que le bien n’allait vraisemblablement pas servir à la perpétration d’un acte illicite.

Protection de la propriété intellectuelle liée aux plants de cannabis
Même s’il n’est généralement pas possible de breveter une plante au Canada, il pourrait être possible de protéger les nouvelles variétés de cannabis en vertu de la Loi sur la protection des obtentions végétales. Dans un secteur d’activité où la possibilité d’associer une marque à un produit est limitée, la protection de variétés exclusives de cannabis pourrait constituer un important facteur de différenciation entre les producteurs.

Responsabilité des administrateurs et dirigeants
Aux termes de la Loi sur le cannabis, les administrateurs, dirigeants et mandataires d’une société sont considérés comme étant les coauteurs de toute violation de nature autre que pénale de la Loi sur le cannabis qu’ils ont autorisée ou à laquelle ils ont consenti, qu’ils aient ou non perpétré celle-ci. Même si les principes de la common law s’appliquent à l’égard de la Loi sur le cannabis, une défense fondée sur la prise de toutes les précautions voulues pour empêcher la violation est expressément exclue. Ces violations, qui comprennent le non-respect des restrictions liées à la promotion, à l’emballage et à l’étiquetage, peuvent donner lieu à des sanctions administratives pécuniaires pouvant atteindre 1 million de dollars pour chaque violation.

Absence d’uniformité de la réglementation provinciale
Les gouvernements provinciaux étant chargés d’adopter leurs propres systèmes de distribution et de vente de cannabis, il en résultera un manque d’harmonisation de la réglementation qui devrait entraîner des frais plus élevés liés à la conformité. De façon générale, les législateurs provinciaux envisagent deux modèles de distribution : i) un monopole d’État, soit les modèles proposés par le Québec et l’Ontario; et ii) un modèle hybride aux termes duquel une entité gouvernementale supervise la distribution effectuée par des détaillants autorisés du secteur privé, soit les modèles proposés par l’Alberta et le Manitoba.

Concurrence du marché noir
Le marché du cannabis récréatif continuera à subir la concurrence du marché noir. Les distributeurs provinciaux de cannabis récréatif devront s’assurer d’offrir un prix concurrentiel par rapport à celui des produits vendus sur le marché noir. En outre, le réseau de distribution provincial devra être suffisamment accessible aux consommateurs pour être en mesure de déloger le réseau tentaculaire du marché noir.

Monopole d’État pour la distribution de cannabis en Ontario et au Québec
La Loi sur le cannabis de 2017 de l’Ontario et la Loi encadrant le cannabis du Québec proposent un modèle de distribution aux termes duquel le cannabis est distribué par l’intermédiaire d’une société d’État, comme c’est le cas pour l’alcool qui est distribué par la Société des alcools au Québec. L’encadrement de la distribution et la fixation des prix par le gouvernement pourraient réduire considérablement les marges des producteurs de cannabis, ce qui aurait pour effet de nuire à la compétitivité des petits producteurs et à la compétitivité de l’ensemble des producteurs par rapport au marché noir.

Incidence de la taxation fédérale et provinciale
Le 10 novembre, le gouvernement fédéral a annoncé une proposition de cadre du droit d’accise selon laquelle le taux de taxation du cannabis récréatif ne devrait pas dépasser le plus élevé des montants suivants, à savoir 1 $ par gramme ou 10 % du prix de vente. Aux termes de ce régime, les recettes fiscales seraient partagées à parts égales entre le gouvernement fédéral et celui des provinces. La Loi sur le cannabis permet aux provinces de prendre leurs propres décisions en ce qui a trait à la fixation des prix et à la taxation, et l’Alberta et le Québec se sont déjà prononcées contre le partage des recettes fiscales proposé par le fédéral. La taxation aura une incidence considérable sur le prix de vente final du cannabis et sur la rentabilité du marché du cannabis récréatif.

Restrictions liées à l’association d’une marque
La Loi sur le cannabis imposera d’importantes restrictions liées à la commercialisation et à la promotion des produits du cannabis ainsi qu’à l’association d’une marque à ceux-ci. Ces restrictions feront en sorte qu’il sera difficile pour les producteurs de différencier leurs produits. Le prix deviendra donc le principal outil de concurrence des producteurs.

Fiabilité des estimations portant sur la taille du marché
Les estimations concernant la taille du marché sont principalement fondées sur une étude de Deloitte menée en 2016 qui projetait un marché de détail de base se situant entre 4,9 et 8,7 milliards de dollars annuellement pour le cannabis récréatif.1 Ces estimations pourraient ne pas suffisamment tenir compte du fait que le marché noir sera toujours présent et qu’il existe un chevauchement entre les marchés du cannabis médicinal et récréatif.

Succès d’une expansion à l’international
À l’heure actuelle, le marché américain, qui présenterait l’occasion d’expansion internationale la plus logique pour les producteurs autorisés de cannabis, est fermé. Les producteurs qui veulent étendre leurs activités doivent donc chercher à conclure des partenariats internationaux. Plusieurs producteurs canadiens ont déjà étendu leurs activités dans des territoires où l’usage du cannabis à des fins médicales est réglementé, dont l’Allemagne et l’Australie. À mesure que d’autres pays adopteront des règlements pour l’usage du cannabis, tant à des fins médicales que récréatives, les participants du secteur verront les occasions d’affaires internationales se multiplier et devront faire face aux défis que présente habituellement une expansion internationale, à savoir trouver les bons partenaires, engager les coûts liés à la poursuite d’activités à distance et gérer la conformité aux lois locales.

Contraintes liées à la capacité de production
Selon les projections de Deloitte, plus de 600 000 kg de cannabis seraient nécessaires pour répondre à la demande prévue du marché récréatif.2 En comparaison, environ 20 000 kg de cannabis à des fins médicales ont été vendus par les producteurs autorisés au cours de l’exercice 2016.3 Avec les 74 producteurs autorisés qu’elle compte à ce jour, l’industrie du cannabis récréatif pourrait peiner à répondre adéquatement à la demande, ce qui pourrait faire monter les coûts en flèche, les producteurs se hâtant d’accroître leur capacité de production.4

Marché extérieur limité
Les producteurs ne peuvent se tourner vers les marchés extérieurs pour accroître leurs ventes de cannabis récréatif. Le cannabis ne peut être exporté à l’extérieur du Canada qu’à des fins médicales ou scientifiques, ce qui veut dire que la totalité des ventes de cannabis récréatif proviendra uniquement du marché intérieur.

Barrières à l’entrée
Les longues formalités de demande de permis et les coûts élevés liés à l’établissement d’installations de production font que l’entrée dans le secteur du cannabis exige beaucoup de temps et des capitaux importants. De plus, l’accès aux sources de financement traditionnelles est limité. Ces barrières importantes à l’entrée dans le secteur confèrent aux producteurs autorisés déjà établis un avantage concurrentiel important en ce qui concerne les occasions offertes par le marché du cannabis récréatif.

Risque de nature juridique aux États-Unis
Le cannabis demeure un stupéfiant figurant à l’Annexe 1 de la loi fédérale des États-Unis intitulée Controlled Substances Act même si 29 États ont réglementé sous une forme ou une autre l’usage du cannabis.5 En conséquence, tout revenu tiré d’activités liées au cannabis aux États-Unis est considéré comme un produit de la criminalité. Les bailleurs de fonds des sociétés de cannabis canadiennes devront procéder à des contrôles diligents suffisants pour s’assurer que ces sociétés ne tirent pas de profits d’activités liées au cannabis aux États-Unis.

Conclusion

Malgré les risques susmentionnés et les incertitudes inhérentes à ce nouveau secteur d’activité dont la réglementation n’est pas encore fixée, l’intérêt des investisseurs, des prêteurs et des preneurs fermes traditionnels pour les occasions qu’il présente est manifeste. Toutefois, ces investisseurs, prêteurs et preneurs fermes devront procéder à des contrôles diligents rigoureux et s’assurer que les émetteurs sont dotés de programmes de conformité sans faille (ce qu’ils font pour d’autres entreprises et secteurs d’activité comportant des risques) pour que l’industrie du cannabis trouve sa place dans le secteur traditionnel des placements.

1 Deloitte, « Recreational Marijuana Insights and Opportunities » (2016), (en anglais).

2 Ibid.

3 Santé Canada, « Données sur le marché » (9 novembre 2017), en ligne.

4 Santé Canada, « Producteurs de cannabis à des fins médicales autorisés approuvés » (9 novembre 2017), en ligne.

5 « 29 Legal Medical Marijuana States and DC » (13 novembre 2017), en ligne et disponible en anglais seulement.

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