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Médiation dans le cadre d’une instance devant le Tribunal de la concurrence du Canada menant à un règlement hors cours suite à la contestation d’une fusion

Auteurs : John Bodrug, Charles Tingley, Alysha Manji-Knight et George N. Addy

Le 29 mars 2016, le commissaire de la concurrence du Canada et Parkland Fuel Corp. (« Parkland ») ont conclu une entente par voie de consentement afin de régler les procédures qu’avait entamées le commissaire afin de contester l’acquisition de Pioneer Energy par Parkland. Ce consentement est le premier du genre à être conclu par l’entremise d’une procédure de médiation au Tribunal de la concurrence du Canada (le « Tribunal »).

Le consentement prévoit non seulement des dessaisissements et la résiliation de contrats d’approvisionnement en essence dans certains marchés locaux, mais également un plafonnement des marges de profit que Parkland tire de la vente en gros d’essence dans certains autres marchés locaux. Bien que les autorités chargées de l’application de la législation sur la concurrence ne favorisent généralement pas le recours à ce genre de dispositions dans les solutions relatives aux fusions, le règlement intervenu dans l’affaire Parkland montre que le commissaire pourrait être disposé, dans certains cas, à envisager des mesures ou des démarches qui sortent des sentiers battus.

Contexte

En avril 2015, le commissaire a contesté l’acquisition projetée de Pioneer Energy par Parkland, au motif que la transaction aurait vraisemblablement pour effet de diminuer sensiblement la concurrence au chapitre de la vente au détail d’essence dans 14 marchés locaux (ce qui représente environ 10 % de l’entreprise acquise). Parallèlement, le commissaire a demandé au Tribunal de prononcer une injonction empêchant les parties à la fusion de mettre en œuvre la transaction dans les marchés locaux visés jusqu’à l’issue de la procédure de contestation, mais il ne s’est pas opposé aux autres éléments de l’acquisition. En mai 2015, le Tribunal a accordé une injonction provisoire et enjoint à Parkland et à Pioneer Energy de préserver et d’exploiter séparément les stations de vente au détail d’essence et de préserver et d’exécuter séparément les contrats d’approvisionnement connexes dans 6 des 14 marchés jusqu’à l’audition au fond de la contestation, qui devait avoir lieu en mai 2016. (Voir notre exposé de l’affaire à la suite de l’injonction prononcée par le Tribunal.)

Le consentement

Aux termes du consentement, Parkland a l’obligation de se départir de six stations de vente au détail d’essence, dont cinq sont situées en Ontario et une, au Manitoba. Dans au moins un marché local, Parkland a le choix de résilier le contrat d’approvisionnement en essence, plutôt que de vendre les actifs de stations-service dans les marchés locaux. Parkland doit également respecter certaines restrictions relatives aux prix de vente en gros d’essence à des détaillants dans deux autres marchés locaux du Manitoba.

Bien que certains des éléments du consentement figurent dans des annexes confidentielles, la version publique de celui-ci présente certaines dispositions dignes de mention :

  • Dessaisissement en faveur d’un ou de plusieurs acheteurs.. Le consentement permet à Parkland de vendre les actifs en cause à un ou plusieurs acheteurs. Bien souvent, les autorités chargées de l’application de la législation sur la concurrence exigent que les actifs soient vendus à un seul acheteur afin de garantir le maintien d’un niveau de concurrence suffisant dans les marchés visés. C’est généralement le cas lorsque la vente, à plus d’un acheteur, d’un sous-ensemble des actifs dont on impose la vente pourrait avoir une incidence négative sur l’entreprise visée par le dessaisissement. Dans la présente affaire, le fait que Parkland ait la possibilité de vendre les actifs devant faire l’objet d’un dessaisissement dans les six marchés locaux à plus d’un acheteur donne à penser que le commissaire considère ces actifs comme suffisamment distincts pour qu’il ne soit pas nécessaire de tous les vendre à un seul acheteur pour que soit maintenu un niveau de concurrence suffisant dans les marchés en question.
  • Choix des actifs qui seront vendus par Parkland. Le consentement énonce les exigences habituelles en matière d’approbation préalable que Parkland doit remplir avant que le commissaire ne donne son accord à l’égard d’un acheteur proposé, dont celle lui interdisant de conserver, après la vente, un intérêt direct ou indirect dans les actifs vendus. Détail intéressant, le consentement prévoit également que Parkland peut exercer une forme de choix à l’égard des actifs dont elle se départira. Ainsi, Parkland doit, (i) à Kapuskasing, en Ontario, se départir d’une station-service de son choix dont elle fait l’exploitation; et, (ii) dans les cinq autres marchés en Ontario et au Manitoba, se départir d’une station-service dont elle fait l’exploitation ou, dans au moins un cas, résilier un contrat d’approvisionnement en essence conclu avec un détaillant.
  • Plafonnement des marges. Dans les deux marchés visés par les restrictions touchant les contrats d’approvisionnement, plutôt qu’imposer des dessaisissements, le consentement interdit à Parkland d’augmenter ses marges de profit pendant six ans. Il sera également interdit à Parkland, toujours pendant six ans, d’augmenter les frais de livraison facturés aux détaillants dans ces deux marchés, sauf si les coûts justifient une telle augmentation et/ou s’il survient une hausse des frais de livraison dans l’ensemble de la province. (On peut penser que cette deuxième exception est incluse au motif que la concurrence pan-provinciale suffit à empêcher une augmentation des prix anti-concurrentielle.) Fait à noter, selon le dossier du Tribunal, il semblerait que ni Parkland ni Pioneer Energy n’aient de station-service dans l’un ou l’autre de ces deux marchés.

Dans sa contestation de la fusion projetée, le commissaire demandait que le Tribunal ordonne à Parkland de se départir de stations de vente au détail d’essence et de contrats d’approvisionnement connexes dans 14 marchés locaux. Or, le consentement négocié ne prévoit des mesures que pour 8 des 14 marchés et n’impose des dessaisissements que dans 6 d’entre eux. De nouveau, il est intéressant de constater que certains des actifs dont on exige le dessaisissement se trouvent dans des marchés qui n’étaient pas visés par l’ordonnance provisoire de préservation et d’exploitation distincte prononcée par le Tribunal.

Le consentement intervenu avec Parkland semble dénoter la souplesse du commissaire et sa volonté, du moins dans certaines circonstances, à négocier des modalités dans le cadre d’un processus de médiation favorisant un règlement rapide et efficace. Il faudra voir maintenant dans quelle mesure, et à quelle étape des procédures, le commissaire sera disposé à participer à un processus de médiation pour régler des contestations de fusion futures.

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