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Concurrence et examen de l’investissement étranger au Canada : grandes tendances et questions à suivre en 2017

Auteurs : John Bodrug, Charles Tingley, Jim Dinning, George N. Addy et David Feldman

Dans nos prévisions annuelles de l’année à venir en matière de droit canadien de la concurrence et de l’examen de l’investissement étranger, nous évaluons comment les événements de 2016 influenceront ces domaines du droit en 2017. Nous traitons ci-après des grandes questions et tendances à suivre au cours de l’année qui commence.

Libéralisation du régime canadien d’examen de l’investissement étranger

En 2016, le gouvernement canadien a manifesté son intérêt pour la libéralisation du régime canadien d’examen de l’investissement étranger. En 2017, nous suivrons l’évolution de trois sujets d’intérêt.

Premièrement, il y aura un relèvement important du seuil de déclenchement de l’examen selon le critère de l’« avantage net » applicable à la plupart des acquisitions directes du contrôle d’entreprises canadiennes par des investisseurs OMC aux termes de la Loi sur Investissement Canada. À l’heure actuelle, de telles acquisitions du contrôle font généralement l’objet d’un examen préalable à la clôture si la valeur d’affaire de l’entreprise canadienne est supérieure à 600 millions de dollars. Si aucune modification à cet égard n’est apportée à la Loi sur Investissement Canada, ce seuil sera haussé et passera à 800 millions de dollars le 24 avril 2017, puis à un milliard de dollars en 2019. Toutefois, dans son Énoncé économique de l’automne 2016 et dans un récent communiqué, le gouvernement fédéral a indiqué qu’il hausserait le seuil à un milliard de dollars en 2017, soit deux ans plus tôt que prévu. La législation nécessaire à la mise en oeuvre ede ce changement n’a pas encore été adoptée, mais lorsqu’elle l’aura été, elle servira à réduire encore davantage le nombre d’acquisitions étrangères soumises à un examen selon le critère de l’avantage net et pourrait être perçue comme créant un climat plus propice aux investissements étrangers au Canada.

Deuxièmement, les Lignes directrices sur l’examen relatif à la sécurité nationale des investissements (les « lignes directrices sur l’examen relatif à la sécurité nationale ») tant attendues seront enfin publiées. Le processus d’examen relatif à la sécurité nationale prévu dans la Loi sur Investissement Canada est critiqué pour son manque de transparence depuis sa création en 2007, surtout en raison du large éventail d’opérations auxquelles il peut être appliqué. Autre fait notable, la Loi sur Investissement Canada ne définit pas ce qui constitue un intérêt pour la sécurité nationale ni ne précise ce qui pourrait porter atteinte à un tel intérêt. Les lignes directrices sur l’examen relatif à la sécurité nationale nouvellement publiées tentent de répondre à ces critiques en donnant une liste non exhaustive de neuf facteurs que le gouvernement prendra en considération dans l’évaluation des risques que présente pour la sécurité nationale un projet d’investissement par un non-Canadien. En outre, elles contiennent également des recommandations sur l’exécution du processus d’examen relatif à la sécurité nationale. De plus, le gouvernement prévoit modifier la Loi sur Investissement Canada pour exiger un rapport annuel sur l’application des dispositions en matière de sécurité nationale, ce qui devrait aider à accroître la transparence du processus d’examen. On ne sait pas encore si la publication des lignes directrices sur l’examen relatif à la sécurité nationale aboutira à la certitude pratique accrue espérée par le milieu des affaires, mais elle constitue certes une étape encourageante vers une plus grande transparence dans ce domaine. Les changements prévus pourraient bien émerger dans le prochain budget fédéral.

Troisièmement, dans un même ordre d’idées, vers la fin de 2016, le gouvernement a convenu d’abroger un décret ordonnant le dessaisissement de l’entreprise acquise pris par l’ancien gouvernement conservateur contre un investisseur chinois, O-Net Communications Holdings Limited, aux termes des dispositions relatives à la sécurité nationale de la Loi sur Investissement Canada et de revoir la position du gouvernement à l’égard de cette acquisition. Le décret a été abrogé le 9 janvier 2017. Même si le gouvernement libéral pourrait en fin de compte décider d’ordonner à nouveau le dessaisissement par décret, il y a lieu de penser qu’il y regardera à deux fois avant de le faire compte tenu de sa volonté apparente d’accroître la transparence du processus.

Veuillez vous reporter à nos publications pour obtenir des détails concernant le contexte de la hausse du seuil de déclenchement de l’examen selon le critère de l’avantage net et la publication des Lignes directrices sur l’examen relatif à la sécurité nationale ou pour obtenir plus d’information sur l’affaire O-Net.

Nouvelles orientations et jurisprudence en matière d’abus de position dominante

L’année 2017 sera vraisemblablement une année faste pour la jurisprudence canadienne en matière d’abus de position dominante. Le recours intenté par le commissaire de la concurrence (le « commissaire ») contre le Toronto Real Estate Board (le « TREB »), dont il a été question dans nos dernières prévisions annuelles, pourrait finalement approcher de son dénouement. En décembre 2016, la Cour d’appel fédérale a entendu l’appel interjeté par le TREB de la décision concernant un nouvel examen rendue par le Tribunal de la concurrence (le « Tribunal ») en avril 2016, et une décision devrait être rendue en 2017. Le recours intenté récemment par le commissaire contre l’Administration de l’aéroport de Vancouver (l’« AAV »), qui porte sur des questions de droit semblables, devrait entrer en processus de médiation et pourrait être entendu vers la fin de 2017. (Voir notre analyse de l’affaire après les décisions de la Cour d’appel fédérale et de la Cour suprême.)

Il sera particulièrement intéressant de connaître l’issue de la saga avec le TREB puisque la décision de première instance établit qu’une personne n’a pas besoin d’être un concurrent sur un marché donné pour avoir une position dominante dans ce marché et en abuser. Peu importe la décision que la Cour d’appel fédérale rendra dans le recours contre le TREB en 2017, ses conclusions de 2014 selon lesquelles les dispositions en matière d’abus de position dominante peuvent s’appliquer aux conduites qui touchent un marché dans lequel l’entité dominante n’est pas elle-même un concurrent élargissent sensiblement la portée des dispositions en matière d’abus de position dominante. Ces conclusions pourraient ouvrir la voie à des recours contre des personnes qui occupent des positions dominantes sur des marchés en amont ou en aval connexes, y compris les associations commerciales et autres « contrôleurs d’accès » qui ne sont pas des participants directs sur un marché donné, mais qui exercent une influence sur la concurrence sur ce marché. Nous nous attendons à ce que le commissaire continue en 2017 de tester la portée des dispositions en matière d’abus de position dominante.

Le recours contre l’AAV, dans le cadre duquel le commissaire soutient que l’AAV abuse de sa position dominante sur le marché des services de restauration en vol à l’aéroport de Vancouver, est un exemple de cas d’abus de position dominante qui va dans le même sens que la décision rendue en 2014 par la Cour d’appel dans le recours contre le TREB. Le Bureau allègue que l’AAV, société sans but lucratif chargée de gérer et d’exploiter l’Aéroport international de Vancouver, empêche sans justification suffisante de nouveaux fournisseurs d’offrir des services de restauration en vol à l’aéroport, même si l’AAV n’offre pas elle-même ce genre de services. En outre, le Bureau remet en question la politique de l’AAV d’imposer comme condition aux fournisseurs qui souhaitent offrir des services de restauration en vol de louer du terrain à l’AAV. L’AAV allègue que comme elle agit conformément au mandat qui lui est conféré par la loi, elle n’est pas assujettie à la Loi sur la concurrence. Elle maintient qu’elle doit être libre de réglementer ces services à son gré pour assurer le bon fonctionnement de l’aéroport. Ces questions juridiques ont d’importantes conséquences non seulement pour d’autres services accessoires reliés à l’aéroport, comme les services de taxis ou d’autocars, mais également pour la gestion d’autres infrastructures commerciales importantes comme les installations portuaires. Par ailleurs, cette affaire pourrait influencer le gouvernement fédéral dans son examen en cours du Rapport Emerson sur la privatisation de certains aéroports canadiens.

Mesures d’application ciblant les secteurs d’innovation et l’économie numérique

Dans nos prévisions annuelles précédentes, nous avions prédit que le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») accorderait une attention plus particulière à l’économie numérique et à d’autres secteurs d’innovation. Le Bureau a intenté, réglé ou poursuivi presque autant de recours visant des mesures d’application de la loi au cours du semestre clos le 30 septembre 2016 qu’au cours de toute l’année précédente. Plusieurs signes laissent présager que l’économie numérique demeurera au coeur rdes priorités du Bureau en 2017.

En mai 2016, le Bureau a lancé sa première étude de marché sur la technologie financière, c’est-à-dire l’innovation technologique dans le secteur des services financiers. Cette étude porte sur des produits tels que les services bancaires entre pairs, les portefeuilles électroniques, le financement participatif et les « robots-conseillers ». (Elle n’inclut pas les crypto-monnaies comme le Bitcoin.) L’étude, dont les résultats sont censés être publiés au printemps 2017, explorera l’impact concurrentiel de la technologie financière sur le secteur, les entraves à l’accès aux nouveaux concurrents et le besoin possible d’une réforme réglementaire pour promouvoir une plus grande concurrence tout en maintenant la confiance des consommateurs dans le secteur. Selon les résultats, le Bureau pourrait y donner suite en produisant un livre blanc ou un autre document de prise de position démontrant comment la réglementation et son élaboration pourraient aider à favoriser une concurrence juste et novatrice dans le secteur des services financiers.

Le Bureau devrait continuer d’apporter une attention particulière aux problèmes d’abus de position dominante sur les marchés innovants en 2017, surtout avec l’émergence des données comme composantes concurrentielles importantes des produits et des services. En avril 2016, le Bureau a mis fin à son enquête sur les allégations selon lesquelles Google Inc. se serait livrée à un comportement contraire aux dispositions sur l’abus de position dominante de la Loi sur la concurrence. Au cours de l’enquête, le Bureau a évalué la capacité des entreprises de se servir des données et des effets de réseau pour obtenir une position dominante sur un marché. Bien que la décision du Tribunal dans le recours contre le TREB susmentionné soit actuellement en appel, elle renforce l’opinion du commissaire voulant que les restrictions à l’accès et l’utilisation de données puissent constituer un abus de position dominante.

De manière générale, les entreprises actives dans des secteurs hautement innovants devraient demeurer soucieuses des implications de la législation en matière de concurrence en 2017, même si elles exercent leurs activités dans des secteurs très concurrentiels. Le Bureau a été encouragé par la position adoptée par le Tribunal en 2016 dans le recours contre le TREB selon laquelle la concurrence peut être sensiblement empêchée ou diminuée, même dans un marché très concurrentiel et innovant. Comme l’a exprimé le Bureau dans un récent communiqué concernant la fin de son enquête visant les méthodes de distribution des appareils iPhone d’Apple : « à titre de principe général, le dynamisme et le caractère novateur d’un marché n’empêchent pas la conclusion selon laquelle une conduite a nui à la concurrence, en ce sens qu’un marché peut être plus concurrentiel en son absence ».

Déceler le truquage des offres : une priorité

Étant donné que le gouvernement canadien continue de promouvoir des projets d’infrastructure partout au pays, le Bureau devrait continuer de s’intéresser au truquage des offres en 2017, ce qui pourrait donner lieu à des enquêtes très médiatisées ou à l’expérimentation de nouveaux outils d’enquête.

Dans son plan annuel 2016-2017, le Bureau a fait part de son intention d’« augmenter la sensibilisation au sein du milieu de l’approvisionnement et parmi les soumissionnaires potentiels à propos du truquage des offres relatif aux dépenses d’infrastructure, compte tenu de l’accroissement des investissements du secteur public » et d’utiliser des mécanismes novateurs de filtrage des données pour déceler les éventuels truquages d’offres.

Il est probable que le Bureau continuera de collaborer avec Services publics et Approvisionnement Canada (« SPAC ») au « projet pilote de vérification », qui vise à déceler et à contrer les éventuels truquages d’offres liés à des processus d’approvisionnement au moyen de définition de points de référence, de filtrage algorithmique ou d’autres méthodes quantitatives. Le Bureau et SPAC prévoient en outre mettre en place une ligne téléphonique pour le signalement de truquage des offres et d’autres formes de corruption et de fraude dans les contrats fédéraux et la communication d’information à cet égard.

Bien que la détermination du Bureau à contrer les tentatives de truquage des offres soit bien réelle et doive être prise au sérieux, il faut replacer les choses dans leur contexte. Cela fait des années que le Bureau lutte contre le truquage des offres et mène des programmes de sensibilisation. Cependant, jusqu’ici, ces efforts ont été annihilés par des instances contestées, des dizaines d’accusations qui se sont soldées par des acquittements ou des accusations abandonnées pour cause de délais trop longs. Le commissaire et la Section du droit de la concurrence du Service des poursuites pénales du Canada seraient avisés de retenir des leçons du passé au moment de déployer de nouveaux efforts de sensibilisation au truquage des offres et d’utiliser de nouveaux outils d’enquête en 2017.

Pratiques commerciales trompeuses dans les médias électroniques

Les spécialistes du marketing numérique auront une bonne raison d’être prudents en 2017. Ainsi que nous l’avons déjà écrit, la portée de la Loi canadienne anti-pourriel (la « LCAP ») pourrait être sensiblement étendue en juillet 2017, avec l’entrée en vigueur d’un droit privé d’action permettant aux particuliers qui subissent un préjudice en raison de déclarations trompeuses dans un message électronique d’intenter une poursuite contre les personnes responsables. Dans un tel contexte, on entend de manière générale par « message électronique » les textos, les messages sur les médias sociaux, les billets de blogues, les sites Web, la voix sur IP et les applications mobiles, de même que l’information contenue dans les titres, les lignes de mention d’objet, les adresses URL et les métadonnées. Grâce à ce changement, il sera plus facile pour les personnes touchées par des déclarations trompeuses dans des messages électroniques d’intenter des recours collectifs contre les spécialistes du marketing numérique, avec des conséquences possiblement importantes, dont possiblement des dommages-intérêts importants prévus par la loi.

Il y a de fortes chances que le Bureau classe au rang de ses priorités pour 2017 le maintien d’une attention particulière sur les pratiques commerciales trompeuses dans les médias électroniques. Le Bureau a conclu une entente par voie de consentement avec les entreprises de location de voitures Avis et Budget en juin 2016 concernant des déclarations faites sur leurs sites Web, leurs applications mobiles et dans leurs courriels ainsi que dans les médias traditionnels, et le Bureau semble déterminer à continuer d’utiliser ses pouvoirs pour contrer les pratiques commerciales trompeuses dans les médias électroniques. Le 11 janvier 2017, Amazon est parvenue à une entente avec le Bureau concernant des déclarations trompeuses au sujet des prix de vente ordinaires de ses produits affichés sur son site Web. Dans une allocution prononcée devant l’Association canadienne du marketing en octobre 2016, le commissaire a souligné l’importance d’une publicité juste et honnête sur les plateformes numériques, citant le cas d’Avis/Budget et une affaire datant de 2015 à l’issue de laquelle Bell a payé une amende de 1,25 million de dollars après que ses employés ont eu mis en ligne des évaluations de ses applications mobiles sans mentionner leur lien avec elle. Les observations du commissaire, combinées à l’entrée en vigueur du nouveau droit privé d’action aux termes de la LCAP, pourraient annoncer une période de surveillance accrue de toutes les formes de marketing numérique dans les secteurs privé et public.

Rationalisation du processus judiciaire

Le Tribunal a pour mandat de traiter les instances sans formalisme et avec célérité dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent. Le Tribunal, le Bureau et le Barreau devraient continuer à explorer de nouvelles manières de rationaliser le processus judiciaire en 2017.

En mars 2016, la médiation a été utilisée pour la première fois dans le contexte d’une audition pour la contestation, devant le Tribunal, par le commissaire, de l’acquisition de l’entreprise de stations-service de Pioneer par Parkland. Le processus de médiation a abouti à un règlement entre les parties sous forme d’entente par voie de consentement avant le procès. (Pour obtenir d’autres détails concernant le recours à la médiation, veuillez lire notre article sur l’affaire Parkland.) En juin 2016, le Tribunal a publié des instructions relatives à la pratique exposant la marche à suivre pour demander une médiation, choisir un médiateur, définir le cadre de la médiation et exécuter le processus de médiation. En décembre 2016, le Bureau de la concurrence a conclu une entente avec Moose Knuckles relativement à un recours portant sur certaines pratiques commerciales, également par voie de médiation. La médiation du recours pour abus de position dominante intenté contre l’AAV est prévue pour la fin de juillet 2017, et le Tribunal encourage les parties à tenter la médiation dans tous les cas.

Litiges en matière de fusionnements

Il existe une opinion de plus en plus répandue chez les membres du Barreau et dans le milieu des affaires selon laquelle le processus d’examen des projets de fusionnement par le Bureau est de plus en plus long, de plus en plus lourd et de moins en moins prévisible, ce qui explique peut-être pourquoi de plus en plus de cas soumis pour examen finissent en litiges. Les statistiques publiques du Bureau confirment cette impression : la durée moyenne des examens complexes et le nombre de demandes de renseignements supplémentaires sont en hausse depuis quelques années, alors que le pourcentage d’examens complexes dans le cadre desquels le Bureau a respecté ses normes de service est en baisse. En même temps, la frustration augmente concernant le manque de transparence et de responsabilité à l’égard de l’allongement du processus d’examen du Bureau et le sentiment de plus en plus marqué que les résultats négociés, tels que les ententes par voie de consentement, sont de plus en plus coûteux, complexes et rigides.

Bien que les délais actuels puissent rendre peu pratique le recours à un processus judiciaire complet sur le fond dans certains contextes, la perte d’intérêt pour les solutions de rechange et la rationalisation du processus judiciaire pourraient inciter les parties à des fusionnements complexes à chercher des solutions du côté du Tribunal, y compris le recours à la médiation, plutôt que de se soumettre à un processus d’examen déjà long.

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