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Nouveau régime pour les OPA non sollicitées : les modifications 50-10-120

Les ACVM publient des propositions de modifications au régime des OPA

Auteurs : Patricia L. Olasker, Franziska Ruf, Neil Kravitz et J. Alexander Moore

Pour obtenir une analyse plus complète et actuelle du sujet, consulter l’article suivant Canadian Securities Regulators Chart New Course for Regulation of Hostile Take-over Bids (disponible en anglais seulement).

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié pour consultation aujourd’hui des propositions de règles mettant en œuvre des modifications déjà annoncées au régime canadien des offres publiques d’achat (OPA). Les nouvelles règles modifieront en profondeur le déroulement des OPA non sollicitées au Canada.

Les grandes lignes des modifications ont été annoncées en septembre 2014. Les modifications sont depuis communément appelées les « modifications 50-10-120 » en raison des trois nouvelles exigences qu’elles ajouteraient aux régimes des OPA :

  • condition de dépôt minimal de 50 % : Les OPA seront obligatoirement assorties d’une condition de dépôt minimal selon laquelle plus de 50 % des titres de l’émetteur visé détenus par des personnes autres que l’initiateur devront être déposés avant que l’initiateur puisse prendre livraison des titres déposés aux termes de l’offre;
  • prolongation de 10 jours : Une fois que la condition de dépôt minimal et les autres conditions de l’offre auront été respectées, l’OPA devra être prolongée de 10 jours supplémentaires pour permettre aux actionnaires indécis de décider s’ils acceptent ou non l’offre;
  • délai de dépôt de 120 jours : Le délai d’acceptation de l’OPA devra être d’au moins 120 jours sauf (i) si le conseil d’administration de l’émetteur visé (le « conseil de l’émetteur visé ») annonce un délai de dépôt abrégé d’au moins 35 jours, auquel cas toutes les OPA simultanées seront alors assujetties à ce délai, ou (ii) si l’émetteur visé annonce une opération amicale, auquel cas le délai de dépôt minimal sera alors automatiquement réduit à 35 jours pour toutes les OPA simultanées.

Selon les ACVM, les propositions de modifications devraient améliorer la qualité et l’intégrité du régime des OPA et rééquilibrer la dynamique actuelle entre l’initiateur d’une OPA non sollicitée et le conseil de l’émetteur visé des façons suivantes : (i) en permettant aux actionnaires de l’émetteur visé de prendre des décisions volontaires, éclairées et coordonnées concernant le dépôt de leurs titres et (ii) en accordant au conseil de l’émetteur visé plus de temps pour répondre à l’OPA.

Temps et latitude pour le conseil de l’émetteur vise

Les efforts de rééquilibrage des ACVM compliqueront les choses pour l’initiateur d’une OPA non sollicitée. Selon les règles et les pratiques actuelles, l’OPA doit être d’une durée d’au moins 35 jours et les autorités en réglementation prononceront habituellement dans les 45 à 70 jours suivant le lancement de l’offre une interdiction d’opérations à l’égard de tout régime de droits des actionnaires adopté par l’émetteur visé afin de parer l’OPA.

Or, le nouveau délai de 120 jours donne au conseil de l’émetteur visé beaucoup plus de temps pour évaluer l’OPA, chercher des solutions de rechange susceptibles d’accroître la valeur pour les actionnaires ou rassembler des arguments au soutien du rejet de l’OPA. Il ajoute aussi un élément de prévisibilité qui permet au conseil de l’émetteur visé et à ses conseillers d’élaborer une démarche stratégique, en ce qu’il instaure un cadre de temps fixe par opposition aux durées courtes et variables des régimes de droits que les autorités en valeurs mobilières toléraient dans le passé. Étant donné que les ACVM ont affirmé ne pas vouloir changer leur politique en matière de mesures de défense contre les régimes de droits, il pourrait arriver qu’un émetteur visé tente d’utiliser son régime de droits pour prolonger le délai au-delà de 120 jours et chercher des solutions de rechange. Cependant, à moins de circonstances exceptionnelles peut-être, nous nous attendons à ce que les autorités en valeurs mobilières interviennent rapidement pour prononcer une interdiction d’opérations à l’égard de tout régime de droits qui empêche les actionnaires de déposer leurs titres en réponse à une OPA lancée depuis 120 jours qui est en tout point conforme aux autres exigences des nouvelles règles.

En donnant au conseil de l’émetteur visé le pouvoir d’abréger la durée de 120 jours, les nouvelles règles encourageront les initiateurs intéressés à négocier avec le conseil de l’émetteur visé plutôt que présenter leur offre directement aux actionnaires. Habituellement, plus la durée de l’offre est courte, moins il y a de chances qu’un intrus s’introduise dans le processus. Selon les nouvelles règles, l’initiateur devra négocier avec l’émetteur visé afin de bénéficier de cet avantage; le conseil de l’émetteur visé pourra ainsi profiter de l’occasion pour faire bonifier la valeur qui lui est offerte.

Pouvoir collectif des actionnaires

À part la prolongation de la durée de l’offre, l’incidence la plus significative des nouvelles règles est celle de faciliter la prise de décision collective des actionnaires appelés à approuver ou non l’offre.

La condition générale de dépôt minimal de 50 % pourrait empêcher des actionnaires souhaitant déposer leurs titres en réponse à une OPA de le faire si l’offre ne jouit pas de l’appui de la majorité des actionnaires de l’émetteur visé. Dans le passé, l’initiateur d’une OPA non sollicitée se réservait habituellement le droit de renoncer à la condition de dépôt minimal qu’il s’était lui même fixé. Ainsi, même lorsqu’il ne réussissait pas à obtenir la majorité recherchée des titres, il pouvait néanmoins, en renonçant à la condition de dépôt minimal, profiter de l’occasion pour devenir un actionnaire minoritaire important (détenant, par exemple, une participation de 40 %) et acquérir ainsi le pouvoir de bloquer les opérations de changement de contrôle dans l’avenir. C’est ce qui s’est passé dans l’offre d’achat non sollicitée de Carl Icahn sur Lions Gate Entertainment : Icahn a renoncé à sa condition de dépôt minimal et acquis 13,2 % des actions en circulation, lui conférant une participation de 31 %, qu’il a portée graduellement à
37 %. Les nouvelles règles auraient empêché Icahn d’acquérir des actions dans le cadre de son OPA parce que la majorité des actionnaires de Lions Gate avait rejeté l’offre.

Les modifications rendraient aussi plus difficiles les OPA partielles. La condition de dépôt minimal de 50 % s’appliquera même dans le cas où l’initiateur cherche à acquérir moins que la majorité des titres de l’émetteur visé, de sorte qu’il faudra que la majorité des actionnaires acceptent de vendre une partie de leurs titres à l’initiateur.

Selon les ACVM, la condition de dépôt minimal de 50 % obligatoire et la prolongation obligatoire de 10 jours de la durée d’une OPA acceptée devraient assurer la légitimité des décisions des actionnaires de déposer leurs titres parce qu’elles règlent les problèmes de « dépôt sous pression » qui se présentent lorsque l’OPA n’est pas assujettie à ces restrictions.

Harmonisation réussie

Les propositions de modifications arrivent au terme d’une période de consultation de
24 mois menée par les ACVM suivant la publication en mars 2013 de deux projets de modification de la réglementation sur les mesures défensives proposées par les ACVM et par l’Autorité des marchés financiers du Québec (AMF). Fruit d’un compromis, les propositions de modifications favorisent l’harmonisation et une approche commune en matière de réglementation des OPA d’un bout à l’autre du Canada en intégrant des éléments des approches réglementaires différentes préconisées dans les deux projets.

L’avenir quelque peu limité du régime de droits

Dans leur avis de modification des règles publié aujourd’hui, les ACVM ont rappelé qu’elles ne comptaient pas pour l’instant changer leur politique en matière de mesures de défense. Nous croyons toutefois qu’à moins de circonstances exceptionnelles elles n’hésiteront pas à intervenir rapidement dans le cas d’un régime de droits utilisé pour limiter une OPA non sollicitée qui est en tout point conforme aux nouvelles exigences.

Dans des contextes autres que les OPA non sollicitées, le régime de droits pourra continuer de servir à empêcher un actionnaire d’acquérir graduellement une participation importante dans un émetteur au moyen d’opérations dispensées de l’application des règles sur les OPA. Il demeurera utile pour tout conseil d’administration qui cherche à se protéger contre un actionnaire qui acquiert subrepticement le contrôle en se prévalant de la dispense pour souscription par contrat de gré à gré et d’autres dispenses des exigences des OPA.

La période de consultation relative aux nouvelles règles se termine le 29 juin 2015.

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