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Le gouvernement du Canada fait volte-face et accepte de revoir une décision défavorable en matière de sécurité nationale

Auteurs : Mark Katz, Anita Banicevic et Charles Tingley

Dans notre récente communication électronique intitulée Le Canada abaisse les barrières à l’investissement étranger, nous décrivions les mesures prises récemment par le gouvernement du Canada pour créer un climat plus favorable et propice à l’investissement étranger, soit la hausse de l’un des principaux seuils à partir desquels une transaction doit faire l’objet d’un examen en vertu de la Loi sur Investissement Canada (la « LIC »), un engagement à publier des lignes directrices afin de clarifier le processus d’examen lié à la sécurité nationale prévu dans la LIC et l’augmentation du pourcentage de participation maximal que peuvent détenir des non-Canadiens dans des compagnies aériennes canadiennes.

Autre signe encourageant, le gouvernement du Canada reverra la décision d’ordonner par décret, en juillet 2015, à un investisseur chinois de se dessaisir d’une entreprise canadienne qu’il avait acquise en raison de préoccupations liées à la sécurité nationale. Le gouvernement a accepté de revoir cette décision dans le cadre du règlement d’une poursuite intentée par l’investisseur afin de contester ce décret.

Acquisition d’ITF par O Net

L’investisseur chinois, O Net Communications Holdings Limited (« O Net »), avait acquis le contrôle de Technologies ITF Inc. (« ITF ») en janvier 2015. ITF est une société québécoise spécialisée dans les composants à fibres et d’autres produits utilisés notamment dans les secteurs de la défense et de la sécurité. L’ancienne société mère d’ITF (3S Photonics S.A.S.) avait entamé une procédure de faillite et ses actifs, y compris ITF, ont été vendus aux enchères publiques. Dans le cadre de cette vente aux enchères, O Net, société ouverte inscrite à la cote de la Bourse de Hong Kong, a acquis le contrôle d’ITF. D’après des documents du domaine public, il semble qu’aucun des seuils à partir desquels une transaction doit faire l’objet d’un examen préalable à la clôture en vertu la LIC n’avaient été atteints par suite de l’acquisition, et que O Net a déposé en février 2015 l’avis requis après la clôture.

Ordonnance de dessaisissement et requête en révision judiciaire

Le 9 juillet 2015, l’ancien gouvernement conservateur s’est prévalu du pouvoir qui lui est conféré en vertu des dispositions de la LIC concernant l’examen lié à la sécurité nationale et a ordonné, par décret, à O Net de se dessaisir du contrôle d’ITF (le « décret »). En août 2015, O Net a déposé une requête en révision judiciaire devant la Cour fédérale du Canada afin de contester le décret. C’était la première fois qu’un investisseur contestait une décision du gouvernement visant à interdire une opération pour des motifs liés à la sécurité nationale.

À l’appui de sa requête, O Net alléguait notamment que le décret devait être abrogé pour les motifs suivants : (i) ITF était déjà contrôlée par des non-Canadiens avant la vente; (ii) O Net a, depuis la clôture de l’opération, fait augmenter les produits d’exploitation et l’effectif d’ITF; (iii) aucun investisseur canadien ou nord-américain n’avait exprimé son intérêt à acquérir ITF; (iv) l’opération ne lui a pas procuré un accès exclusif à des technologies ou à des produits qu’elle n’aurait pas pu obtenir autrement; et (v) le gouvernement n’a donné à l’appui de son décret aucun détail ni aucun motif quant à la nature de ses préoccupations liées à la sécurité nationale.

C’est apparemment à la suite de longs pourparlers que le gouvernement a consenti, le 9 novembre 2016, au prononcé d’une ordonnance sur consentement (i) abrogeant le décret et (ii) enjoignant au gouvernement de revoir sa décision d’obliger O Net à se dessaisir d’ITF.

Incidences

Le manque de transparence, tant pour les investisseurs que pour le grand public, fait partie des critiques les plus courantes concernant le processus d’examen lié à la sécurité nationale aux termes de la LIC. Ces critiques ont été confirmées lorsque la décision du gouvernement conservateur d’obliger O Net à se dessaisir d’ITF a été rendue publique. D’abord, la décision n’a été rendue publique qu’en août 2015, soit lorsque O Net a déposé sa requête en révision judiciaire. Le gouvernement n’avait rien publié à cet égard au moment de la prise du décret en juillet 2015. De plus, d’après les allégations contenues dans la requête, le gouvernement n’avait apparemment jamais informé O Net de la nature de ses préoccupations avant d’émettre le décret.

Il reste à voir si le gouvernement ordonnera à nouveau le dessaisissement par décret après avoir réexaminé l’acquisition d’ITF par O Net. Quoi qu’il en soit, la décision du gouvernement libéral de revoir le décret visant O Net et son engagement à publier de nouvelles lignes directrices concernant l’examen lié à la sécurité nationale indiquent que des mesures sont enfin prises pour améliorer la transparence de cet examen. Ces développements ne signifient toutefois pas que le gouvernement fera dorénavant fi des préoccupations légitimes, mais les investisseurs étrangers peuvent peut-être espérer que de telles préoccupations seront dorénavant prises en compte de façon plus constructive et plus juste.

L’affaire O Net soulève un autre point intéressant au sujet du processus d’examen. L’absence de procédure officielle que les investisseurs pourraient utiliser pour présenter une demande d’autorisation au titre de la sécurité nationale avant la réalisation d’une opération constitue une autre critique formulée à l’égard des dispositions de la LIC concernant la sécurité nationale. D’ailleurs, dans l’affaire O Net, le gouvernement n’a effectué son examen lié à la sécurité nationale qu’après la clôture de l’opération. Il se pourrait toutefois que cette question soit abordée dans les nouvelles lignes directrices concernant l’examen lié à la sécurité nationale, mais, même si elle ne l’est pas, les investisseurs étrangers doivent savoir qu’il existe des moyens d’engager un dialogue avec le gouvernement au sujet de questions de sécurité nationale avant la clôture d’une opération, du moins dans la plupart des cas, même s’il n’existe pas de procédure de demande d’autorisation officielle. Les investisseurs qui envisagent de réaliser une acquisition susceptible de soulever des questions de sécurité nationale doivent obtenir des conseils professionnels.

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