Bulletin

Nouvelle combinaison pour le régime des offres publiques d’achat : 50-10-105

Auteurs : Patricia L. Olasker, Franziska Ruf et Neil Kravitz

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont annoncé aujourd’hui l’adoption de la version définitive des modifications proposées à l’égard du régime canadien des offres publiques d’achat. Les nouvelles règles visent à modifier l’équilibre des forces entre les conseils d’administration des sociétés cibles et les actionnaires en prolongeant le délai minimal de dépôt, qui est porté à 105 jours, et en prescrivant une obligation de dépôt minimal d’au moins 50 %.

Les trois principales caractéristiques des règles sont les suivantes.

  • Obligation de dépôt minimal de 50 %. Les OPA doivent comporter une obligation de dépôt minimal selon laquelle plus de 50 % des titres de la société cible détenus par d’autres personnes que l’initiateur doivent être déposés en réponse à l’OPA avant que ce dernier soit autorisé à prendre livraison des titres.
  • Prolongation de 10 jours. Une fois que l’obligation de dépôt minimal et les autres conditions de l’OPA ont été respectées, l’OPA doit être prolongée de dix jours supplémentaires afin de permettre aux actionnaires indécis d’accepter l’OPA.
  • Délai minimal de dépôt de 105 jours. Les OPA doivent être maintenues pendant au moins 105 jours sauf (i) si le conseil de la société cible annonce un délai de dépôt abrégé dont la durée est d’au moins 35 jours, auquel cas ce délai plus court s’applique à toutes les OPA simultanées, ou (ii) si la société cible annonce une opération amicale, auquel cas le délai minimal de dépôt applicable à toutes les OPA simultanées est automatiquement réduit à 35 jours.

Les modifications apportées aux règles régissant les OPA correspondent en grande partie aux modifications proposées le 31 mars 2015. Toutefois, plutôt que de faire passer le délai de dépôt minimal, qui était de 35 jours, à 120 jours, les règles définitives prévoient un délai minimal de dépôt de 105 jours.

Cette réduction de 15 jours par rapport au délai minimal de dépôt de 120 jours initialement proposé vise à faire en sorte qu’il soit toujours possible d’avoir recours aux dispositions relatives aux acquisitions forcées prévues par diverses lois canadiennes sur les sociétés dans le cadre d’OPA non sollicitées. L’initiateur ne peut se prévaloir des dispositions relatives aux acquisitions forcées prévues par la Loi canadienne sur les sociétés par actions et d’autres lois provinciales et territoriales régissant les sociétés par actions que lorsqu’il a acquis 90% des actions visées par l’OPA dans les 120 jours du lancement de celle-ci. Si le délai minimal de dépôt n’avait pas été raccourci, il serait devenu impossible d’utiliser les dispositions relatives aux acquisitions forcées pour évincer les actionnaires n’ayant pas déposé leurs actions. Un délai de dépôt de 105 jours permettra à l’initiateur dont l’offre est réussie, mais en réponse à laquelle moins de 90% des actions ont été déposées, de prolonger son OPA de 10 jours en vue d’atteindre le seuil de 90% tout en disposant encore de cinq jours pour entreprendre le processus d’acquisition forcée.

Davantage de temps et de pouvoir de négociation pour les conseils des sociétés cibles

Les mesures de rééquilibrage des ACVM compliqueront la tâche aux initiateurs qui veulent lancer une OPA hostile. Selon les règles et pratiques actuelles, le délai minimal de dépôt est de 35 jours et le régime de droits des actionnaires (ou « pilule empoisonnée ») que la société cible peut adopter afin de résister à l’initiateur d’une offre hostile est régulièrement mis hors d’usage par les organismes de réglementation en valeurs mobilières dans les 45 à 70 jours du lancement de l’offre.

Le nouveau délai de 105 jours donnera au conseil de la société cible beaucoup plus de temps pour évaluer une OPA, chercher des solutions de rechange ou argumenter en faveur du rejet de l’OPA. Ce délai fixe procure également au conseil de la société cible et à ses conseillers plus de prévisibilité pour la mise sur pied d’un processus stratégique, par opposition aux durées variables et plus courtes qu’ont tolérées jusqu’à maintenant les commissions des valeurs mobilières à l’égard des pilules empoisonnées.

En conférant au conseil de la société cible le pouvoir de raccourcir le délai minimal de dépôt de 105 jours, les nouvelles règles inciteront davantage l’initiateur intéressé à négocier avec le conseil de la société cible qu’à présenter son offre directement aux actionnaires. Un court délai de dépôt est généralement l’atout qui permet de limiter le risque d’offre concurrente indésirable. En vertu des nouvelles règles, l’initiateur devra négocier avec la société cible pour obtenir cet avantage, ce qui donnera au conseil l’occasion de négocier le prix et d’obtenir d’autres concessions.

Pouvoir collectif

Les nouvelles règles facilitent en quelque sorte une prise de décision collective par les actionnaires en réponse à une OPA; en cela, elles s’écartent nettement de la politique réglementaire actuelle qui consiste à protéger le droit de chaque actionnaire de prendre par lui-même la décision de déposer ou non ses actions.

L’obligation de dépôt minimal de 50% empêchera les actionnaires de vendre leurs titres à l’initiateur si l’OPA n’est pas appuyée par la majorité des actionnaires de la société cible. Dans le passé, les initiateurs d’offres hostiles se réservaient généralement le droit de renoncer à la condition de dépôt minimal qu’ils avaient eux-mêmes fixée. En conséquence, même si l’initiateur ne réussissait pas à obtenir la majorité convoitée des actions, il pouvait tout de même saisir l’occasion de devenir un important actionnaire minoritaire (p. ex. à hauteur de 40%) en renonçant à sa condition de dépôt minimal au profit d’une position de blocage. Carl Icahn a utilisé cette tactique dans le cadre de son OPA hostile visant Lions Gate Entertainment. Icahn a renoncé à sa condition de dépôt minimal afin d’acquérir 13,2% des actions en circulation, ce qui lui a conféré une participation de 31%. En vertu des nouvelles règles, Icahn n’aurait pu acquérir d’actions dans le cadre de son OPA parce que la majorité des actionnaires de Lions Gate avaient refusé de déposer leurs actions.

La modification des règles rendra aussi plus difficile la réalisation d’OPA partielles. L’obligation de dépôt minimal de 50% s’appliquera peu importe que l’initiateur cherche ou non à acquérir une participation majoritaire dans la société cible, ce qui signifie que la majorité des actionnaires devront être désireux de vendre une partie de leurs actions à l’initiateur.

Quel avenir pour les pilules empoisonnées?

Les nouvelles règles n’abordent pas l’utilisation des pilules empoisonnées. Dans le communiqué accompagnant ces nouvelles règles, les ACVM confirment avoir décidé de ne pas modifier l’avis actuel sur les mesures de défense (Avis 62-202). Elles signalent toutefois qu’elles sont disposées à examiner ces mesures à l’aune du régime modifié des OPA afin de déterminer si elles portent atteinte aux droits des porteurs de titres. Le délai minimal de dépôt ayant été considérablement allongé, nous nous attendons à ce que les organismes de réglementation en valeurs mobilières interviennent rapidement dans les cas où un régime de droits des actionnaires sera utilisé pour différer davantage la prise de livraison des titres par l’initiateur d’une offre hostile.

Naturellement, les régimes de droits continueront d’avoir leur utilité dans les cas où l’on cherche à empêcher les actionnaires d’accumuler des participations importantes au moyen d’opérations dispensées de l’application des règles sur les offres publiques d’achat. Par conséquent, les conseils d’administration qui craignent que des actionnaires acquièrent graduellement le contrôle par le biais de la dispense pour achat de gré à gré et d’autres dispenses relatives aux offres publiques d’achat jugeront encore utiles les régimes de droits des actionnaires.

Les commissions des valeurs mobilières se concentreront sur les autres mesures de défense

Bien que les auditions de routine contestant les pilules empoisonnées dans le contexte d’OPA hostiles soient probablement choses du passé, la nouvelle obligation de dépôt minimal de 50% entraînera un examen plus poussé des autres mesures de défense, en particulier les placements privés de titres de capitaux propres. L’obligation de dépôt minimal donnera aux actionnaires qui détiennent d’importants blocs d’actions une grande influence sur la réussite d’une OPA. Dans bien des cas, un seul actionnaire minoritaire ou le porteur d’un bloc de contrôle pourrait concrètement empêcher une autre OPA d’aller de l’avant. La possibilité que d’importants blocs d’actions rendent plus difficile le respect de l’obligation de dépôt minimal, ou empêchent carrément une OPA d’aller de l’avant, devrait entraîner l’intervention continue des commissions des valeurs mobilières dans les OPA hostiles.

Bien que l’Avis 62-202 envisage clairement la possibilité d’intervenir à l’égard des placements privés défensifs, les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières ont déclaré que le comportement abusif est le seuil d’exercice de leur pouvoir discrétionnaire d’intervenir dans un placement privé. L’examen d’un placement privé nécessite l’appréciation des motifs véritables de la société cible, l’analyse de la question de savoir si du capital était en fait requis et si ce capital a été amassé de façon appropriée ainsi que l’évaluation de l’incidence du placement sur la réussite de l’OPA. Cet examen exige des tribunaux administratifs en valeurs mobilières une analyse plus rigoureuse de questions plus subtiles que les instances habituelles touchant les pilules empoisonnées.

Les règles définitives devraient entrer en vigueur le 9mai 2016. En Ontario, la date d’entrée en vigueur dépendra de la proclamation des modifications à la Loi sur les valeurs mobilières (Ontario).

Personnes-ressources

Connexe

Dommages-intérêts « Con Ed » dans le cadre de fusions et acquisitions de sociétés ouvertes canadiennes : réinterpréter l’affaire Cineplex c. Cineworld à la lumière de la jurisprudence récente du Delaware

10 janv. 2024 - Quelles sont les voies de droit d’un vendeur se faisant éconduire par un acheteur qui choisit de tourner le dos à une opération et contrevient par le fait même à la convention d’achat? Dans le cas de fusions et d’acquisitions de sociétés à capital fermé, la réponse est relativement simple : il...