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Hafichuk-Walkin v. BCE : le Manitoba devient la cinquième province à freiner pour abus de procédure les actions collectives faisant double emploi

Auteurs : Matthew Milne-Smith et Michael H. Lubetsky

Le 14 mars 2016, la Cour d’appel du Manitoba a rendu une décision très attendue dans l’affaire Hafichuk-Walkin v. BCE, 2016 MBCA 32, emboîtant le pas au nombre grandissant de tribunaux d’appel canadiens qui ont prononcé, sur le fondement de la doctrine de l’abus de procédure, la suspension d’actions collectives faisant double emploi.

En 2004, le Merchant Law Group (MLG) a intenté neuf recours essentiellement identiques dans toutes les provinces du Canada, sauf l’Île-du-Prince-Édouard, dans lesquels il a demandé l’autorisation d’exercer une action collective nationale contre différentes sociétés de télécommunications sans fil sur la question des « frais d’accès au système » facturés aux utilisateurs du service de téléphonie cellulaire. MLG a choisi de faire instruire l’action en Saskatchewan – province dont la loi prévoyait à l’époque la possibilité d’être admis « sans frais » à titre de membre du groupe visé par l’action collective1 – et de laisser les autres actions inactives. MLG n’a obtenu qu’une autorisation partielle d’exercer son action collective en Saskatchewan, le tribunal n’ayant autorisé celle-ci qu’à l’égard d’un seul aspect de la demande, à l’exclusion des autres. MLG a ensuite multiplié, sans succès, les tentatives visant à convertir l’instance instruite en Saskatchewan en action collective avec option d’exclusion (plutôt qu’avec option d’inclusion) et à réintroduire les différentes causes d’action qui avaient été rejetées à l’étape de la demande d’autorisation, notamment en présentant en Saskatchewan une deuxième demande d’autorisation d’exercer une action collective qui faisait double emploi avec la première. Cependant, MLG n’a posé aucun geste afin de faire progresser son action collective dans les autres provinces pendant dix ans.

À la longue, les différents défendeurs (y compris ceux représentés par Davies) ont commencé à s’adresser aux tribunaux afin d’obtenir la suspension des instances de MLG faisant double emploi au motif que celles-ci n’avaient aucun objet hormis (peut-être) celui de débattre à nouveau de questions que le tribunal de la Saskatchewan avait déjà tranchées et, partant, que leur introduction constituait un abus de procédure. Un à un, les tribunaux au pays se sont rangés à cette conclusion, en commençant par la Saskatchewan2, qui a été suivie par la Colombie-Britannique3, la Nouvelle-Écosse4, l’Alberta5 et, enfin, le Manitoba.

Dans l’affaire Hafichuk-Walkin, la Cour d’appel du Manitoba a avalisé la distinction que soumettaient les défendeurs entre des actions collectives « parallèles » et des actions collectives « qui se chevauchent ». Selon la cour, bien que les premières soient acceptables dans un système fédéral, il y a abus de procédure lorsque les secondes font double emploi et le fait d’autoriser plusieurs actions collectives dont les groupes visés sont composés des mêmes membres d’une ou de plusieurs provinces ne servirait aucun but légitime (voir le paragraphe 40 du jugement).

La Cour d’appel est arrivée à la conclusion que l’instance introduite par MLG au Manitoba constituait un abus de procédure, en raison non seulement des délais
« extrêmement longs » dans le déroulement de l’instance mais également de l’absence d’intention véritable d’y donner suite, la cour ayant reproché aux défendeurs de s’être servis de l’instance comme d’une assurance contre la possibilité d’un résultat stérile (voir les paragraphes 44 et 56 du jugement). Selon la cour, le fait d’autoriser l’exercice dans deux territoires différents d’actions collectives qui, en copie conforme, visent les mêmes demandeurs et défendeurs, sont présentés par les mêmes avocats et exposent les mêmes allégations, une fois qu’une autorisation définitive d’exercer une action collective a été obtenue dans un territoire donné, dénature le principe de réciprocité judiciaire et expose les parties et les tribunaux aux maux que peut engendrer la multiplication des instances (voir le paragraphe 57 du jugement).

Quant à la distinction entre l’option d’inclusion et l’option d’exclusion, la Cour d’appel a déclaré que la nécessité pour les résidents du Manitoba d’avoir à demander d’être admis parmi les membres du groupe visé par l’instance de la Saskatchewan (leur inclusion serait automatique dans une action collective autorisée au Manitoba) ne compromet aucunement l’accès à la justice des membres faisant partie du groupe visé par l’instance de la Saskatchewan. À l’instar de ses homologues des autres provinces, la Cour d’appel s’est dite convaincue que les tribunaux de la Saskatchewan auront la capacité et la volonté de protéger les intérêts des résidents du Manitoba en s’assurant que ces derniers seront dûment informés en temps utile de la procédure à suivre pour être inclus dans le groupe visé par l’instance (voir le paragraphe 55 du jugement).

MLG a demandé à la Cour suprême du Canada l’autorisation d’appeler des jugements rendus par les tribunaux de l’Alberta et de la Nouvelle-Écosse; on s’attend à ce qu’il fasse de même à l’égard du jugement rendu dans l’affaire Hafichuk-Walkin. Davies continue d’agir dans cette affaire.

1Dans une instance avec option d’inclusion, les personnes qui sont susceptibles d’être admises comme membres du groupe mais qui résident à l’extérieur de la province où l’instance est menée doivent activement demander à être admises à ce titre. Par contraste, dans une instance avec option d’exclusion, les personnes qui sont susceptibles de faire partie du groupe mais qui résident à l’extérieur de la province où l’instance est menée sont réputées être membres du groupe à moins qu’elles ne choisissent de s’exclure. Les conseillers juridiques qui représentent les demandeurs préfèrent généralement les actions avec option d’exclusion, car les groupes visés par celles-ci sont plus grands.

2Collins v. BCE Inc., 2010 SKQB 74.

3Drover v. BCE Inc., 2015 BCCA 132.

4BCE v. Gillis, 2015 NSCA 32, demande d’autorisation d’en appeler devant la CSC en cours (n° de dossier 36468)

5Turner v. Bell Mobility Inc., demande d’autorisation d’en appeler devant la CSC en cours (n° de dossier 36899).

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