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L’opposabilité des sûretés par maîtrise des comptes de dépôt en garantie : Faits récents en Ontario

Du point de vue du prêteur, l’opposabilité d’une sûreté par maîtrise du bien grevé offre une meilleure protection que l’opposabilité par enregistrement. Une sûreté rendue opposable par maîtrise l’emporte généralement sur les autres sûretés grevant le même bien, même une sûreté antérieure rendue opposable par enregistrement. Toutefois, en Ontario, les valeurs mobilières et les autres biens de placement constituent les seuls biens grevés dont le prêteur peut prendre le contrôle. À l’heure actuelle, contrairement au Uniform Commercial Code des États-Unis (le « UCC »), la Loi sur les sûretés mobilières de l’Ontario (la « LSM ») ne prévoit pas l’opposabilité des sûretés par maîtrise des comptes de dépôt en garantie. Les droits du titulaire d’un compte bancaire font partie des « comptes » aux termes de la LSM (tandis que, dans le UCC, les comptes de dépôt (deposit accounts) constituent un type distinct de biens grevés). Une sûreté sur un compte ne peut être rendue opposable que par enregistrement, ce qui constitue depuis longtemps un inconvénient aussi bien pour les prêteurs que pour les emprunteurs, particulièrement dans le cadre de financements multinationaux, car les prêteurs ne peuvent pas simplement reproduire en Ontario la sûreté prise aux États-Unis. Les conventions de blocage de compte et les conventions relatives au contrôle permettent en pratique d’obvier partiellement à cette situation, mais on ne peut conclure de telles conventions dans le cadre d’opérations sur dérivés. Pour garantir une opération sur dérivés, les parties ont recours à des solutions de rechange comme l’annexe de soutien au crédit prévue dans le droit anglais, qui prévoit le transfert de la propriété des biens grevés plutôt que l’octroi d’une sûreté.

En 2012, l’Association du Barreau de l’Ontario (l’« ABO ») a soumis au gouvernement de l’Ontario un rapport circonstancié recommandant la modification de la LSM afin d’y prévoir l’opposabilité des sûretés par maîtrise des comptes de dépôt en garantie. Dans son rapport, l’ABO a suivi de façon générale le modèle de l’UCC et proposé une définition large du terme « compte financier », qui engloberait tous les types de comptes de dépôt et autres garanties en espèces prises par les banques ou les autres institutions financières. Ces comptes comprendraient les comptes d’exploitation ainsi que les comptes bloqués (mais non les comptes de consommateur). On pourrait obtenir la maîtrise d’un compte financier dans les trois situations suivantes : (i) au moyen de la conclusion d’une convention de contrôle tripartite entre le débiteur, le créancier garanti et la banque où était tenu le compte; (ii) le créancier garanti est la banque; ou (iii) le créancier garanti est le titulaire du compte.

Bien que l’ABO ait inclus dans son rapport le libellé précis des modifications dont elle recommande l’adoption, ainsi que des motifs de principe à l’appui de celles-ci, ses recommandations sont toujours au point mort. L’une des principales pierres d’achoppement résiderait dans le fait que les modifications proposées sont considérées comme dérogeant à la priorité qu’accorde la LSM aux fiducies réputées à l’égard des cotisations de retraite aux termes de la législation ontarienne sur les régimes de retraite par rapport aux sûretés sur des comptes. La protection des régimes de retraite dans le cadre d’une insolvabilité est une question litigieuse, surtout depuis l’arrêt rendu en 2013 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Indalex, dans lequel la Cour a statué qu’un financement de débiteur-exploitant approuvé par un tribunal dans le cadre d’un plan en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies avait priorité sur une fiducie réputée à l’égard de cotisations de retraite.

En 2016, le gouvernement de l’Ontario a mis sur pied un conseil consultatif en matière de droit des affaires (le « conseil ») dont le mandat est de revoir les lois ontariennes en matière de droit des sociétés et de droit commercial et de le conseiller sur les priorités de réforme. Il se pourrait bien que le gouvernement ait décidé de mettre sur pied ce conseil indépendant et crédible en partie pour régler la situation des propositions de réforme, qui sont enlisées dans le processus gouvernemental et législatif. Le conseil n’a pas tardé à présenter une première série de recommandations, dont une solution de compromis visant à modifier la LSM de manière à permettre l’opposabilité des sûretés en espèces par maîtrise tout en protégeant la priorité des fiducies réputées, sauf dans le cadre d’opérations sur dérivés. Dans son rapport, le conseil indique ce qui suit :

[TRADUCTION] L’entrée en vigueur, en septembre 2016, de la ligne directrice E-22 du Bureau fédéral du surintendant des institutions financières (le « BSIF ») intitulée Exigences de marge pour les dérivés non compensés centralement (la « ligne directrice du BSIF »), qui s’applique aux grandes institutions financières d’importance systémique et qui impose aux petites institutions des exigences similaires devant s’appliquer progressivement au cours des quatre prochaines années, a rendu la réforme des sûretés en espèces encore plus urgente. Afin de respecter les engagements pris par le Canada dans le cadre du G20 et conformément aux normes américaines et aux normes internationales, la ligne directrice du BSIF impose aux contreparties à des dérivés hors cote non compensés centralement l’obligation de publier la marge initiale et la marge de variation en garantie de leurs obligations. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que la marge soit en espèces, on s’attend à ce que les espèces deviennent une solution de rechange de plus en plus utilisée si les autres formes de biens grevés (comme les titres négociables de qualité supérieure) sont épuisées en raison de l’accroissement de la demande.

Dans son rapport, le conseil recommande la modification de la LSM afin de permettre l’opposabilité par maîtrise (en plus de l’opposabilité par enregistrement) des sûretés en espèces, ce qui procurerait aux créanciers garantis une sûreté de premier rang sur ces biens grevés, ainsi que la modification de la définition du terme « compte » afin de préserver la priorité des fiducies réputées des régimes de retraite à l’égard de l’ensemble des comptes de dépôt, sauf ceux qui sont des biens grevés dans le cadre d’opérations sur dérivés. La définition du terme « dérivé » ferait renvoi à la définition de « contrat financier admissible » qui se trouve dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Toutefois, contrairement au rapport de l’ABO, le rapport du conseil ne propose pas de libellé précis pour les modifications qu’il est recommandé d’apporter. On peut en déduire que, mis à part la solution de compromis visant spécifiquement à protéger la priorité des fiducies réputées, le conseil et les parties intéressées qu’il a consultées appuyaient l’approche préconisée par l’ABO dans son rapport et les modifications que celle-ci propose d’apporter à la LSM.

Bien qu’il ne s’agisse pas de la solution idéale du point de vue du prêteur, l’adoption de cette solution de compromis par le gouvernement marquerait un progrès important par rapport à la législation ontarienne actuelle.

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