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La conformité aux ordonnances de production du Bureau de la concurrence – la Cour fédérale du Canada énonce certains principes directeurs

Auteurs : Anita Banicevic, Mark Katz, John Bodrug et George N. Addy

Le Commissaire de la concurrence du Canada (le « Commissaire ») est doté de divers pouvoirs coercitifs, dont il peut se servir aux fins d’enquêtes. Il peut notamment, en vertu de l’article 11 de la Loi sur la concurrence (Canada) et après y avoir été autorisé par le tribunal, assigner une personne à produire des documents et à communiquer des renseignements. Depuis un certain temps, le Commissaire n’hésite pas à s’adresser aux tribunaux pour obtenir des ordonnances à cette fin à l’encontre non seulement des personnes qui font l’objet d’une enquête, mais également de tiers. Ce fut notamment le cas dans le cadre de deux enquêtes récentes du Commissaire, où celui‑ci a obtenu, outre les ordonnances visant les personnes sous enquête, 20 ordonnances de production contre des tiers.

En vertu de la Loi sur la concurrence, les audiences concernant les demandes d’ordonnance du Commissaire fondées sur l’article 11 de cette loi se déroulent ex parte, ce qui signifie que les personnes visées par l’ordonnance demandée ne sont généralement pas présentes devant le tribunal au moment de la délivrance de l’ordonnance. Les tribunaux délivrent habituellement les ordonnances demandées en vertu de l’article 11 de la Loi sur la concurrence sans énoncer leurs motifs et sans modifier de façon significative les conclusions recherchées par le Commissaire. Toutefois, en août dernier, le juge en chef de la Cour fédérale du Canada, l’honorable juge Paul Crampton, a énoncé de façon détaillée les motifs qui l’ont mené à délivrer les ordonnances en vertu de l’article 11 de la Loi sur la concurrence qui avaient été demandées par le Commissaire aux fins de l’enquête en cours sur les pratiques en matière de passation des contrats de Apple au Canada.

Le jugement rendu par le juge Crampton fait état de certains principes directeurs qui devraient guider les personnes qui doivent se conformer à une ordonnance de production délivrée à la demande du Bureau de la concurrence. Voici les principaux éléments à retenir du jugement rendu par le juge Crampton et certains conseils pratiques à garder à l’esprit.

Principaux éléments à retenir

1. Délai pour se conformer à l’ordonnance

Les parties visées par une ordonnance demandée en vertu de l’article 11 de la Loi sur la concurrence disposent généralement d’un délai de 30 jours pour se conformer à celle‑ci, sous réserve de leur droit de demander un délai supplémentaire. Dans l’affaire visée par le jugement rendu par le juge Crampton, le Commissaire avait initialement demandé que les parties soient tenues de produire tous les renseignements demandés dans un délai de 30 jours, mais il a par la suite offert de porter ce délai à 75 jours. Le juge Crampton a toutefois jugé qu’un délai de 75 jours serait probablement insuffisant et, par conséquent, a accordé aux personnes visées par l’ordonnance un délai de 90 jours pour s’y conformer. Pour en arriver à cette décision, le juge Crampton a tenu compte de la complexité de l’ordonnance (qui visait des renseignements datant de 2008) ainsi que des préoccupations quant au délai de production qui avaient été soulevées par certaines personnes visées par l’ordonnance lors des pourparlers habituels entre le Commissaire et les parties visées avant la délivrance de l’ordonnance.

Le juge Crampton a également énoncé certains principes directeurs généraux concernant le délai pour se conformer aux ordonnances futures en indiquant que les parties visées par une ordonnance complexe devraient disposer d’un délai d’au plus 90 jours pour s’y conformer, mais qu’un délai de 30 jours pour se conformer à une ordonnance non complexe ne serait pas déraisonnable. À cet égard, il convient de souligner que l’affaire Apple visait une enquête concernant des pratiques commerciales. Un tribunal pourrait être plus enclin à accorder aux parties un délai plus court pour se conformer à une ordonnance si celle‑ci s’inscrit dans le cadre d’une enquête concernant une fusion et que le Commissaire dispose, en vertu de la loi, d’un délai précis pour déterminer s’il doit s’opposer ou non à l’opération projetée.

2. Fardeau qui ne doit pas être excessif, disproportionné ou injustifié

Pendant les pourparlers qui ont précédé la délivrance de l’ordonnance aux fins de l’enquête concernant Apple, certains tiers admis que l’obligation de se conformer à l’ordonnance dans son intégralité leur imposerait un fardeau excessif. Le juge Crampton a été sensible à cette préoccupation et a libellé l’ordonnance de façon à permettre aux parties visées par celle‑ci de produire une attestation indiquant qu’elles ont déployé des efforts raisonnables pour recueillir les renseignements recherchés et que le déploiement d’efforts additionnels à cette fin équivaudrait à leur imposer un fardeau excessif, disproportionné ou injustifié. Le juge Crampton a toutefois indiqué que le Commissaire pourrait, s’il n’était pas d’accord avec une telle position, s’adresser au tribunal pour faire trancher la question.

En libellant ainsi l’ordonnance, le juge Crampton a rejeté l’argument du Commissaire selon lequel l’obligation de recueillir aux fins de production des renseignements qui sont pertinents et essentiels à l’enquête du Bureau de la concurrence ne saurait être considérée comme un fardeau excessif. En fait, le juge Crampton a indiqué, en ce qui concerne certains aspects de l’ordonnance, que le fait pour le Commissaire de recevoir un échantillonnage représentatif raisonnable et fiable des renseignements demandés devrait être suffisant (plutôt que d’exiger que les parties recueillent tous les renseignements demandés pour les sept dernières années).

3. Intégration des lignes directrices du Bureau de la concurrence en ce qui a trait à la production de renseignements stockés électroniquement

Le Commissaire souhaitait intégrer aux ordonnances demandées en vertu de l’article 11 de la Loi sur la concurrence les lignes directrices qui avaient été publiées peu de temps avant en ce qui a trait à la Production de renseignements stockés électroniquement (les « lignes directrices concernant la production des RSE »). Ces lignes directrices, qui ont été publiées au mois d’avril dernier, énoncent les préférences du Bureau de la concurrence pour la réception des renseignements stockés électroniquement (les « RSE »). Les lignes directrices concernant la production des RSE indiquent notamment que le Bureau de la concurrence préfère recevoir les RSE recherchés sur un support de stockage portable (par exemple un disque dur ou une clé USB) plutôt que de les recevoir par courriel ou par l’intermédiaire d’un site FTP sécurisé.

C’est dans l’affaire Apple que le Commissaire a tenté pour la première fois d’intégrer les lignes directrices concernant la production des RSE à une ordonnance demandée en vertu de l’article 11 de la Loi sur la concurrence. Le juge Crampton a autorisé l’intégration de ces lignes directrices au motif que les personnes visées par l’ordonnance n’avaient pas manifesté de signe de préoccupation concernant ces lignes directrices pendant les pourparlers ayant précédé la délivrance de l’ordonnance.

Conseils pratiques

L’examen minutieux et la prise en compte, par le juge Crampton, des préoccupations des personnes visées par les ordonnances demandées en vertu de l’article 11 de la
Loi sur la concurrence dans l’affaire Apple sont bien accueillies et perçus comme des signes encourageants. Le jugement rendu dans cette affaire confirme que le Commissionnaire n’a pas le « dernier mot » en ce qui concerne le libellé des ordonnances de production fondées sur l’article 11 de la Loi sur la concurrence. Voici trois leçons à tirer de cette affaire.

1. Nécessité d’examiner attentivement les projets d’ordonnance et de faire part de ses préoccupations avant la délivrance de l’ordonnance

Les parties et leurs conseillers juridiques devraient se prévaloir de la possibilité de demander des modifications aux dispositions des ordonnances de production fondées sur l’article 11 de la Loi sur la concurrence qui sont déraisonnables et trop contraignantes. Plus précisément, les parties, avec l’aide de leurs conseillers juridiques, devraient d’examiner attentivement les projets d’ordonnance et faire part de leurs préoccupations (notamment en ce qui concerne des demandes de nature technique ou des demandes qui sont possiblement trop contraignantes) avant que l’ordonnance soit délivrée. L’expression de ces préoccupations (de préférence par écrit) aidera le tribunal à évaluer s’il y a lieu d’apporter des modifications au projet d’ordonnance soumis par le Commissaire même si ce dernier a indiqué ne pas être d’accord avec les modifications suggérées lors des pourparlers ayant précédé la délivrance de l’ordonnance.

2. Délai pour se conformer à l’ordonnance

Selon le jugement rendu par le juge Crampton, les tribunaux devraient évaluer avec soin si le délai accordé aux parties pour se conformer à l’ordonnance est raisonnable et ne pas considérer qu’un délai de 30 jours est le délai qui devrait automatiquement s’appliquer. Afin de déterminer ce qui constitue un délai raisonnable pour eux, les parties et leurs conseillers juridiques devraient consulter les personnes qui détiennent les renseignements recherchés afin de pouvoir évaluer adéquatement le délai dont ils auront besoin pour se conformer à l’ordonnance et de déterminer s’il y a lieu de demander des modifications à celle‑ci.

3. Nécessité d’évaluer les répercussions potentielles des lignes directrices concernant la production des RSE

Compte tenu de la possibilité que le Commissaire veuille intégrer les lignes directrices concernant la production des RSE aux prochaines ordonnances qu’il demandera en vertu de l’article 11 de la Loi sur la concurrence, les parties devraient faire preuve de prudence et examiner et prendre en considération le format et la méthodologie indiqués dans ces lignes directrices et faire part de leurs préoccupations (notamment en ce qui a trait à la sécurité des données sensibles qui seraient sauvegardées sur un média portable) avant que l’ordonnance soit délivrée. Après tout, les lignes directrices concernant la production des RSE ne sont que des lignes directrices et les parties devraient pouvoir faire valoir qu’il y a lieu de déroger à celles-ci dans certaines circonstances.

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